Le Maroc tente depuis des années d’améliorer l’insertion professionnelle de la gente féminine.
Malgré les efforts fournis, près de trois quarts des inactifs (73,1%) sont des femmes, d’après une récente note d’information du HCP.
Par M. Boukhari
Dans un Maroc qui se développe et se modernise, les femmes tentent encore tant bien que mal de faire leurs preuves dans une société foncièrement patriarcale. Plusieurs réformes ont été mises en place afin de faire évoluer la situation de la gente féminine et rassembler les conditions propices à son émancipation ainsi qu’à son autonomisation économiques. Par les temps qui courent, les femmes sont actrices du changement au même titre que les hommes et cherchent à participer activement à la vie économique, politique et sociale du pays, que ce soit à petite, moyenne ou grande échelle.
Toutefois, le pari de l’égalité est loin d’être gagné au vu de plusieurs obstacles qui continuent de subsister, empêchant ainsi les femmes de libérer leur plein potentiel ou d'accéder au marché du travail. En effet, il ressort d’une récente note d’information du haut-commissariat au Plan (HCP) relative aux principales caractéristiques de la population active occupée en 2022 que près de trois quarts des inactifs (73,1%) sont des femmes, 68,8% résident en milieu urbain, plus de la moitié (51,1%) n’ont aucun diplôme et 44,9% sont âgés de 15 à 34 ans. Avec un effectif de 11,2 millions personnes, les femmes en dehors du marché de travail représentent 80,2% de la population féminine en âge de travailler (81,7% en milieu urbain et 77,2% en milieu rural), précise la même source.
Par ailleurs, parmi les 5,9 millions de jeunes âgés de 15 à 24 ans, 15,4% exercent un emploi (905.000 personnes), 7,4% sont à la recherche d’un emploi (439.000), alors que 77,2% sont en dehors du marché du travail (4,6 millions), relève le HCP. Et d'ajouter que les trois quarts des jeunes en dehors du marché du travail (77%) sont des élèves ou des étudiants et 19,6% sont des femmes au foyer.
L’éducation : Un point de départ
Commentant ces chiffres, Dr. Lamia Larioui, enseignante-chercheure à la Faculté d’économie et de gestion, Université Moulay Slimane Béni Mellal et membre du STEP Project, souligne que «nous ne pouvons pas vraiment sortir avec des conclusions en se basant uniquement sur les résultats de l’enquête de l’HCP, vu que nous ne disposons pas de toutes les informations concernant l’échantillon et les critères de collecte des données. Nous ignorons si les femmes entrepreneures ou ayant ne serait-ce que des micros activités leur permettant de gagner de l’argent, ont été prises en considération. Aussi, plusieurs femmes se sont dirigées récemment vers le e-commerce. En tant que professeure, je peux vous affirmer que plusieurs étudiantes optent pour des activités e-commerciales en parallèle avec les études, et je les encourage vivement à le faire. Cela fait partie de notre rôle, en tant qu’enseignants, d’encourager et accompagner nos étudiants et étudiantes (même si l’accent est plus mis sur les jeunes femmes que sur les hommes) à devenir des entrepreneurs».
Malheureusement, les chances ne se valent pas pour toutes les femmes pour ce qui est de l’accès à l’emploi pour diverses raisons, dont une qui revient assez souvent dans le débat public, à savoir l’éducation. «Malgré les efforts déployés par l’Etat pour aider les jeunes filles à étudier, c’est très rare de trouver des jeunes femmes issues d’un milieu rural dans le cycle Master ou Doctorat. Nous ne disposons pas de statistiques, mais nous pouvons affirmer qu’une partie arrive à accéder à l’enseignement supérieur, surtout grâce à la construction des établissements et des facultés presque dans toutes les régions du Royaume. Néanmoins, certaines jeunes étudiantes risquent d’abandonner soit pour des contraintes familiales ou encore financières. Tandis qu’une autre partie s'arrête au lycée ou même avant pour des raisons que nous ignorons. Le deuxième obstacle pourrait concerner la famille et l’environnement familial. Malheureusement, dans certaines familles, l’homme est toujours privilégié et il a plus de droit que sa sœur, et ce que ce soit dans le milieu urbain ou rural. En dépit de l’avancée technologique et le développement économique et social, certaines idées persistent toujours et contraignent l’éducation et le travail des femmes», soutient Dr. Larioui.
