Par Abdelhak Najib, écrivain-journaliste
On célèbre dans quelques jours le 54ème anniversaire de l’expédition Ra menée par le grand scientifique norvégien Thor Heyerdahl, en compagnie d’un Marocain, Haj Madani Ait Ouhani. C’est une expédition qui a marqué l’histoire. Une traversée unique de tout un océan pour des raisons scientifiques.
Dans ce sens, Haj Madani Ait Ouhani est un homme comblé. Quand il regarde par-dessus l'épaule, il y a plus de cinquante ans, il a vécu un exploit humain de grande envergure. Une telle action dans une vie pourrait suffire. Quoi de plus grand, de plus valeureux que de participer à la traversée de l'Atlantique, à bord d'un bateau en papyrus, en compagnie du grand explorateur et scientifique norvégien, Thor Heyerdahl. L'aventure est là. Le miracle aussi d'arriver sains et saufs, après 6 200 km marin à la Barbade.
Ra II, grande expédition scientifique, devait à l'origine se faire sans le Marocain Haj Madani Ait Ouhani. C'est un Tchadien qui était de la partie. Mais le hasard a fait que Heyerdahl atterrisse à Safi, que Haj Madani y soit, lui le natif de Marrakech, et de fil en aiguille, Thor Heyerdahl lui propose de monter à bord et de vivre cette odyssée avec eux.
«C'est la chance de ma vie. Notre ami du Tchad ne pouvait plus y aller, sa femme avait donné naissance à un enfant. Moi, qui avais fréquenté toute l'équipe pendant des jours vu que je travaillais à Safi, je me suis lié d'amitié avec tout le monde. Heyerdahl était même accusé de racisme après la défection de notre ami tchadien. Lui tenait à avoir un Africain avec le groupe et moi je voyais là une occasion d'inscrire le nom du Maroc dans les annales de cette histoire». Et c'est fait.
Haj Madani Ait Ouhani monte à bord et se voit charger de collecter avec l'équipe des échantillons marins pour étudier le degré des pollutions des mers. En quelques heures, Haj Madani Ait Ouhani est passé du simple citoyen lambda à une figure d'explorateur des océans qui navigue vers l'inconnu pendant plus de 57 jours.
C'est la traversée qui est belle, imprévisible, forte, dure, terrifiante par moments, sublime à tous égards : «Nous sommes à bord d'un bateau comme les Égyptiens de l'Antiquité en fabriquaient. D'un côté, il fallait prouver que l'on pouvait traverser l'Atlantique avec une telle embarcation. De l'autre, il fallait réussir l'expédition scientifique. Heyerdahl n'avait pas droit à l'erreur. Mais une fois au large, quand il n'y a plus de terre en vue, le monde change. Nous sommes devenus autres, changés, transcendés, pris dans l'ivresse de la traversée, mais avec toujours une peur qui ne vous quitte jamais», se souvient Haj Madani Ait Ouhani. La vie avec l'équipage se déroule au gré de la houle.
Imaginez dix hommes ballottés par les vents et les vagues au cœur de l'Atlantique. Imaginez la vie après 57 jours sans toucher terre. Imaginez la tension, le stress, les phobies des uns et des autres, et pourtant, malgré tout ceci : «nous avons vécu des moments inoubliables. Nous étions de plusieurs nationalités, de plusieurs cultures, mais nous étions unis par le même objectif, arriver à bon port, accomplir notre mission et pour ma part, inscrire le Maroc dans ce périple me tenait à cœur. C'est aujourd'hui fait». Tout à fait. Partout dans le monde, Haj Madani Ait Ouhani est associé à Ra II et Thor Heyerdhal qui est décédé en 2002.
D'ailleurs, Haj Madani Ait Ouhani est le dernier survivant de cette odyssée. Il est invité partout dans le monde pour animer des conférences, apporter des témoignages, sauf au Maroc. «Je n'ai pas d'explication à cela. Et si vous voulez la vérité, je n'en cherche pas. J'ai fait ce que j'avais à faire. J'ai vécu cette aventure grandiose. Évidemment, la reconnaissance de mon pays est capitale pour moi, mais je ne suis pas homme à quémander quoi que ce soit».
Autrement dit, Haj Madani Ait Ouhani a servi son pays et l'humanité. Il a montré ce qu'il pouvait faire, il y a plus d’un demi-siècle, mais pour son pays, c'est aujourd'hui à son pays de montrer ce qu'il peut faire pour lui.