Le système de window est le moins cher à mettre en place, mais il faut de la discipline de la part de l’opérateur.
A défaut des sukuks, le Takaful va avoir du mal à investir les primes qu’il récolte.
Les acteurs n’investissant que dans des produits islamiques ont été protégés des risques de la spéculation, voire de la crise des subprimes.
Rachid Ouaich, chef des opérations européennes à Wafra Capital Partners, nous éclaire sur l’état de la finance islamique.
- Finances News Hebdo : Dans certains pays, la finance islamique est une success storie. Quelle est votre propre appréciation du cas du Maroc ? Par rapport aux composantes clés de succès de cette science particulière, en dispose-t-il ?
- Rachid Ouaich : Je pense que l’intention du gouvernement de développer la finance islamique est là et c’est quelque chose de nécessaire. Après, il faut que tous les acteurs de la finance se mobilisent pour le faire. Pourquoi je suis venu ici ? Parce que j’ai rencontré une délégation marocaine qui est venue à Luxembourg pour apprendre d’une place financière ayant réussi dans ce domaine, pas seulement dans la finance islamique, mais dans tous les domaines. Je pense qu’il s’agit d’une bonne initiative et d’un désir de développer davantage le marché financier.
- F. N. H. : Dans votre intervention, nous avons remarqué que comparativement à la finance conventionnelle, la FI a évolué au cours des dernières années. Pourquoi à votre avis ?
- R. A. : C’est une question difficile. Déjà, il y a les critères des produits islamiques comme la riba qui est complètement interdite. Aussi, nous pouvons citer l’interdiction d’investissement dans certains secteurs où la riba est très présente. Des secteurs où le porc, l’alcool, les jeux de hasard sont interdits également. Pourquoi les produits islamiques ont été protégés au cours des dernières années ? Parce que les produits islamiques ne pouvaient pas investir dans les produits financiers dérivés ou dans les banques qui étaient liées aux produits financiers. Par exemple, si on prend la spéculation, elle est fortement interdite en Islam. C’est d’ailleurs la spéculation qui a causé la crise en Europe, aux Etats-Unis… Ce à quoi il faut faire très attention, c’est que les produits islamiques actuels essaient de reproduire les caractéristiques des produits conventionnels. Et tant qu’ils feront cela, ils seront aussi exposés aux risques qui caractérisent la finance conventionnelle.
- F. N. H. : Jusqu’à quel degré un investisseur peut-il s’assurer du respect des préceptes de l’Islam ?
- R. A. : Ces règles d’interdiction d’investir dans tout ce qui est spéculatif comme les produits compliqués : les options, les futurs… dans lesquels les gens investissent sans parfaitement comprendre, ces produits-là sont interdits en Islam. Les acteurs qui n’investissent que dans des produits islamiques ont été protégés des risques de la spéculation.
- F. N. H. : Pouvez-vous nous éclairer davantage sur la relation qui lie le Takaful aux sukuks ?
- R. A. : Dans le monde des assurances, une fois que nous avons récolté les primes des assurances (ce que le client paie à la compagnie pour un prêt mutualisé), il faut trouver des produits où les investir, des produits qui sont suffisamment liquides et peu risqués. Il faut aussi qu’ils soient compatibles avec la charia. Donc, c’est pour cela que j’insiste sur le fait que les sukuks soient développés en parallèle parce que justement ils répondent à ces critères. Ce sont des produits qui vont ramener des profits trimestriels liés à des actifs qui existent et qui sont peu risqués comme par exemple les actifs immobiliers qui appartiennent à l’Etat dans le cas où ce dernier émet les sukuks. À ce moment, on va avoir un produit sécurisé dans lequel on va pouvoir investir les primes d’assurance. C’est pour cela que je dis que c’est lié, sinon le Takaful va avoir du mal à trouver des produits dans lesquels il peut investir les primes, parce qu’il faut des produits conformes à la charia complaint, et pas risqués. On ne va pas pouvoir investir dans des actions de charia complaint parce qu’ils sont trop risqués et même interdits par les lois d’assurance habituelles. Donc, il faut trouver quelque chose de plus stable.
- F. N. H. : Est-ce que c’est ce qui explique que le Takaful reste peu développé par rapport aux autres produits sur le plan international ?
- R. A. : Nous, à Wafra Capital Partners, nous développons des produits islamiques qui investissent dans l’immobilier. Et lorsque nous parlons aux Oulémas, l’assurance vient après. Pourquoi ? Parce que si on investit en Europe, l’assurance islamique n’existe pas. Donc, on achète des immeubles et on les assure de manière conventionnelle. Tant que le marché ne se développe pas, les Oulémas vont nous dire que l’on peut s’assurer de manière conventionnelle du moment que les produits n’existent pas. Alors, quelque part, le takaful a été délaissé par les acteurs et n’a pas été développé de la manière avec laquelle il fallait le développer. Et même le public en général n’est pas conscient du fait que les assurances conventionnelles ne sont pas compatibles avec les règles de l’Islam. C’est tellement complexe que c’est difficile à expliquer au particulier qui n’a aucune connaissance financière.
- F. N. H. : Ceci dit, quelles sont les principales recommandations que vous préconisez pour le cas du Maroc ?
- R. A. : Déjà, il y a une question intéressante qui se pose d’emblée : pour bon nombre d’opérateurs, il faut savoir si ces produits vont phagocyter les produits conventionnels. Je pense que les banques marocaines doivent aller au-delà de cette peur. Ce sont des produits différents qui s’adressent à des clientèles différentes. Parce que tant qu’elles pensent que les produits islamiques vont concurrencer ceux qu’elles commercialisent et qu’elles maîtrisent, elles ne vont pas réussir à les vendre. Je pense que la meilleure des choses à faire est qu’une banque entièrement islamique vienne ici au Maroc pour montrer que ce marché existe et pour que les autres se mettent à développer le marché islamique.
- F. N. H. : Et pour les banques existantes, est-ce qu’elles n’ont pas le droit de commercialiser et les produits conventionnels et les produits islamiques ?
- R. A. : Il y a plusieurs méthodes. On peut citer celle que l’on appelle Window. C’est une version simplifiée, dans la mesure où nous n’avons pas à créer une vraie filiale avec une nouvelle licence bancaire. Je parle de ce qui existe en Europe et, pour le Maroc, je ne sais pas comment le système bancaire fonctionne. Il y a aussi le moyen de créer une filiale complètement séparée du système bancaire conventionnel. Dans le cas du Window, la seule chose qui est nécessaire c’est d’avoir un compte bancaire complètement séparé du reste du système. Il y a, par exemple, des banques anglaises qui offrent ce service-là en développant un compte nostro qui va permettre de séparer les flux d’argent islamique des autres flux.
Dossier réalisé par S. E. & I. B