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La France perd l’Afrique

La France perd l’Afrique

En l’espace de cinq années, la France est en passe d’achever ce qui lui restait d’influence et de sympathie en Afrique. 

 

Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste

Et ce, surtout au Sahel, en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest où les anciens  «amis» et partenaires se rebiffent et rejettent en bloc la politique française en Afrique, toujours et encore basée sur une forme néo-colonialiste dans les relations bilatérales, avec des mentalités ancrées dans des visions et des visées à la fois passéistes et anachroniques.
 
Radioscopie des relations Afrique-France 
 
De Rabat à Djibouti en passant par Niamey, Ouagadougou, Dakar, Bamako, N’Djamena, Yamoussoukro, Yaoundé, Libreville, Bangui, Antananarivo, Tripoli en ajoutant, malgré les jeux de façade, Alger et Tunis, Paris perd la main sur une grande partie de l’Afrique. Avec l’année 2022 comme point culminant dans ce divorce, désormais consommé, entre plusieurs pays africains, jadis, amis et partenaires d’une France, qui a montré une grande fébrilité dans la gestion de ses relations bilatérales et continentale avec une Afrique, qui a changé de visage, qui a évolué, qui a décidé depuis au moins une bonne décennie de prendre son destin en main et de rejeter toute forme de tutelle quels que puissent en être l’origine, les tenants et les aboutissants.  Un changement de paradigme si profond qui a échappé à l’acuité déclinante d’une diplomatie française vieillotte et sur le déclin. Ce qui a donné corps à des ruptures sans retour, comme c’est le cas avec le Mali qui a renvoyé l’ambassadeur français chez lui faisant suite au départ des derniers soldats français présents sur le sol de la Centrafrique, avec, partout, de la Mer rouge, à l’Atlantique en passant par le versant Ouest de la Méditerranée la multiplication de pancartes affichant toutes un message clair et sans appel : «France dégage !».
 
En cause, et sans ambages, la politique agressive et inacceptable du Président Emmanuel Macron, qui souffle le chaud et le froid, à l’égard d’une partie de cette Afrique qui a aujourd’hui d’autres ambitions, qui voit le futur de ses populations en dehors du viseur français, en concluant des partenariats avec d’autres puissances, notamment la Chine et le Maroc, qui, depuis 23 ans, a fait de l’Afrique une priorité politique, sociale, culturelle et humaine nationale.
 
Cela se traduit par un rejet simple des modalités de fonctionnement de la politique à la française avec ses «partenaires» africains, allant jusqu’à irriter au plus haut point un État si fidèle et si allié comme le Sénégal qui s’aligne sur le Mali, sur le Burkina Faso, sur la République Centrafrique, sur le Cameroun, sur la Côte d’Ivoire, sur le Niger, sur le Tchad, sur la Libye et  même sur un pays comme Djibouti, chasse-gardée de Paris, qui, lui aussi, revendique son indépendance, dans la foulée des mouvements de contestation et de rejet qui passe d’une région à l’autre comme une traînée contagieuse, assimilée à un réveil, à un éveil, que beaucoup considèrent comme tardif, tant la France a été injuste dans ses rapports avec ses anciennes colonies qu’elle entend toujours diriger au doigt et à l’œil en leur dictant leurs politiques, le climat des affaires favorable pour la France et sa vision des  «droits de l’Homme», carte toujours brandie quand il s’agit de traiter avec ces «alliés» du Sud. Le tout mâtiné de leçons surannées que les Africains ne veulent plus recevoir de personne, à plus forte raison d'une France enlisée dans des crises sans fin à la fois politiques et sociales, sans  parler du profond et grave marasme économique qui la pousse à vouloir aller encore puiser dans le réservoir africain qui lui a servi de soupape de secours et de vache à traire pendant plus d’un siècle et demi.
 
Ce rejet de la part des dirigeants politiques africains aujourd’hui reflète aussi le ras-le-bol des populations africaines qui refusent catégoriquement l’ingérence de Paris dans leurs affaires internes, se servant comme elle veut, donnant des leçons à tour de bras, intervenant militairement là où elle le décide, plongeant des pays entiers dans le chaos. Ce qui fait planer le spectre d’une faillite à la libyenne sur des pays comme le Mali, le Niger, le Burkina, le Tchad et la Centrafrique, entre autres Etats fragilisés par des décennies d’exploitation par les grandes firmes françaises qui tirent des profits faramineux alors que les populations de ces pays s’appauvrissent chaque jour davantage.  Matières premières surexploitées, terres rares convoitées, ressources naturelles spoliées durant de très longues années, sans parler des millions d’Africains soumis, maltraités, rendus à l’état d’esclave par une France donneuse de leçons sur les droits des humains à être égaux, frères et libres ! Sans parler du sort réservé à tous les déportés, à tous ceux qui ont combattu de force pour libérer la France, à toutes les victimes des essais atomiques dans le désert du Sahel… 
 
Une liste très longue des injustices commises par la France et infligées à des Africains qui ont assez enduré, et qui, aujourd’hui, disent : «Ça suffit !».
 
C’est aujourd’hui cette colère qui touche l’écrasante majorité des Africains et qui fait dire à des jeunes comme Paap Seen  que :  «L’ancien colonisateur continue de faire preuve d’arrogance à l’égard des Africains». C’est le même malaise qui fait dire à une figure comme Joey le Soldat que : «Rien n’empêchera la rupture avec la France, c’est le constat de la jeunesse». Avant de développer en posant les points sur les «I» : « A l’époque, on avait à peine 20 euros dans nos poches. On leur (les autorités françaises) a montré nos documents qui prouvent que l’on venait jouer et que notre label prenait nos frais en charge. Mais on nous a envoyés en garde à vue. On y est resté près d’une heure, jusqu’à ce que notre producteur vienne nous sortir de là. On était choqués, déçus. Imaginez, pour un jeune Africain qui arrive pour la première fois en Europe. Tu as ton visa, tes papiers en règle et on t’accueille comme ça parce qu’on juge que tu n’as pas assez d’argent… Tu réalises ce qu’est la France, les relations qu’elle entretient avec le continent et quel type de personne est la bienvenue sur son territoire ou non. Le français a été imposé par la colonisation. Je me rappelle que l’on nous frappait à l’école primaire pour nous forcer à l’apprendre. Mon père me racontait qu’il devait chanter «Nos ancêtres les Gaulois» en montant le drapeau français.»
 
Cela se passe de commentaire. Et ils sont légion ceux qui ont subi le même traitement par la France. Toute une jeunesse africaine aujourd’hui qui dit «Non». Non au chantage par le visa, comme s’il s’agissait d’un ticket d’entrée au paradis ! Non au bras de fer sur les marchés locaux et sur la part du lion réservée aux sociétés françaises. Non à la tutelle culturelle avec cette francophonie si désuète aux allures de plus en plus fausses et mensongères. Non à la politique de la main tordue pour faire plier tous ceux qui veulent décider pour eux-mêmes de leur avenir et de leur essor. Non au double jeu. Non à la duplicité. Non aux profits quelle qu’en soit la nature. Non aux passe-droits. Non à l’exploitation. Non aux discriminations. Non au racisme et à la xénophobie, deux fléaux qui prennent aujourd’hui une ampleur très inquiétante dans une société française à la fois clivée et fragilisée.

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