La chute de Bachar al-Assad, qui a régné sur la Syrie d'une main de fer, a eu des répercussions bien au-delà des frontières syriennes. Notamment en Algérie, où les répliques de ce séisme politique ont révélé au grand jour la duplicité et l'instabilité d’un régime qui vacille sur ses propres contradictions.
Jusqu'à la dernière minute, le régime algérien a soutenu, corps et âme, Bachar al-Assad. Dans un contexte où le pouvoir syrien était abandonné par presque tous, Alger était l’un des rares gouvernements à manifester publiquement un appui inconditionnel. Les rebelles syriens, eux, n'étaient que des «terroristes», et la solidarité algérienne, martelée par voie officielle, était à la fois «absolue» et «inaliénable».
Mais comme un caméléon en terrain hostile, le régime algérien a opéré un retournement spectaculaire dès l’annonce de la chute de son allié. En l’espace de quelques heures, les communiqués officiels ont viré de bord, exprimant soudainement un soutien indéfectible au «peuple syrien frère». Une gymnastique diplomatique d’une souplesse étonnante qui ne peut masquer une panique palpable : l’effondrement du régime syrien est un miroir inquiétant pour les dirigeants algériens.
La peur du précédent
L’histoire nous enseigne que les dictatures sont rarement solidaires par philanthropie, mais plutôt par instinct de survie. Pour Alger, le soutien à Bachar al-Assad n'était pas seulement idéologique, mais pragmatique. En Syrie, le régime algérien voyait une réplique de sa propre structure : un pouvoir militaire omnipotent, une répression institutionnalisée et un peuple en colère cherchant désespérément une issue.
Cette similitude a longtemps poussé Alger à défendre Damas bec et ongles, mais aussi à craindre le scénario d’un effet domino. Les généraux algériens savent que la chute d’un régime autocratique peut rapidement en inspirer d’autres à suivre. La révolte syrienne, puis la débâcle de Bachar al-Assad, ressemble à un avertissement, une prophétie de fin de règne qui hante le pouvoir algérien. Mais le revirement diplomatique d'Alger n’est pas simplement opportuniste : il est caricatural. Alors qu’elle qualifiait hier encore les rebelles syriens de «terroristes», l’Algérie les exhorte aujourd’hui à dialoguer pour bâtir un avenir commun. Ce double discours met en lumière la versatilité et l’hypocrisie d’un régime en fin de course, qui prêche pour la Syrie ce qu’il refuse obstinément à son propre peuple.
Le Hirak, ce mouvement populaire qui a secoué l'Algérie ces dernières années, reste un spectre omniprésent. Réprimé, étouffé par une militarisation accrue de l’espace public, il témoigne de l’incapacité du régime algérien à tolérer la moindre contestation. Pourtant, dans ses communiqués adressés à la Syrie, Alger fait l’éloge du dialogue, de la réconciliation et des institutions «issues de la volonté du peuple». Ironie ou cynisme ? Probablement les deux. La chute de Bachar al-Assad met également en exergue l’isolement diplomatique de l’Algérie. En défendant obstinément le régime syrien, même lorsque celui-ci était clairement en déclin, Alger s’est aliéné une grande partie de la communauté internationale. Aujourd’hui, les manifestants syriens ne se contentent pas de fustiger le régime de Damas; ils pointent également du doigt ses alliés, notamment Alger, qualifiée de complice et de vestige dictatorial à abattre. Cet isolement est d’autant plus criant que l’Algérie a perdu, avec la chute de Bachar, son dernier soutien arabe pour le Polisario.
En s’associant à des acteurs comme l’Iran ou le Hezbollah, le régime algérien a renforcé sa réputation de pouvoir rétrograde, ancré dans des causes perdues qui ne font qu’aggraver son isolement sur la scène régionale. Mais au-delà de l’image internationale ternie, c’est sur le front intérieur que la chute de Bachar al-Assad inquiète le plus Alger. Les parallèles entre les deux régimes sont troublants : des décennies de pouvoir autoritaire, une corruption systémique, une répression brutale et une jeunesse désabusée. Les généraux algériens savent qu’une étincelle peut suffire à raviver la flamme du Hirak.
Ce qui effraie davantage, c’est la perte de contrôle sur le narratif. Le peuple syrien, longtemps oppressé, a réussi à renverser un régime qui semblait inamovible. En Algérie, malgré la répression, le mécontentement populaire gronde toujours, alimenté par un sentiment d’injustice et de trahison. C’est pourquoi la posture du pouvoir en place révèle une peur viscérale : celle de disparaître, emporté par les mêmes dynamiques qui ont fait tomber son allié syrien. Oui, les dictatures et les autocraties, aussi solides qu’elles puissent paraître, sont rarement éternelles !
F. Ouriaghli