Entre absentéisme chronique et scandales à répétition, l’institution parlementaire, censée incarner l’éthique et la responsabilité, sombre dans une crise de crédibilité par la faute de certains députés.
Par D. William
L'institution parlementaire devrait être un sanctuaire d’éthique et de responsabilité. Pourtant, si l’absentéisme au Parlement était un sport national, nos députés en seraient les champions incontestés. Les rares qui ont la conscience chevillée au corps et qui honorent régulièrement de leur présence l’hémicycle peinent à masquer l’évidence : le mépris de certains élus pour leur mandat.
Entre bancs vides, sessions désertées et scandales en série, l’image de nos représentants du peuple atteint actuellement des abysses. Au point que l’on ne fut guère surpris de l’interrogation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en octobre 2016, au Parlement : «S’ils ne veulent pas faire leur travail, et si régler les affaires des citoyens, au niveau local ou régional ou même national ne les intéresse pas, alors pourquoi se dirigent-ils vers l’action politique ?»
Une question qui a l’écho d’une injonction morale. Mais force est de constater que depuis des années que l’absentéisme des élus fait débat et indigne les citoyens, rien n’a vraiment changé. Et ce, malgré moult initiatives visant à leur faire prendre la mesure de leurs responsabilités envers la collectivité et à mettre fin à cette situation endémique qui gangrène l’action législative. La dernière mesure prise par le président de la Chambre des représentants, Rachid Talbi Alami, de publier les noms des absentéistes, ressemble ainsi davantage à une tentative désespérée qu’à une solution durable. Mais le fait d’en arriver à cette extrémité traduit sinon l’exaspération de Talbi Alami, du moins le degré de gravité de la situation.
Absence morale
Début novembre dernier, lors du vote du projet de loi sur l’industrie cinématographique, seuls 94 députés sur 395 étaient présents dans l’hémicycle. Cette absence physique est aussi le symbole d’une absence morale : celle d’un véritable engagement envers les citoyens. Est-ce par ennui ? Par paresse ? Ou simplement par mépris des responsabilités qu’ils ont juré d’assumer? Une chose est sûre : l’image d’élus déserteurs discrédite tout le processus démocratique.
Trop souvent, le mandat parlementaire est perçu comme un tremplin pour des ambitions personnelles, une rente bien méritée, voire un bouclier contre la justice. Pendant que le peuple se bat contre des défis économiques et sociaux majeurs, une partie de ses représentants privilégie les mondanités, les affaires partisanes ou, parfois… de simples siestes prolongées (sic !). Certes, il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur tous les parlementaires. Certains, discrets mais efficaces, s’efforcent de répondre aux attentes de leurs électeurs. Mais leurs efforts sont éclipsés par l’inertie des autres, qui ne trouvent même pas la force de sauver les apparences.
Au-delà de l’absentéisme, le Parlement est miné par des scandales récurrents qui ternissent sa réputation. Corruption, conflits d’intérêts, détournement de fonds publics : au total, une trentaine d’affaires recensées ces derniers mois impliquent des élus et éclaboussent l’institution. A côté de cela, qui pourrait oublier cet élu qui s’est rendu à l’hémicycle complètement bourré il y a de cela quelques années ? Qui pourrait oublier ce spectacle pathétique de 2018, lorsqu’aussitôt après le discours royal, on a vu des députés piqueassiettes sortir de l’hémicycle, trimbalant des sacs remplis de petits-fours, gâteaux et autres sucreries ? Tout cela résume la déconnexion entre l’élite politique et le peuple.
Comment s’étonner, dès lors, de l’indifférence ou du désaveu des citoyens ? Comment bâtir un Maroc nouveau avec un Parlement où squattent certains députés aux pratiques douteuses et parfois répréhensibles ? Une gouvernance éthique et responsable est indispensable pour répondre aux aspirations légitimes des Marocains. La moralisation de la vie politique, souvent évoquée mais rarement appliquée, doit devenir donc une priorité, conformément à l’esprit du nouveau code de déontologie des députés. Lesquels doivent se souvenir que leur mission n’est pas un privilège, mais une responsabilité.
Et qu’ils ne sont pas là pour servir leurs intérêts, mais plutôt ceux des citoyens. Et si certains continuent à fuir leurs responsabilités, rappelonsleur cette phrase cinglante du Souverain : «Le véritable engagement politique commande de placer le citoyen au-dessus de toute considération». Car sans une représentation digne, les citoyens risquent de se détourner davantage de la vie publique, alimentant un cycle vicieux de méfiance et de désengagement.