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Mères célibataires au Maroc : Le cri muet

Mères célibataires au Maroc : Le cri muet

● Le fléau des mères célibataires continue de prendre de l’ampleur au Maroc. Chaque année, plus de 50.000 enfants naissent suite à une relation hors mariage.

● Malgré tous les efforts déployés par le corps associatif pour faire évoluer la situation de cette catégorie, ces femmes ne peuvent toujours pas disposer d’un livret de famille.

 

Par Meryem Ait Ouaanna & Malak Boukhari 

Le statut de mère célibataire, Rahma ne l’a pas choisi; il lui a été imposé. Comme toutes les filles de son âge, Rahma rêvait d’une enfance innocente, mais celle-ci lui a été arrachée. A peine âgée de 12 ans, Rahma s’est retrouvée face à une réalité amère, celle de renoncer à sa vie stable et épanouie en assurant un rôle qui allait peser lourd sur ses épaules. Celui d’être maman, et pas que, une maman célibataire.

Rahma n’est pas la seule à avoir connu un tel sort, car chaque année au Maroc, plus de 50.000 enfants naissent d’une union illégale. Ce constat qui fait froid dans le dos, est en effet révélateur d’un vrai fléau social. Si ces nouveau-nés sont dans certains cas le fruit d’un rapport consentant, il n’en est pas de même pour d’autres, venus au monde suite à un viol.

L’histoire tragique de Rahma a débuté lorsqu’elle avait 11 ans. Vivant dans un petit village montagneux situé près de la ville de Tiflet, ses parents ont toujours veillé à la protéger des griffes des prédateurs sexuels errant dans les alentours, allant même jusqu’à l’empêcher de fréquenter les bancs de l’école. Hélas, ce qu’ils redoutaient le plus finit par arriver, Rahma se faisait fréquemment violer par trois villageois au moment où ses parents travaillaient dans les champs. N’étant pas au bout de ses peines, Rahma se retrouva, malgré elle, maman d’un petit garçon et victime d’une société sans pitié. Heureusement, en traversant ce chemin périlleux, Rahma a pu croiser INSAF (Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse), qui l’a prise sous ses ailes.

Le corps associatif, le pansement qui soigne la plaie

INSAF fait partie des associations qui militent depuis des années pour la cause des mères célibataires au Maroc. En 2021, un total de 408 mamans a été accueilli au sein de cette institution, contre 368 en 2020. Ces femmes trouvent en INSAF un refuge face aux jugements négatifs de leur entourage.

INSAF prend en charge ces mamans à travers plusieurs services, outre l’hébergement, celles-ci bénéficient au moins jusqu’à la naissance de leur enfant de soins médicaux, un accompagnement psychologique et juridique, une médiation
familiale, des formations, etc. «Sur 22 ans d’existence, INSAF a pu accompagner plus de 12.000 mères célibataires. Certaines ont été insérées dans leur famille et d’autres ont été autonomisées ou insérées en milieuprofessionnel», affirme Meriem Othmani, présidente-fondatrice de l'association.

«La situation des mères célibataires au Maroc est bien triste. Elles sont cruellement rejetées par leurs familles et amis, qu’elles aient été violées ou non, elles sont condamnées à jamais et on ne pardonne pas leur infamie. Et pourtant, ce sont seulement de pauvres victimes qui ont été naïves et qui se sont trouvées au mauvais moment dans une situation critique. Quand elles décident de garder leur bébé, elles sont héroïquement courageuses car toute leur vie on leur reprochera l’existence de cet enfant illégitime», s’insurge-t-elle.

Selon une étude menée par INSAF en 2010, entre 2003 et 2009, plus de 210.000 mères célibataires ont été recensées au Maroc. Sur cette même période, 24 enfants ont été abandonnés quotidiennement. Actualisée en 2015, ladite étude démontre que rien que pour la région de Casablanca-Settat, 44.000 enfants nés hors mariage ont été répertoriés entre 2004 et 2014, soit 3.366 enfants par an. Pour cette même période, INSAF démontre que 9.400 enfants ont été abandonnés dans la même région, soit une moyenne de 850 abandons par an.

Hors-la-loi !

Le fléau des mères célibataires est toujours tabou au Maroc. Malgré les multiples efforts consentis par la société civile, ces sujets ne parviennent toujours pas à jouir d’une vie normale. Plusieurs facteurs alimentent cet acharnement contre cette catégorie sociale, d’abord les aspects religieux et juridiques qui font que ces femmes sont déclarées hors-la-loi. En effet, l’article 490 du Code pénal incrimine les relations sexuelles hors mariage, les concernés risquent ainsi des peines de prison allant d’un mois à un an. Dans la majorité des
cas, consentement ou pas, la responsabilité est endossée par les femmes puisque le géniteur refuse souvent de reconnaître son enfant.

