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Vers la fin de «Bretton Woods» ?

Vers la fin de «Bretton Woods» ?

Le risque pour le Dollar réside principalement dans le fait qu’après la fin de la convertibilité du Dollar en or décidée unilatéralement par Washington en 1971, la valeur de la devise américaine était soutenue par la demande et l’offre énergétique mondiale.

 
Le 23 mars dernier, lors d’une réunion télévisuelle avec les membres de son gouvernement, Vladimir Poutine a annoncé une décision radicale dont l’Occident n’en a pas encore pris la pleine mesure :  «J'ai pris la décision de mettre en œuvre un ensemble de mesures pour passer au paiement en Roubles de notre gaz livré aux pays hostiles, et de renoncer dans tous les règlements aux devises qui ont été compromises».
 
Par pays hostiles, il faut comprendre tous les pays qui se sont alignés sur Washington en imposant des sanctions économiques à la Russie, soit le monde occidental dans sa globalité, plus quelques pays comme le Japon et la Corée du Sud. Par devises compromises, il fait allusion au Dollar et à l’Euro.
 
Désormais, les Européens devront payer leurs importations de gaz en provenance de Russie en Rouble. Mais pas que, puisque cette mesure commence à s’étendre à de plus en plus de produits exportés par l’économie russe. A cet effet, le Président russe a donné à sa Banque centrale un délai d’une semaine pour mettre en place un mécanisme d’achat de Roubles sur le marché des changes.
 
Cette décision qui a à peine été commentée par les médias occidentaux, revêt contrairement aux apparences un caractère éminemment stratégique, dont les conséquences pourraient aboutir ni plus ni moins qu’à l’effondrement à terme du Dollar.
 
Mais d’abord, un bref rappel des faits.
Suite à l’opération militaire enclenchée par Moscou en Ukraine le 23 février, le monde occidental a imposé à l’initiative de Washington et de Bruxelles, une série de sanctions économiques dont les plus significatives furent la déconnexion de l’essentiel des banques russes du système international de paiement «Swift», ainsi que le gel de la moitié des actifs de la Banque centrale russe détenus à l’étranger, soit à peu près l’équivalent de 300 milliards de dollars. Cette dernière mesure a été littéralement qualifiée par le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, de «vol».
 
Mais par-delà leur caractère légal, ces deux sanctions constituent un précédent qui portera irrémédiablement atteinte à la crédibilité du Dollar et de l’Euro en tant que monnaies de réserve pour beaucoup de Banques centrales, notamment de certains pays qui sont ou risquent d’entrer dans un bras de fer avec Washington (Chine, Iran, Algérie, …).  Car comment faire désormais confiance à ces devises si suite à un différend diplomatique ou géostratégique avec Washington, l’on venait à en être privé par un gel arbitraire de ses actifs à l’étranger ? Ou encore par l’incapacité d’en faire pleinement usage suite à une déconnexion du «Swift» ? Comment dans ce cas pourrait-on payer nos importations notamment énergétiques si l’essentiel de nos réserves de change sont constituées en Dollar et d’Euro ?
 
L’effet domino qui découlera de cet aventurisme occidental, commence déjà à produire ses effets. Le 15 mars dernier, le FMI mettait en garde contre cette dynamique en affirmant que : «La guerre pourrait modifier fondamentalement l'ordre économique et géopolitique mondial, si le commerce de l'énergie se modifie, si les chaînes d'approvisionnement se reconfigurent, si les réseaux de paiement se fragmentent et si les pays repensent leurs réserves de devises».
 
Dans le même sens, le «Wall Street Journal» a annoncé que l’Arabie Saoudite et la Chine seraient en train de négocier la possibilité de libeller leurs échanges concernant le pétrole en Yuan chinois, afin de s’émanciper de l’hégémonie du Dollar américain.
 
De même, l’Inde et la Russie négocient la possibilité de libeller leurs échanges commerciaux en Rouble et en Roupie. Ce n’est là que le début d’un grand mouvement de dédollarisation d’une partie conséquente de l’économie mondiale, principalement du coté asiatique et eurasiatique.
 
Le risque pour le Dollar réside principalement dans le fait qu’après la fin de la convertibilité du Dollar en or décidée unilatéralement par Washington en 1971, la valeur de la devise américaine était soutenue par la demande et l’offre énergétique mondiale. Puisque l’essentiel des échanges à l’échelle mondiale de matières premières et énergétiques sont libellés en Dollar. 
 
Ainsi, érigé par les accords de Bretton Woods en 1944 en monnaie de réserve mondiale, mais émancipé à partir de 1971 du devoir de posséder une contrepartie en or, le Dollar se devait impérativement de demeurer la principale monnaie de transaction pour le pétrole.
 
Or, ce que nous vivons aujourd’hui avec les sanctions économiques occidentales et la récente décision russe, ne sont ni plus ni moins que le début de la fin de ce qu’on pourrait qualifier du «standard-pétrole».
 
Sur quoi pourrait désormais s’appuyer le Dollar pour ne pas voir sa valeur s’effondrer ? Sur plus grand-chose. Car entre la fin du standard-or en 1971 et le début de la dédollarisation de plusieurs grandes économies, un évènement majeur a contribué à créer une bombe à retardement pour la monnaie américaine. Je fais référence ici aux grandes politiques monétaires expansionnistes menées par la FED depuis 2008 pour faire face aux conséquences de la crise, jusqu’en 2021 pour soutenir l’économie américaine durant la parenthèse Covid. Les différents QE (Quantitative Easing) mis en place par la FED ont abouti à la création de plusieurs milliers de milliards de dollars sans contrepartie dans l’économie réelle. Cette masse monétaire astronomique continue d’inflater artificiellement les marchés des actions et des matières premières, mais pourrait à terme provoquer en cas de dépréciation majeure du Dollar un retour au réel dont les conséquences peuvent être difficilement pensables.
 
Ainsi, l’arme absolue de la Russie ne doit peut-être pas être cherchée au niveau de son arsenal nucléaire, mais bien au niveau de sa capacité à enclencher un grand mouvement d’émancipation de cette monnaie impériale qu’est le Dollar américain.

 

Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d'Arkhé Consulting

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