Autre obstacle et non des moindres : les responsabilités familiales qui pèsent lourdement sur les épaules des femmes, les contraignant d’être malgré elles au four et au moulin, voire même de prendre des décisions radicales au détriment de leur épanouissement professionnel. «Les femmes ont un rôle central à jouer dans l’éducation de leurs enfants. Cette responsabilité et ce sacré rôle joué par la femme risquent parfois de la pousser à sacrifier sa carrière professionnelle ou encore à stagner», poursuit l’enseignante-chercheure.
Une série d’obstacles…
Lors de son intervention en marge du premier Colloque national sur «La femme, la famille et la pari du développement», le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Ahmed Reda Chami, a affirmé qu’une consultation citoyenne sur «la participation des femmes au développement» a été lancée à travers la plateforme de participation citoyenne du CESE «Ouchariko.ma». Et ce, à l’initiative du ministère de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille, en partenariat avec le Conseil. Le nombre des participants dépasse 75%, ce qui témoigne, selon Chami, de l’importance accordée par les femmes à cette question.
En ce qui concerne les principales entraves qui paralysent l’autonomisation des femmes, une grande partie des répondants (71%) estiment que la prédominance persistante de la mentalité masculine dans les relations avec les femmes arrive en premier lieu, suivie des différentes formes de discriminations dans le domaine professionnel (51%), les difficultés d’accès à l'éducation et à la formation (43%), les obligations et charges ménagères (42%), en sus des risques pour la sécurité des femmes dans le lieu de travail (36%). Par ailleurs, l’égalité homme/femme est selon 71% des participants, essentiellement bridée par les mentalités et les idées sociales et culturelles dominantes, viennent ensuite la «vulnérabilité économique des femmes» et «la faible représentation des femmes dans les postes de responsabilité», respectivement 54% et 49%, enfin «le cadre légal» (38%), a fait savoir le président du CESE.
Pour Dr. Lamia Larioui, l’écart hommefemmes dans le marché de l’emploi est, dans certains cas, à prendre avec des pincettes. «Lors d’une enquête menée auprès des PME familiales au Maroc en 2021, nous avons constaté que 48% des entreprises enquêtées sont dirigées par des femmes et 52% dirigées par des hommes. Il n’y a pas vraiment d’écart, et là on parle d’entreprises familiales en stade générationnel avancé, c’est-à-dire des entreprises où le prédécesseur avait choisi sa fille et non pas son fils pour gérer l’entreprise et prendre des décisions, ensuite cela dépend des cas aussi. Dans l’échantillon, nous avions constaté que certaines entreprises ont été créées que par des femmes (deux sœurs, maman et fille, deux amies)». Sans l’ombre d’un doute, une société développée repose sur un équilibre des forces, où femmes et hommes peuvent jouir pleinement de leurs droits, tout en menant une existence affranchie d’obstacles, mais aussi d’idées archaïques les retenant vers le bas.
«Il ne faut pas nier toutes les initiatives mises en œuvre par l’Etat, le gouvernement, les ONG et les associations pour aider à faciliter l’insertion des femmes dans le marché de l’emploi, que ce soit à travers les programmes de formation, ou encore les programmes d’appui à l’entrepreneuriat. Et justement, à mon avis, nous devons plus nous focaliser sur l’entrepreneuriat. C’est la clé pour baisser le taux de chômage et augmenter le pourcentage de la population active et, ensuite, cela permet aussi de créer de nouveaux emplois. Avoir des femmes entrepreneures contribuera favorablement dans le développement de notre pays», conclut Dr. Larioui.