«Au cas où une grossesse survient hors mariage, deux facteurs font que le géniteur se désiste. Un premier culturel, c’est lorsque la personne n’ose pas informer ses proches et un autre financier relatif au manque de moyens pour gérer un foyer. Ce phénomène prend de l’ampleur au Maroc suite notamment à une absence d’éducation sexuelle qui donne lieu à une certaine frustration conduisant alors à la multiplication de ce genre d’incident. Si ces couples avaient recours à des moyens contraceptifs, de telles conséquences n’auraient pas
pu avoir lieu. D’où l’importance de la sensibilisation que ce soit chez la petite enfance ou les adolescents quitte même à l’intégrer dans le système éducatif», explique Mouhcine Hichy, consultant en développement humain et en sociologie.

Pour sa part, Meriem Othmani considère que de nombreuses lois sont désormais obsolètes et ne répondent plus aux droits fondamentaux des femmes en général et des mères célibataires et leurs enfants en particulier. «Par exemple, pour l’article 490, la mère célibataire en subit de plein fouet les conséquences alors que le géniteur de cet enfant y échappe tout simplement. Pour un accès total aux droits fondamentaux, il est impératif de revoir les lois en faveur de cette catégorie, entre autres la reconnaissance de la mère célibataire en tant
que cheffe de famille monoparentale, la garantie d’une identité à l’enfant, la systématisation de la reconnaissance de la paternité avec le test ADN, la jouissance des droits sociaux et de la protection sociale», détaille-t-elle.

IVG : La solution «maudite»

Ce qui met ces femmes sur la corde raide, c’est l’obligation de garder cet enfant, car au Maroc ni la religion ni la législation n’autorisent l’avortement. En se référant au cadre religieux, les articles de 449 à 504 du Code pénal interdisent l’avortement sous peine d’emprisonnement, à moins que cette grossesse ne constitue un danger pour la santé de la mère.

Avant son retrait du parlement par le nouvel exécutif, une proposition de loi adoptée par le Conseil de gouvernement en 2015 prévoyait trois exceptions supplémentaires justifiant l’avortement. Il s’agit de la malformation fœtale, la souffrance d’un trouble mental pour la mère et la grossesse issue d’un viol ou d’un inceste.

En revanche, pour éviter ces complications juridiques, beaucoup de femmes choisissent comme issue de secours une IVG clandestine, mettant ainsi leur vie en danger. D’après des chiffres énoncés par l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin (AMLAC), entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués quotidiennement au Maroc.

Livret de famille : Tu ne l’auras point

Que ce soit avant ou après l’accouchement, les mères célibataires vivent au quotidien un véritable calvaire. Suite à leur situation considérée comme illégale, celles-ci sont privées ainsi que leurs enfants des droits les plus fondamentaux. Dans son article 23, la loi relative à l’état civil exclut les mères célibataires des listes des personnes éligibles à recevoir le livret de famille, un document indispensable pour pouvoir bénéficier de plusieurs services.

Face à tous ces obstacles, un changement de paradigme s’impose pour faire avancer la situation des mères célibataires au Maroc. «Nous aspirons à ce que notre pays puisse offrir à ces femmes des conditions de vie meilleures à travers notamment une sensibilisation sur le plan culturel. Il faut expliquer aux citoyens qu’avoir un enfant dans un cadre illégal n’est pas un crime et qu’il s’agit généralement d’un incident puis d’un désistement du géniteur. Après tout, cet enfant issu d’une union hors mariage devrait avoir les mêmes droits que le reste de la population», réclame Mouhcine Hichy.

Pointant du doigt un vide juridique concernant la question des mères célibataires, ce consultant en développement humain et en sociologie fait part de ses propositions pour y remédier. «En termes de juridiction, le flou persiste surtout qu’à partir du moment où le père ne reconnaît pas son enfant, ce dernier reste illégitime. Face à cela, la première chose à faire est de permettre les tests ADN au niveau du ministère de l’Intérieur et de la Famille afin que la reconnaissance de l’enfant par son géniteur soit automatique», souligne-t-il.

S'exprimant en novembre dernier au sujet des mères célibataires, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a annoncé qu’une mesure visant à responsabiliser davantage le géniteur devrait être introduite dans le Code pénal. «Si l’ADN prouve qu’une relation extraconjugale entre un homme et une femme a conduit à la grossesse puis à la naissance d’un enfant, l’un des parents de ce dernier doit le prendre en charge jusqu’à ce qu’il atteigne ses 21 ans», a-t-il indiqué.

Coup de pouce aux assos

Outre le test ADN, Mouhcine Hichy appelle à la création d’un statut de la mère célibataire. «Ce statut va lui permettre de bénéficier de certains appuis tels qu’une assistance à la scolarité, à la pédiatrie, aux soins. Ces assistances devraient être bien établies quitte même à ce qu’elles soient remboursées par le système de sécurité sociale».

Le corps associatif joue un rôle primordial dans l’amélioration des conditions des mères célibataires au Maroc. Des fonds étatiques devraient donc leur être reversés afin de leur permettre d’accomplir leurs missions. «L’Etat dispose des moyens financiers mais pas forcément des compétences, alors autant s’appuyer sur la société civile. D’ailleurs, SM le Roi avait appelé à soutenir les associations qui travaillent de manière sérieuse sur cette question. En plus des fonds accordés par l’Etat, certaines entreprises privées octroient également des aides à ces institutions», conclut l’expert.

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