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Rachid Yazami à cœur ouvert

Rachid Yazami à cœur ouvert

 

◆ Précurseur des batteries au lithium-ion, le professeur Rachid Yazami vient d’élaborer une méthode de charge ultra-rapide, Non Linear Voltammetry.

◆ Cet inventeur, électro-chimiste et scientifique de renom nous parle, dans cet entretien, de cette nouvelle découverte et du grand projet qu’il compte développer au Maroc.

 

Propos recueillis par Ibtissam. Z.

 

Finances News Hebdo : Vous êtes pionnier et précurseur des batteries au lithium-ion. Vous avez déclaré récemment que l’ère de la charge des batteries à courant constant est révolue. Pourquoi cette affirmation ?

Pr Rachid Yazami : Depuis le début de la création des batteries rechargeables, c’est- à-dire au milieu du 19ème siècle, l’industrie a toujours utilisé un courant constant pour charger les batteries. Or, cette méthode de charge à courant constant s’applique bien quand nous avons suffisamment de temps. Dans le cas des batteries au lithium-ion, il faut plus de 2 heures. S’il faut descendre en dessous d’une heure de charge, la charge à courant constant ne peut plus s’appliquer parce qu’on doit passer à un courant très élevé, ce qui va chauffer la batterie, d’où un gros risque d’emballement thermique. Nous avons donc préconisé de charger la batterie non à courant constant, mais à tension en volts contrôlée. Nous augmentons ainsi la tension de la batterie et observons comment la batterie va réagir par rapport à l’augmentation de la tension. Si elle réagit bien, on va plus vite. Par contre, si la batterie est résiliente à la charge, nous allons moins vite. La vitesse de la batterie n’est pas constante, mais elle est adaptée à la réponse de la batterie. C’est une charge dite naturelle, adaptée. C’est la batterie qui répond à une sollicitation de changement de tension.

 

F.N.H. : Vous êtes un homme de records et de défis. Vous avez dévoilé récemment que vous êtes en passe d’élaborer une batterie «à haute puissance» au lithiumion rechargeable en seulement 6 minutes. Qu’en est-il ?

Pr R. Y. : Il faut savoir qu’il existe deux types de batteries au lithium-ion : «haute énergie à base d’oxyde et haute puissance à base de phosphate». Les batteries qui sont utilisées dans les téléphones portables et dans la majorité des voitures électriques sont à haute énergie. Cela permet une très longue durée d’utilisation quand on la décharge. Par contre, la batterie à haute puissance peut être chargée effectivement en 6 minutes. Cette batterie-là a été surtout utilisée dans les voitures électriques hybrides et certaines voitures 100% éclectiques, en particulier en Chine. Maintenant qu’on peut charger la batterie en 6 minutes, cela peut sonner le retour des batteries à haute puissance, même pour les voitures électriques. Cela change complètement la donne, alors que jusqu’à présent, l’industrie des voitures électriques s’est plutôt orientée vers les batteries à haute énergie. Pour celles-là, la charge totale se fait en 20 minutes en toute sécurité, on peut donc charger 80% en 16 minutes. Il ne faut pas confondre les deux types de batteries, de puissance chargeable en 6 minutes et d’énergie chargeable en 16 à 20 minutes.

 

F.N.H. : Vous avez élaboré une méthode de charge ultrarapide, Non Linear Voltammetry. Expliquez-nous ce protocole inédit ?

Pr R. Y. : La méthode NLV est caractérisée par des espèces de pulse de courant, qui ne sont ni des courants constants ni de voltage constant. Mais entre deux pulses de tension ou de courant, il y a un temps de repos. Grâce à ce moment de répit, la batterie n’a pas le temps de chauffer. La Non Linear Voltammetry (NLV) se distingue par rapport à la méthode à courant constant «CCCV», qui est la méthode utilisée aujourd’hui pour charger les téléphones portables et les voitures électriques. Ainsi, la méthode «NLV» contrôle la tension, et en fonction de la réponse de la batterie, si effectivement elle prend la charge ou pas, nous allons plus ou moins vite. Grâce à cette méthode, on parvient à charger la batterie en un temps record, c’est-à-dire 6 minutes pour la batterie de puissance et une vingtaine de minutes pour la batterie à densité d’énergie, tout en gardant intacte la durée de vie de la batterie. Dans ce sens, on se rapproche de 800 cycles, qui sont l’équivalent de 800 visites à une station d’essence pour faire le plein. La méthode NLV permet d’avoir une longue durée de vie des batteries. En plus, elle garantit la sécurité, c’est-à-dire la température de la batterie, car même quand on charge très vite, on ne dépasse jamais 40 degrés pour les batteries à hautes énergies et 50 degrés pour les batteries à haute puissance rechargeable en 6 minutes. C’est exactement ce que l’industrie cherche aujourd’hui : avoir tout d’abord une charge rapide, ensuite une longue durée de vie de la batterie. Elle peut donc vous faire une centaine de milliers de kilomètres si vous avez une voiture électrique et surtout, pas d’emballement thermique, ce qui est très important pour la sécurité.

 

F.N.H. : C’est un exploit de passer de 0% de charge à 100% en 6 minutes ou 16 minutes, selon le type de batterie. Quels sont les résultats de vos recherches actuelles ?

