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Chronique : Il y a ceux qui se mouillent et ceux qui regardent la pluie tomber

Chronique : Il y a ceux qui se mouillent et ceux qui regardent la pluie tomber

Abdelhak Najib 
Écrivain-journaliste 

Il y a de ces adages valables pour toutes les époques. Comme cette leçon de vie grecque qui dit que l’âne n’a aucune chance de participer à une course de chevaux, pourtant, il se moque toujours du cheval perdant.  C’est comme dans le commerce des humains, on croit toujours volontiers celui qui calomnie l’ennemi, comme le rappelle Henri Vincenot. Celui qui se tient au pied d’une crête trouve toujours à redire sur celui qui escalade la montagne, tout comme celui qui revendique son droit à ne rien faire se répand en miasmes sur ceux qui triment. L’histoire humaine nous a enseigné ceci d’infaillible : il y a ceux qui se mouillent et ceux qui regardent la pluie tomber. Les premiers peuvent décrire ce qu’ils ressentent au contact de l’eau qui leur pénètre les os. Les seconds ont du mal à comprendre pourquoi il y a autant de joie à prendre des risques, à courir le monde, à s’aventurer là où d’autres sont incapables d’aller, de penser l’impensable et de vivre aux antipodes de la masse. C’est dans ce sens que «Rien ne se décrit si bien que ce qui se connaît à peine. On ne découvre que ce qu’on ne connaît pas», comme le précise Paul Éluard. La vie toute entière se résume à ce simple mot : découverte. Pour cela, il suffit de marcher et d ne jamais s’établir, car le danger est d’être un sédentaire de la pensée et de l’imaginaire. Pour cela, il faut atteindre un stade crucial dans l’évolution au sein de la société. Il faut devenir autre et veiller à ne jamais ressembler à aucun autre. Il faut s’appliquer à devenir un homme grave, sérieux et solitaire. Un homme calme en apparence. Un homme avec un magma dans les tripes. Un homme qui a la tête qui carbure à une vitesse vertigineuse. Un homme qui parle peu. Un homme qui se tait. Souvent. Beaucoup.

Un homme qui a désappris la parole. Un homme qui a pris goût au silence. Des silences pleins. Loin de la foule. Loin du bruit de la cité hurlante. Le tout en gardant à l’esprit que la solitude est de vivre au milieu de tous ces gens aimables qui ne vous demandent que de dissimuler vos pensées, parce qu’ils ne peuvent ni les comprendre ni les écouter. Car, il est impossible d’espérer guérir en restant dans le même environnement qui nous a rendu malade. Il faut le laisser derrière soi ; Il faut savoir partir et ne jamais revenir.   Sans oublier, non plus,  que «La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie» avait coutume de répéter ce vieux Sénèque. Ou alors danser au bord du gouffre, comme ce sauteur des cimes de la Gaïa Scienza. Cet homme ne peut vivre que sur le fil du rasoir. Il a peur du confort contagieux.

Il a besoin de froid, de gel, de chaleur, de canicule, de territoires hostiles, de désert, d’errance solitaire pour ne jamais sombrer dans la vacuité du monde et de ses pièges, qui réduisent les humains à de simples bêtes de somme, avachies, repues et alourdies par tant de boulets qu’elles ont scellé elles-mêmes autour du jarret. Dans cette trajectoire, seuls ceux qui se risqueront à peut-être aller trop loin sauront jusqu’où il est possible d’aller. Avec cet impératif : «Observer attentivement, c’est se rappeler distinctement», comme avait coutume de répéter Edgar Allan Poe. Il faut tout voir. Il faut tout étudier. Il ne faut rien laisser au hasard, dans un élan de vouloir comprendre, saisir, faire le tri, tamiser, pour garder le suc épuré de toute chose. C’est là un exercice qui se pratique en solitaire. Parce que tout individu sensé finit par comprendre que la solitude loin des gens offre un avantage considérable loin de la bassesse et de la misère de l’esprit de l’écrasante majorité des gens. Parce que le pire chez cette masse humaine hagarde est la misère du cœur et de l’esprit qui pousse toute cette horde à plus de cruauté et de haine. Ce qui ronge le cœur et achève l’esprit. Dans cette logique implacable de la plèbe, toute personne qui se comporte avec bonté et bienveillance avec les autres finit tôt ou tard par se faire rattraper par la méchanceté des gens qui ne peuvent supporter la présence d’un être aussi humain au milieu de leur troupeau. Ils se liguent contre lui. Ils tentent par tous les moyens de l’achever. Cet électron libre représente un grand danger pour le troupeau. Sa façon de tout court-circuiter cause beaucoup de désordre dans la ligne pré-tracée de toute la communauté. C’est cela qui fait que de très nombreuses personnes ne peuvent jamais vous apprécier encore moins être dans vos sillages, pour la simple raison que votre esprit bouscule leurs démons et met leur vacuité à poil. « La peur collective favorise l’instinct grégaire et la cruauté envers ceux qui n’appartiennent pas au troupeau », nous rappelle Bertrand Russell. Parce que les humains sont toujours contre la raison quand la raison est contre eux. Ce qui nous renseigne sur le sens même de la faiblesse qui caractérise l’écrasante majorité des humains dont toute la méchanceté a sa source dans leur faiblesse. Cette incapacité de sortir des rangs et de refuser d’être mené aux abattoirs telle une bête de somme, fait que tout le monde adopte la haine comme mode de fonctionnement. Une haine si exacerbée qu’elle découle de la manière dont l’existence est déclinée dans toutes les sociétés humaines : naître, boire, manger, sortir d’une boîte pour entrer dans une autre, entre la maison, le véhicule, le bureau, le lieu du culte, la prison et enfin la tombe. Quelle misère d’appeler cela vie : «Les grands n’ouvrent pas de bureaux, ne facturent pas de frais, ne donnent pas de conférences et n’écrivent pas de livres. La sagesse est silencieuse, et la propagande la plus efficace en faveur de la vérité est la force de l’exemple personnel. Les grands attirent des disciples, des personnages mineurs dont la mission est de prêcher et d'enseigner. Ce sont des évangiles qui, inégaux à la tâche la plus élevée, passent leur vie à convertir les autres. Les grands sont indifférents, au sens le plus profond. Ils ne vous demandent pas de croire : ils vous électrisent par leur comportement. Ce sont eux les éveilleurs. Ce que vous faites de votre petite vie ne les concerne pas. Ce que vous faites de votre vie ne concerne que vous, semblent-ils dire. Bref, leur seul but ici sur terre est d’inspirer. Et que demander de plus à un être humain ? », résume Henry Miller.

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