Le projet de loi régissant le code des mutuelles comporte trois volets : le champ d’application des mutuelles, leur gouvernance et la gestion des risques qui comprend également le regroupement d’entités. Selon Abdelaziz Alaoui, président de la Caisse mutualiste interprofessionnelle marocaine, qui a réuni tous ces hauts cadres pour une journée d’étude à ce sujet, «le projet de loi a été établi sans consultation préalable des concernés». La CMIM a invité à l’occasion Jean Paul Siegel, juriste spécialisé dans la protection sociale et le droit du travail et ex-Directeur général d’une mutuelle française, à commenter le projet de loi régissant le secteur. Siegel a pu relever plusieurs dysfonctionnements potentiels.
«Ce projet de loi est ambitieux, exhaustif et un peu trop précis» a déclaré le juriste. Selon lui, un texte trop précis provoquera une paralysie rapide et il faudra faire une nouvelle réforme au bout de quelques années. «Les autorités ont exprimé leur reconnaissance de la maturité du secteur et de son rôle économique, mais je ne pense pas que ce ne soit pas facile à mettre en œuvre», a-t-il également déclaré.
Après avoir exprimé son enthousiasme, Siegel s’est attaqué au texte et à son incohérence. Premièrement, sur le volet du champ d’activité, la loi cantonne énormément les prérogatives des mutuelles. Ce bétonnage ne permet pas de hisser l’activité du secteur aux standards internationaux. Il ne s’agit pas de pousser les mutuelles à se tourner vers les marchés financiers comme peuvent le faire les assurances, mais de leur permettre de sophistiquer leurs produits. Par ailleurs, l’expert a relevé des incohérence, au niveau de la rédaction même du texte de loi. Par exemple, l’article 1 du projet stipule que les mutuelles ne pourront fonctionner qu’avec les cotisations de leurs adhérents alors que dans les article 3 et 83, il est stipulé que les mutuelles peuvent recevoir des dons et lègs. Le texte de loi site également le mot « œuvre» pour présenter les prestations des mutuelles. Ce mot est diminutif des fonctions de ces organismes: «En Europe, les mutuelles gèrent des centres hospitaliers à la pointe de la technologie. On est loin des œuvres sociales de bases telles que définies durant les années 40. Le Maroc devrait aussi se détacher de cette vision minimaliste».
Signalons également l’article 8 du projet de loi qui fixe les délais de paiement des prestations. «Cela ne peut pas être fixé par la loi. Il faut permettre aux mutuelles de fixer au cas par cas les délais de remboursement ou paiement des prestations selon la nature des cotisants».
Le volet de la gouvernance a été beaucoup critiqué à son tour. Il serait mal pensé et prête beaucoup à confusion. L’article 68 du projet de loi impose une direction collégiale à trois membres. «Il n’ y a ici aucun respect du principe de proportionnalité». Certaines mutuelles auront besoin de trois membres alors que d’autres auront besoin de plus. Aussi, il est stipulé dans l’article 66 que les membres doivent avoir un niveau de formation Bac+5. «C’est une fausse garantie de compétence. Une loi ne peut pas imposer une règle pareille», déclare l’expert.
La mutuelle dans le collimateur des grands groupes
En Europe, le contexte économique des mutuelles est jugé incertain par les économistes. Bien que le secteur draine 25% des parts du marché de l’assurance avec plus de 160 millions de personnes concernées, l’activité est de plus en plus banalisée. Le mouvement mutualiste est régi aujourd’hui par les mêmes textes de lois que les assurances. Les règles prudentielles de Solvency 2 lui seront bientôt appliquées, sachant que les critères de gouvernance de Solvency sont déjà appliqués. Fiscalement, le traitement des mutuelles est identique à celui des assurances, surtout que ces dernières ont développé des pôles «activités de marché» performants depuis quelques années. Au Maroc, même si les autorités souhaitent encadrer les pratiques de ces organismes, cela devrait entraîner dans le futur, selon les professionnels, une uniformisation des lois entre assurances et mutuelles. Les banques traditionnelles devront également faire de la concurrence aux mutuelles par des produits de bancassurance. En effet, les produits sanitaires augmentent la fréquence des contacts entre la banque et le client (une moyenne de 12 rencontres par an, contre une rencontre tous les 6 ans pour d’autres produits d’assurances comme l’assurance habitat). Un excellent moyen d’augmenter la visibilité des autres produits bancaires et à moindre coût. Globalement, l’évolution de la réglementation du secteur au Maroc devrait plus profiter aux nouveaux entrants qu’aux opérateurs historiques.
A. Hlimi