Pr R. Y. : En ce qui concerne nos résultats actuels concernant la méthode NLV, que nous avions élaborée et qui est une méthode toute neuve et innovante, nous la testons sur plusieurs batteries, pour savoir si elle s’applique à toutes les batteries. La majeure partie des batteries fabriquées par les producteurs aussi bien aux États-Unis, qu’en Europe ou en Asie, dites d’énergie peuvent être chargées en 16 minutes. Certaines batteries qui ne passent pas le test, ne peuvent pas être utilisées dans la charge rapide. Ce qu’il faut retenir de nos recherches les plus récentes, c’est que toutes les batteries ne sont pas rechargeables rapidement. On peut donc utiliser la méthode NLV pour sélectionner celles qui sont en mesure d’être chargées rapidement en 16 ou 6 minutes. Ou celles pour lesquelles il faut plus de temps, entre 30 à 45 minutes. Ce sont les résultats récents et les plus importants, testés sur des batteries venant des 4 coins pour justement qualifier notre méthode et voir si elle s’applique partout. Pour le moment, nous faisons beaucoup de progrès, et nous souhaitons commercialiser rapidement cette technologie NLV pour que les utilisateurs, les clients aussi bien de la téléphonie mobile que des voitures électriques, sans oublier ceux qui s’intéressent au stockage de l’énergie, puissent en bénéficier.

F.N.H. : Vous avez été approché par le ministère de tutelle. Parlez-nous de votre projet industriel concernant les voitures électriques, qui, selon vous, pourrait dépasser le géant Tesla ?

Pr R. Y. : Effectivement, il y a eu quelques contacts et échanges d'informations, en particulier la fourniture au ministère de l'Industrie d'un business plan sur mon projet au Maroc en octobre dernier. Mais c’est beaucoup plus formel qu’effectif; rien ne remplace une rencontre réelle avec les représentants du ministère de l’Industrie pour voir comment nous pouvons bénéficier d’un soutien et d’une aide par rapport à ce projet au Maroc. Pour l’instant, nous en sommes au stade d’échanges d’emails et de coups de téléphone, mais rien de concret encore par rapport à ce projet au Maroc. Cela ne signifie pas que ça ne va pas aboutir; il faut rester patient, surtout avec la situation sanitaire actuelle qui ne permet pas d’avancer rapidement comme je l’aurai espéré. Je pense qu’au cours de l’année 2021, quand les choses reviendront à la normale, je pourrai venir au Maroc et rencontrer les responsables pour voir comment on peut mettre en œuvre ce projet et le faire avancer, en vue de permettre au Royaume d’être le premier pays au monde à bénéficier de cette technologie de la charge rapide. Maintenant, est-ce que le Maroc est prêt pour cela ? Je me pose la question. En tout cas dans le privé, je suis très soutenu. Je compte beaucoup plus sur l’investissement privé, par exemple des banques de développement qui peuvent investir. Une fois l’investissement acquis, il faut aller au ministère pour voir s’il peut nous accorder un certain nombre d’incitations, notamment fiscales et en termes d’infrastructures.

 

F.N.H. : Cela fait quel effet, quand à 26 ans seulement, vous inventez l’anode graphite, celle qui va révolutionner les fameuses batteries ? Qu’est-ce que vous retenez de cette découverte de 1980 ?

Pr R. Y. : La découverte de 1980 est pour moi la plus importante de ma carrière, et j’espère que celle de 2020-2021 sur la charge rapide aura autant d’impact que l’anode en graphite. Pour revenir à la découverte de 1980, je la qualifierai de très belle dans le sens où quand j’ai fait le test pour utiliser le graphite dans une batterie, je ne pensais absolument pas que cette expérience que je menais, allait avoir un impact aussi planétaire et aussi important. En effet, on fait les choses sans y penser et comme par enchantement l’incroyable arrive. L’anode en graphite reste à ce jour la seule anode fiable, utilisable dans toutes les batteries aussi bien d’énergie que de puissance. 90 à 95% des batteries d’aujourd’hui utilisent mon anode, car on n’a pas encore trouvé mieux et cela me conforte dans l’idée que c’était la solution au problème de la recharge des batteries au lithium-ion. C’est un sentiment de fierté de dire que finalement, on peut avoir des idées qui nous dépassent. Ma découverte est arrivée sans crier gare en tentant une expérience... Comme quoi, les choses se produisent quand on s’y attend le moins. A l’heure actuelle, on produit 10 milliards de batteries par an et 20 milliards par an dans 5 ans. Ce qui est encore plus réconfortant, c’est qu’on n’a pas encore réussi à trouver mieux que le graphite pour recharger les batteries, c’est extraordinaire.... J’espère que pour la technologie de la charge rapide, la méthode NLV va avoir un impact tout aussi important.

 

F.N.H. : La science et le savoir n’ont pas de limite. Quel serait votre rêve ou souhait le plus fou ?

Pr R. Y. : Mon rêve le plus fou, si j’ose m’exprimer ainsi, peut être réalisable dans une dizaine ou une vingtaine d’années. Mon rêve est écologique. Dans les grandes villes comme Casablanca, Agadir, Marrakech, Rabat, Tanger ou Fès, j’espère ne plus voir circuler de voitures ni de camions ni d’autobus avec moteur à combustion interne, c’est-à-dire moteur à essence ou à diesel. Tout sera électrique; on utilisera de l’énergie propre issue du soleil et du vent pour pouvoir charger nos batteries. De cette façon, nous rendrons les villes moins polluées aussi bien par les dégagements de gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone, que par les bruits sonores parce que les moteurs à explosion font beaucoup de bruit, alors que les moteurs électriques sont pratiquement silencieux. C’est cela mon rêve, mon souhait. Nous allons y arriver un jour «Incha Allah». Je ne sais pas si d’ici là je serai encore en vie, mais l’essentiel pour moi et qu’il se réalise pour le bien de mon pays.

 

 

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