Après l’atypique «Mirages», le réalisateur marocain Talal Selhami poursuit son exploration de notre inconscient collectif en traitant les rites liés à la fête de Achoura, dans un film du même titre, fort en symboles, avec un scénario ficelé et un regard profond sur le non-dit, sur ce qui nous dépasse, sur ce qui nous effraie, sur l’univers mystérieux de l’enfance, entre onirisme assumée et fantasmagorie de belle facture.
Par Abdelhak Najib, Écrivain et critique de cinéma
On le sait, depuis l’excellent «Mirages», Talal Selhami maîtrise son sujet.
C’est un garçon qui travaille en prenant son temps, sans précipitation. Quand on discute avec lui, on se rend compte que pour lui, faire un film, c’est d’abord un processus intérieur, qui part d’une idée pour ensuite lui donner des ramifications, avec une écriture cinématographique qui privilégie le langage de l’image, comme assise mobile pour dérouler les bobines, avec un regard subtil dans le traitement, une économie scénaristique qui va à l’essentiel, sans fioritures ni longueurs inutiles.
Le tout avec une direction d’acteurs au poil près, dans la finesse et loin de l’emphase habituelle dans un certain cinéma marocain.
C’est que Talal Selhami, nourri d’une bonne culture cinématographique, mâtinée d’une réelle passion pour l’image et ses nuances, a compris que pour faire du bon cinéma, il faut d’abord aimer le grand cinéma, il faut un bon bagage, un certain regard sur soi et sur le monde où l’on évolue, sans oublier la distanciation nécessaire pour aborder des sujets aussi complexes que l’enfance et ses secrets, avec aisance et simplicité.
Pour «Achoura», qui sort le 12 octobre 2022 dans les salles de cinéma, nous sommes conviés à suivre le parcours accidenté et fort en reliefs de quatre enfants qui s’amusent en se donnant des frayeurs.
Leur jeu va les mener dans une maison abandonnée sur laquelle plane un parfum de mystère et de hantise. C’est là que l’un des gamins va disparaître.
Les trois autres essaient tant bien que mal de ranger cet épisode tragique de leur enfance dans l’un des nombreux tiroirs de l’oubli. Les années défilent, et 25 ans plus tard, Samir, le disparu, refait surface.
C’est là que le film prend de nouvelles tournures ouvrant de nombreuses pistes et multipliant les clins d’œil, dans un récit cinématographique alliant frayeur, mystères, fantastique et surnaturel, dans un rendu à la fois nerveux et corsé. Surtout en traitant d’un sujet aussi complexe et compliqué que l’enfance, mise en images ici avec recul et profondeur.
Ce qui fait dire à Talal Selhami que «nous n’accordons peut-être pas assez d’importance à l’enfance, trop préoccupés par nos problèmes d’adultes. Dans Achoura, les enfants essayent de survivre, en préservant ainsi leur innocence. Dans ce sens, la créature d’Achoura n’est autre que l’allégorie de l’âge adulte qui dévore l’enfance et engendre ainsi des êtres troublés. L’enfance et la perte de l’innocence sont des sujets qui hantent quasiment tous mes projets en développement».
Un pari audacieux de la part d’un réalisateur qui ose ouvrir des pistes dans notre inconscient en soulevant des questions cruciales, sans pour autant tomber dans la leçon de morale gratuite et de mauvais aloi.
Le réalisateur déroule les faits et les ambiances, naviguant entre passé et présent, faisant du futur le point d’incertitude qui devient l’un des nœuds de ce film.
Un film qui nous rappelle le cinéma d’un M. Night Shyamalan, auteur de l’excellent «Signs», ou encore l’incontournable «Le village».
Achoura nous rappelle aussi l’intrigante série «Stranger Things» des frères Duffer, avec ce regard très personnel d’un Talal Selhami qui a gagné en maturité et en profondeur, nous livrant là un opus de belle facture, avec une réelle identité chromatique, une homogénéité de ton, un déroulement logique des faits et un montage coupé au hachoir.
Sortie nationale le 12 octobre 2022.