Les pharmaciens ont désormais le droit de réaliser en officine cinq tests rapides et de fournir directement les résultats aux patients. Certes, ces tests sont moins coûteux et faciles à utiliser et à interpréter, mais n’occultent aucunement l’importance des tests biologiques, dont les résultats sont plus fiables et plus précis.
Par M. Ait Ouaanna
Cette nouvelle est venue combler une attente de longue date parmi les pharmaciens. En effet, le ministère de la Santé a donné son feu vert pour la réalisation en officine des tests rapides d'orientation diagnostique (TROD). Après une série de négociations entre la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) et les centrales syndicales, l’arrêté ministériel nº1236-24 a été acté par sa publication au Bulletin officiel du 8 août dernier.
Cette décision autorise les blouses blanches à pratiquer, au sein de leurs officines, cinq tests rapides et d’interpréter les résultats aux patients. Il s’agit du test oropharyngé pour la grippe, du test oropharyngé pour l’angine streptococcique de type A, du test de grossesse, du test d’ovulation et celui de la glycémie. Permettant de détecter les infections en quelques minutes, les TROD sont depuis de nombreuses années réalisés par les pharmaciens dans certains pays développés tels que la Suisse, le Canada ou encore la France.
Accueillant cette nouvelle avec enthousiasme, les professionnels du secteur estiment que cette décision arrive à point nommé puisque le Maroc est en pleine réforme de son système de santé. L’autorisation aux pharmaciens de réaliser les TROD permettra, selon les professionnels, d'établir un diagnostic précoce et par conséquent, d’assurer une meilleure prise en charge des patients et de prévenir les complications.
«En effet, le rôle des pharmaciens ne doit pas être limité à la délivrance des ordonnances médicales ou au conseil pharmaceutique, mais doit inclure un certain nombre de missions de santé publique. Il s’agit entre autres de la vaccination, du suivi des patients présentant des maladies chroniques ou encore de la sensibilisation des patients sur l’hygiène de vie et le bon usage des médicaments, à l’instar de ce qui se fait déjà dans des pays occidentaux, notamment en Europe. Le fait d’autoriser les pharmaciens à pratiquer ces TROD permettra d’élargir le champ de leur utilisation dans la population marocaine», souligne Abdelmadjid Belaïche, analyste des marchés pharmaceutiques.
«Cette décision permettra l’élargissement des possibilités du dépistage rapide et précoce de certaines maladies et constitue également un bénéfice économique pour les pharmaciens. Celuici réside dans le fait de ne plus dépendre exclusivement des marges sur des médicaments, dont les niveaux diminuent progressivement depuis 2014, en raison des multiples baisses de prix», poursuit Belaïche, également expert en industrie pharmaceutique.
Une solution contre l’usage «inutile» des antibiotiques
S’agissant du rôle et de l’importance des TROD susmentionnés, l’expert nous explique que ceux dédiés au diagnostic des angines permettent de différencier entre celles qui sont bactériennes et qui nécessitent un traitement par antibiotique, et celles virales. Et de noter que cette deuxième typologie représente 60 à 75% de l’ensemble des angines chez les enfants et 75 à 90% chez les adultes.
«Ces tests permettent d’éviter un usage inapproprié et inutile des antibiotiques dans la majorité des cas et d’éviter ainsi les augmentations des cas de résistances bactériennes aux antibiotiques», explique l’analyste. Ce dernier souligne en outre la nécessité d’élargir le champ d’application de ce décret à d’autres tests et de confier aux pharmaciens d’autres missions de santé publique. La réalisation des TROD en officine permettra certes de déceler rapidement certaines pathologies, mais la mise en place de mécanismes de contrôle et de supervision demeure indispensable afin de garantir que ces tests soient effectués dans les meilleures conditions possibles. «La pratique des TROD par les pharmaciens ne peut se faire sans la mise en place d’une réglementation rigoureuse, en plus du contrôle des protocoles de qualité à respecter. Les formations continues pour les pharmaciens sont également obligatoires», affirme Belaiche.
Dans le même ordre d’idées, l’expert relève que la responsabilité professionnelle reste également en jeu lorsqu'il s'agit de résultats incorrects des TROD, pouvant entraîner des répercussions médicales pour les patients. «Ainsi, des contrôles en amont sur la qualité des kits des tests et de leurs dates de validité, seront nécessaires. De plus, des procédures de pharmacovigilance, ou plus exactement de matériovigilance devront être mises en place pour permettre aux pharmaciens ou aux patients, de signaler tout incident ou effet indésirable en rapport avec ces TROD», insiste notre interlocuteur.
L’importance des tests biologiques demeure intacte
Maintenant que les pharmaciens sont habilités à réaliser des TROD en officine, cela risque-t-il d’affecter les laboratoires d’analyses médicales ? «Cette décision pourrait effectivement avoir un impact sur ces laboratoires, mais cela ne conduira pas forcément à une baisse de leur activité», nous répond Abdelmadjid Belaïche.
«Les analyses biologiques réalisées dans les laboratoires resteront la référence, du fait de leur précision et de la fiabilité de leurs résultats. Cela veut dire que les résultats des TROD devront être, au final, confirmés ou infirmés par des analyses réalisées dans des laboratoires d’analyses médicales, le plus souvent, à la suite de la demande des médecins traitants qui ne peuvent se contenter des résultats des TROD», détaille l’expert. Et de poursuivre : «Les analyses effectuées par les laboratoires d’analyses médicales sont réalisées avec des équipements très coûteux. De plus, leurs résultats sont supervisés et interprétés par des spécialistes en biologie médicale, contrairement aux TROD qui font appel à de simples kits prêt à l’emploi. Ces derniers sont beaucoup moins coûteux mais plus faciles à utiliser et à interpréter».
Insistant sur le fait que les TROD et les analyses biologiques effectuées par les laboratoires sont complémentaires et pas forcément antagonistes, Belaïche précise par ailleurs que la question qui demeure en suspens aujourd’hui est si ces tests rapides seront éligibles au remboursement et sur quelle base tarifaire.
