Depuis plus d’une décennie, le Maroc s’essaie à la réforme du système de retraite sans jamais vraiment oser franchir le pas. Chaque gouvernement brandit l’urgence du chantier, puis l’enterre sous les contingences politiques du moment. Pourtant, il y a nécessité, et les chiffres parlent d’eux-mêmes.
La Caisse marocaine des retraites (CMR) affiche un déficit technique de 9,24 milliards de dirhams en 2024, selon le rapport sur les établissements et entreprises publics accompagnant le Projet de Loi de Finances 2026.
Les projections sont encore plus inquiétantes : en l’absence de réforme, les réserves de la CMR seront épuisées dès 2031, soit dans six ans. Les revalorisations salariales issues du dialogue social de 2024 ont certes offert un sursis, mais pas une solution définitive. Et comme le soulignait dans nos colonnes l’économiste Hassan Edman, «face à l’augmentation du nombre de retraités et à la diminution de la population active, la capacité à financer les pensions devient un défi de plus en plus complexe…».
Complexe, oui. Mais surtout urgent. Car la bombe à retardement continue de tictaquer. Le Maroc vieillit à grande vitesse : près de cinq millions de Marocains ont désormais plus de 60 ans contre 3,2 millions en 2014, d’après le dernier recensement de 2024. Et le ratio d’actifs par retraité s’est effondré : 12 actifs soutenaient un pensionné en 1986; il n’en y a plus que 1,7 aujourd’hui. C’est la mécanique d’un système qui s’épuise : moins de cotisants, plus de bénéficiaires et un déséquilibre financier que les ajustements techniques ne peuvent plus masquer.
Sur le papier, la feuille de route est claire : deux pôles (public et privé), préservation des droits acquis et renforcement de la gouvernance. Une architecture bipolaire plus lisible et potentiellement plus efficace. Officiellement, le gouvernement Akhannouch semble vouloir mener à terme cette réforme avant la fin de cette législature.
A ce titre, une commission technique a été chargée de peaufiner le scénario avant avril 2026, puis le texte devra emprunter le chemin du Parlement en mai 2026. Sauf que mai 2026, c’est aussi la période où le pays aura la tête ailleurs : les élections législatives.
Difficile d’imaginer un gouvernement qui défend, à 3 mois du scrutin, une réforme qui allonge l’âge de départ à la retraite, augmente les cotisations ou réduit les pensions. C’est politiquement suicidaire. Et les syndicats l’ont bien compris. C’est pourquoi le calendrier choisi laisse songeur. En programmant l’étape législative durant cette période, le gouvernement prend le risque d’une politisation extrême du débat.
Le débat technico-économique se transformera donc en joute électorale où les élus seront plus enclins à compter les sièges que les dirhams des déficits. Et dans ce tumulte, la réforme pourrait bien être renvoyée… à la prochaine législature.
Encore une fois. Or, tout le monde est d’accord sur un fait : le système est à bout de souffle. Alors, ce qui manque, c’est le courage politique. Le courage d’affronter une impopularité passagère pour éviter une faillite durable. Car, sans réforme, le système de retraite, dans sa forme actuelle, va droit au mur.
Par D. William