Seules 4,5 millions de personnes ont eu la troisième dose.
Alors, comment relancer une campagne de vaccination visiblement en panne ?
D. William
Entre les Marocains et la troisième dose du vaccin anti-Covid-19, il y a comme un désamour profond. Et cela ne plait pas du tout aux autorités, en premier lieu le chef de gouvernement, Aziz Akhannouch. Ces derniers jours, il multiplie les messages dans ce sens, visiblement agacé par la tournure que prend cette campagne de vaccination. Et le ton est plus ferme, voire même menaçant.
Surtout à l’égard de la Confédération générale des entreprises du Maroc, qu’il a rencontrée mercredi, accompagné du ministre de l’Economie et Finances, Nadia Fettah Alaoui, et de celui de la Santé, Khaled Ait Taleb. «Vous devez prendre vos responsabilités», a-t-il lancé au patronat, leur demandant de faire preuve de plus de rigueur pour pousser les non-vaccinés à se vacciner et ne plus prendre en otage la relance économique. «Aidez-nous et essayez de convaincre votre personnel pour qu'on retrouve tous notre liberté», a-t-il martelé.
Patrons coupables ?
Responsabilité. Rigueur. Les mots sont lâchés. C’est comme si le chef de gouvernement accusait à demi-mot les patrons d’être responsables du quasi-échec de cette phase de la campagne de vaccination. Oui, il s’agit presque d’un échec. Et cela est au demeurant confirmé par les chiffres donnés par Ait Taleb : seules 4,5 millions de personnes ont eu la troisième dose, alors que 23 millions de personnes ont reçu la deuxième dose. Est-ce pour autant la faute des patrons ? Sont-ils trop laxistes ? Doivent-ils fliquer, contraindre leurs employés à se faire vacciner ?
Ces interrogations remettent sur le tapis la problématique suscitée par le pass vaccinal obligatoire. En réalité, puisque le vaccin n’est pas obligatoire, les patrons sont dans l’impasse et devant un imbroglio juridique. Ont-ils le droit d’empêcher le salarié non-vacciné d’accéder à son lieu de travail ? Peuvent-ils aller jusqu’à licencier les salariés non-vaccinés ? Voici la réponse que nous avait donnée Me Nesrine Roudane, avocate au Barreau de Casablanca : «Je suis d’avis que tant qu’un vaccin n’est pas rendu obligatoire par le législateur pour pouvoir travailler, l'employeur ne peut pas obliger un salarié à se faire vacciner pour garder son emploi.
Il peut toutefois réserver l’accès à ses locaux aux salariés disposant d’un laissez-passer sanitaire (ou une autre preuve de vaccination), par exemple, notamment dans le cadre de son pouvoir de direction et de son obligation de fournir un environnement de travail sécuritaire et sanitaire à ses salariés (art. 24 du Code du travail), à supposer qu’il obtienne l’autorisation nécessaire à la mise en œuvre d’une telle politique à l’intérieur de son entreprise».
Et à supposer même qu’un patron empêche à un salarié l’accès à son lieu de travail, continuera-t-il à le rémunérer pour autant ? Aura-t-il le droit de suspendre son salaire ?
La vérité, c’est qu’il y a un flou juridique total autour de cette problématique. Et, dans ce contexte délicat, où les employeurs sont davantage préoccupés par la reprise économique, pas question de prendre des décisions qui seront sources de procédures judiciaires longues et complexes. Pour les patrons, les priorités sont autres que de créer des tensions au sein de leurs entreprises.
Clairement, le gouvernement délègue sa responsabilité aux patrons, lesquels sont non seulement dans l’impossibilité de l’assumer, mais n’en veulent surtout pas. Alors, après avoir usé de la sensibilisation et exhibé des chiffres qui font peur (début de la pandémie, 67,4% des personnes décédées sont non-vaccinées, et depuis le démarrage de la troisième dose, 41% des décès sont parmi les non-vaccinés), c’est peut-être au gouvernement d’assumer maintenant ses responsabilités au lieu de pointer un doigt accusateur sur les chefs d’entreprises. Comment ? En rendant obligatoire la vaccination, comme l’a fait l’Autriche. Mais pour cela, il faut un sacré courage politique !
Akhannouch a en tout cas promis d’annoncer de nouvelles mesures pour forcer la main aux non-vaccinés. On attend de voir.