Les récentes pluies de mars ont apporté un souffle d'espoir aux agriculteurs. Il faudra néanmoins trouver la réponse appropriée afin de pouvoir s’accommoder d’un stress hydrique devenu structurel.
Par D. William
Les lueurs d'espoir apportées par les pluies récentes du mois de mars ont éclairci l'atmosphère pesante qui enveloppait le Royaume, et plus particulièrement les campagnes marocaines. Ces précipitations bienvenues ont contribué à une hausse, certes modeste, du taux de remplissage des barrages, grimpant à 31,79% au 3 avril 2024, soit 5,1 milliards de mètres cubes. Cependant, comparée à la même période de l'année précédente, où le taux se situait à 34,53%, la situation demeure précaire.
De ces précipitations, il faut faire deux lectures : Primo : Ces pluies ont certes ravivé l'espoir des Marocains, notamment des agriculteurs, mais elles n'ont pas suffi à sauver une campagne agricole assez mauvaise, Bank Al-Maghrib tablant sur une production céréalière aux alentours de 25 millions de quintaux contre 55,1 millions une année auparavant.
Secundo : Elles n’effacent pas le problème de fond, à savoir le stress hydrique structurel auquel est confronté le Maroc, et qui exige une stratégie cohérente à long terme, couplée à des initiatives urgentes et ponctuelles pour parer à la situation délicate actuelle. D’où la raison d’être du Programme national pour l'approvisionnement en eau potable et l'irrigation (PNAEPI) 2020-2027, avec des investissements massifs qui devraient atteindre quelque 150 Mds de DH. Le PNAEPI se présente comme un cadre stratégique pour relever les défis urgents et futurs liés à la gestion des ressources en eau. La sécurité hydrique passe ainsi par le développement des barrages.
Le gouvernement en a fait l’un des piliers de sa stratégie : le Maroc dispose de 153 grands barrages d’une capacité totale de plus de 19,9 milliards de mètres cubes. De même, le Maroc parie sur l’interconnexion entre les systèmes hydrauliques, à l’instar du raccordement des bassins de Sebou et de Bouregreg, outre le déploiement d’une feuille de route pour le dessalement de l’eau de mer, lequel permet d’ouvrir de nouvelles perspectives pour diversifier les sources d’eau et garantir une réponse flexible aux fluctuations climatiques.
Parallèlement, à une échelle plus réduite, des mesures visant à mieux rationaliser l’utilisation de l’eau ont été adoptées. Cela va du rationnement du débit en eau dans certains quartiers (modulation de pression ou coupure totale pendant certaines plages horaires) à la lutte contre la déperdition des ressources hydriques, en passant par la répression des cas de fraude à l'exploitation des ressources hydriques (raccordements anarchiques, piquage au niveau des canalisations et conduites d'eau…) et l’interdiction absolue de certaines activités (arrosage de tous les espaces verts et jardins publics, nettoiement des voies et des places publiques par l'usage d'eau, remplissage des piscines publiques et privées plus d'une fois par an, cultures aquavores).
Météo capricieuse
Malgré ces efforts louables, ces mesures seront-elles suffisantes pour faire face à la raréfaction des ressources en eau ? Pas sûr, au regard notamment des épisodes de sécheresse devenus plus fréquents et plus sévères en raison du changement climatique. Lequel perturbe les schémas météorologiques traditionnels, entraînant des sécheresses prolongées dans certaines régions et des précipitations extrêmes dans d'autres.
D’ailleurs, lors d’une récente sortie médiatique, le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Ahmed Réda Chami, citant une étude parue dans la revue «Nature», a relevé que des chercheurs australiens ont affirmé que le Maroc figure parmi cinq pays au monde qui seront touchés par le phénomène de raréfaction des précipitations de manière forte et mesurable durant les cinquante prochaines années. Ce qui risque d’aggraver le recul des ressources hydriques, surtout que durant ces dernières années les importations d’eau ont baissé à 14 milliards de m3 , selon le ministre de l’Equipement et de l’Eau, Nizar Baraka.
Rappelons, à ce titre, que la quantité moyenne d’eau par habitant a chuté de manière drastique au Maroc, passant de 2.560 mètres cubes dans les années soixante à une estimation actuelle de 620 mètres cubes. En 2030, il est attendu une réduction supplémentaire à 560 mètres cubes en raison de la croissance démographique continue. A l’évidence, les conditions météorologiques imprévisibles rendent la gestion de l'eau plus difficile. C’est pourquoi de nombreuses régions du monde font face à un stress hydrique croissant, où la demande en eau dépasse l'offre disponible. Ainsi, un pays comme le Yémen risque de voir ses ressources en eau épuisées à l’horizon 2023.
«Dans tout le Yémen, les eaux souterraines sont épuisées deux fois plus vite qu’elles ne sont renouvelées et, au rythme d'extraction actuel, les bassins hydrauliques du pays seront épuisés d’ici 2030», a averti l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) dans un récent rapport. Selon la même source, au Yémen, la part d'eau par habitant ne dépasse pas 83 m3 par an, par rapport à la limite supérieure de 500 m3 . Aujourd’hui, plus que jamais, les changements climatiques imposent de revoir en profondeur notre rapport à l’eau. Qui est désormais le miroir de nos choix collectifs, de nos politiques publiques et environnementales, ainsi que de notre capacité à la préserver.