Par Abdelhak Najib. Écrivain-journaliste
La mode est au selfie pris quand on donne un petit sac de provisions à un pauvre. C’est à la fois insultant, injurieux, désolant, misérable et d’un humanisme crade. Celui qui veut faire du bien, le fait entre lui et lui-même, caché, et ne s’en vante jamais. Mais bon, on va dire que la vie des uns et des autres est devenue si étriquée qu’il faut lui donner du pep's en immortalisant un cliché sur la pauvreté avec monsieur ou madame qui fait du bien. Ce type de bien, vous pouvez vous en passer si le but premier qui y préside n’est pas de rendre heureux des gens dans le grand besoin sans les utiliser pour gagner en like et en commentaires de pacotille.
Ceci dit, on passe au vif du sujet, qui est celui des laissés-pour-compte de ce mois sacré, tous les indigents, tous les pauvres, tous les vagabonds, tous les sans-abris, tous les SDF, qui n’ont rien à se mettre sous la dent et que nous croisons tous dans toutes les rues, faisant presque semblant qu’on ne les voit plus.
C’est une magnifique chose d’avoir une table de ramadan bien garnie (que Dieu vous en donne davantage et à tous), mais de savoir que le gardien du quartier n’a rien à manger, que le cireur va passer la journée à espérer en vain, que la vieille dame du coin de la rue rentrera le soir chez elle, dans sa bicoque bredouille, que les enfants SDF vont écouler leurs vieux souliers à longueur de journée, le cerveau dans le coltard et la faim au ventre. Sans parler des voisins qui n’ont plus de rentrées d’argent depuis plus de 14 mois, et qui ne peuvent plus joindre les deux bouts. Sans parler des femmes de ménage, des «petites bonnes» (je déteste ce mot), des coursiers, des porteurs et autres vendeurs à la sauvette, qui ont tout perdu et qui ne peuvent plus subvenir ni à leurs besoins ni à ceux des leurs. Plus de 50% de Marocains ne peuvent plus mettre un petit pécule de côté, lit-on dans un rapport qui vient de sortir. Ceci pour ceux qui pouvaient le faire avant mais qui ne le peuvent plus, à cause du covid-19 et des arrêts de travail et de la rareté des sous qui ne rentrent plus. Que penser alors de ceux qui vivaient déjà sous le seuil de la pauvreté ? Comment vivent-ils aujourd’hui ? Comment arrivent-ils à gagner de quoi survivre ? Qui les aide ? Comment on les aide ? Quels sont leurs véritables besoins ?
C’est là où le bât blesse. Il y a des millions de nos frères et de nos sœurs marocains qui souffrent, qui ont faim, qui n’ont plus rien à mettre sous la dent, qui pleurent et qui patientent en attendant des jours meilleurs, mais ceux-là semblent si loin, avec le coronavirus qui s’est installé et la fermeture de millions de lieux de travail qui ont sonné le glas des petites économies vite balayées par la crise, qui est si dure chez nous, depuis plus d’un an.
C’est dans ce sens que nous sommes tous, oui nous tous les Marocains, nous devons refuser de manger si un pauvre parmi nous n’a pas de quoi se nourrir. Nous devons aider tous les démunis, à commencer par son immeuble, avec son voisin, dans son quartier, avec tous ceux qui ont besoin d’un bout de pain et d’un verre de lait, d’une datte et d’un thé chaud. Cela ne coûte rien au Marocain, qui a toujours grandi dans la culture de l’hospitalité, de partager ce qu’on a avec les autres, d’avoir la force de se contenter de peu, pour donner aux autres et rendre le sourire à des millions d’âmes tristes qui survivent parmi nous. Et sans selfie, s’il vous plaît, ça fausse tout. Amen.