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Le temps des lâches

Le temps des lâches

Les voici de nouveau qui s’illustrent par leur mutisme revendiqué, par leur immobilisme assumé, par leur frilosité érigée en credo. Les voici qui reviennent, les lâches. Tous ceux qui ne pipent mot. Tous ceux qui se terrent. Tous ceux qui rasent les murs. Tous ceux qui regardent ailleurs, en aveugles, foudroyés par la trouille qui leur ronge les viscères. 

 

Par Abdelhak Najib 

Écrivain-journaliste

 

Tous ceux qui ne réagissent jamais face à rien : injustices, massacres humains, guerres, conflits, invasions, dictature, ingérences militaires et politiques, extrémismes de tous poils, racismes, xénophobie, instrumentalisations des religions, antisémitisme, mensonges d’État, censures, interdictions, incarcérations des penseurs et des artistes dignes de ce nom (pas tous ces charlatans qui donnent dans la variété et amusent la galerie dans une débile braderie de conneries)…  

Les voici de retour, tous ceux qui n’ont rien dans les tripes. Tous ceux qui se cachent en attendant que l’essentiel passe, parce qu’ils ne réagissent qu’au superflu, ils ne parlent que du banal, ils ne s’intéressent qu’au futile qui n’engage en rien. Les voici, en conciliabules, chuchotant, murmurant, comme des taupes, à thésauriser sur leur couardise, toujours ensemble, en groupe, en conglomérat, de concert, se concertant pour donner illusion à leur veulerie, à leur bassesse.

Beaucoup trop-nombreux, ils sont. Constamment fébriles, toujours désarçonnés, donnant de profonds signes d’épuisement de l’esprit, traînant une grande dépression physique, ils biaisent. Ils vont de travers, la figure de traviole. C’est que c’est laid un lâche. Il dégouline de fausseté. Il pue l’exécrable. Il suinte de tous ses pores des miasmes délétères. Il est odieux, le lâche. Il est vil, le couard. Il est crade, l’hypocrite. Celui-ci se révèle quand il faut se mouiller. Celui-ci est démasqué quand il faut aller au charbon. Celui-ci est percé à jour quand il faut agir, quand il faut assumer, quand il faut répondre présent. Celui-ci est constamment absent quand il faut se montrer. Il se débine, c’est sa nature. Il déguerpit, c’est sa condition.

Il évite tout ce qui engage parce qu’il n’a aucune valeur étant de cette catégorie des humanoïdes qui connaissent le prix de tout et ignorent la valeur de l’essentiel. Pour le lâche, tout est affaire de calculs et d’intérêts. Il est stimulé par le rendement. Il s’excite face à l’inertie qui le paralyse et en veut à tous ceux qui se tiennent debout, il voue une haine larvée à tous ceux qui bravent le danger, il nourrit un odieux ressentiment à l’égard de tous ceux qui prennent des risques. Il déteste tous ceux qui luttent. Il se lâche en diatribes sur tous ceux qui se battent et qui n’abdiquent jamais étant, lui, le lâche, adepte invétéré de la démission systématique. Il juge facilement ceux qui lui renvoient sa piètre image de limace apeurée. Il leur en veut, foncièrement. Il leur voue une haine morbide, et quand il est face à celui qui n’a pas peur de prendre les pires risques, il se confond en flatterie, unique langage qu’il manie. Chez lui, il y a d’ailleurs deux extrêmes: la jalousie ou la flatterie. Mesquin, il rumine sa rancœur jusqu’à en avoir le haut le cœur. Puis, il vomit sa jalousie. Il rend ses tripes en petitesses recyclées pour chaque circonstance.

Aujourd’hui, alors que le monde est à feu et à sang, aujourd’hui, face aux dictatures qui gagnent du terrain, face aux crimes contre l’humanité, face au meurtre, face aux holocaustes et aux autodafés, aujourd’hui face à la peur, à l’angoisse, à l’horreur que vivent les humains, parqués dans des cités de plus en plus hostiles, faites de rouille et de ferraille, de bruit et de fureur, aujourd’hui, les lâches hibernent. Un long sommeil atone qui dure depuis longtemps et qui va encore s’étaler dans le temps. C’est que ces lâches qui se comptent par millions savent qu’ils n’ont aucune incidence sur le cours de l’histoire. En ceci, ils ont bien raison de fermer leurs gueules. Personne ne les connaît. Personne ne les lit. Personne ne les considère. Pourtant, les occasions ne manquent pas de se faire connaître en allant puiser au fond des veines un dernier relent de courage. Mais il faut se résoudre à cette cruelle vérité : le sang est coagulé. Plus rien n’y vibre. Mort est le lâche et il ne le sait pas encore. Mort, parce qu’il ne prend aucune position. Mort, parce qu’il ne défend aucune cause humaine digne de ce nom. Mort, parce qu’il a peur de son ombre.

Le pire aujourd’hui, c’est que le lâche s’est doublé du mouchard. Il est monté en grade. Il est devenu aussi délateur. L’un ne va d’ailleurs pas sans l’autre. Le lâche colporte. Il transmet. Il fait le coursier qui livre des informations : toujours fausses de préférences. Fausses et inventées de toutes pièces. C’est sa spécialité. Il y excelle, parce qu’il s’y adonne avec jubilation. Il adore médire des autres. Il aime par-dessus tout raconter des bobards sur le dos des autres. Il fomente de faux conflits. Il s’affaire à passer des coups de fil, à faire des prises d’images, à scanner des écrans et à partager avec ses semblables.  Et vas-y que je commente ! Et vas-y que j’invective ! Et vas-y que je manigance des bêtises. Une somme considérable d’énergie perdue à ne rien accomplir. A telle enseigne que le lâche-délateur est constamment éreinté d’avoir trop menti, d’avoir trop dit, d’avoir trop déblatéré.

Essoufflé, hors d’haleine, il halète et lorgne les miettes de sa médisance. Il cherche du soutien chez d’autres lâches de la même espèce. Ils se mettent alors d’accord pour donner des justifications à leur crasse. Et ils arrivent toujours. Alors, la bande de rigolos multiplie les contacts à la recherche d’autres volontaires de la couardise. Ceux-ci se déclarent rapidement étant trop nombreux. Ils se passent le mot et s’allient. Ils se fédèrent et deviennent copains comme cochons. Ils se liguent contre tous ceux qui leur dament le pion et les ridiculisent, contre ceux qui n’ont pas peur de perdre, qui n’ont cure de vaincre, parce que leur regard porte au-delà de ces petites contingences, parce qu’ils ont le souffle du marathonien, parce qu’ils ont l’agilité du sauteur de cimes, qui ne fraie jamais avec la fange et le caniveau. Parce que celui qui a choisi de marcher seul n’a aucun besoin de la foule qui meugle et braie. Il se suffit à lui-même. Il crée son propre cheminement à chaque pas, au fur et à mesure qu’il invente sa trajectoire, toujours loin des conglomérats, des clubs, des groupes, des bandes, des associations, des comités, des rassemblements et autres attroupements.  

Parce que quand le lâche cherche renfort dans de douteuses cautions morales, le vaillant, lui, crée sa propre ligne de conduite et ne quémande aucune bénédiction. Il va. Il fait face. Il se tient debout. Il ne se courbe jamais.

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