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Don d’organes: «Une réflexion nationale s’avère nécessaire pour tracer une stratégie pour le futur»

Don d’organes: «Une réflexion nationale s’avère nécessaire pour tracer une stratégie pour le futur»

Le Maroc accuse toujours un grand retard en matière de transplantation d'organes.

La maladie rénale chronique (MRC) toucherait plus de 3 millions de Marocains, dont beaucoup arrivent chaque année au stade terminal.

Entretien avec Amal Bourquia, professeur de néphrologie et néphrologie pédiatrique et présidente de l’association «REINS».

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Quel constat faites-vous aujourd’hui de la transplantation et du don d’organes au Maroc et comment jugez-vous son évolution actuelle ?

Pr Amal Bourquia : Le Maroc accuse toujours un grand retard en matière de transplantation d'organes en général, malgré les années qui passent. Pour parler chiffres, le Maroc compte actuellement près de 34.000 patients sous dialyse, qui espèrent être transplantés pour soulager leur souffrance et améliorer la qualité de leur vie. Nous n’avons pas de chiffres pour toutes les autres insuffisances d’organes vitaux, le cœur, le foie, les poumons, qui décèdent sans qu’on puisse les sauver avec la transplantation. Une simple analyse des chiffres actuels : 610 transplantations rénales depuis 36 ans et près de 1.200 donneurs potentiels inscrits sur le registre du don, ce qui permet de noter qu’ils ne traduisent ni le niveau médical du Maroc ni la générosité des Marocains, surtout que le besoin est sans cesse en augmentation. Ils nécessitent cependant une analyse profonde pour mettre l’accent sur les insuffisances et travailler pour augmenter le nombre de transplantations dans notre pays où le besoin est en nette progression. Cette évolution ne permet pas de voir l’avenir avec optimisme

 

F.N.H. : A quoi est due cette peur qui anime de nombreux citoyens à l’idée de faire ce genre de don ?

Pr A. B. : L’analyse de toute l’activité de greffe et de tous les acteurs supposés intervenir dans sa progression montre qu’il n’y a pas vraiment d’efforts consentis pour offrir aux Marocains ce traitement. Plusieurs problèmes limitent l’accès à la transplantation, dont le manque d’informations et la faible sensibilisation. Sans parler de l’épineux problème de la perception à de nombreuses fausses informations, notamment les rumeurs qui bloquent énormément nos concitoyens. Une réflexion nationale, avec l’implication de tous les acteurs, s’avère nécessaire pour tracer une stratégie pour le futur où l’on verrait la transplantation d’organes comme un traitement possible pour les patients qui le nécessitent.

 

F.N.H. : Au Maroc, combien de personnes sont touchées par des problématiques d’insuffisance rénale ?

Pr A. B. : Le fléau du 21ème siècle ! Dans le monde, on estime qu’un adulte sur dix souffre de maladie rénale, souvent sans le savoir. L’état actuel montre des chiffres de plus en plus alarmants et la maladie rénale devrait devenir la cinquième cause la plus courante de mortalité dans le monde d'ici 2040. C’est un problème mondial de santé publique, avec des conséquences défavorables sur la santé entraînant la mort prématurée. Sur un plan épidémiologique, on considère que la maladie rénale chronique (MRC) toucherait plus de 3 millions de Marocains, dont beaucoup arrivent chaque année au stade terminal. L’absence d’un registre national rend difficile l’estimation des variables. Cependant, selon les quelques données disponibles, l’incidence de l’insuffisance rénale chronique (IRC) serait de 4.200 malades par an, dont 40% de diabétiques (nombre de cas apparus pendant une année au sein d'une population) et sa prévalence de 3.400 malades par an (proportion de personnes malades à un moment donné). La prévalence concerne les cas existants, tandis que l’incidence concerne les nouveaux cas. Le Maroc dispose de 410 centres de dialyse. L’âge moyen de nos patients reste jeune, aux alentours de 50 ans. La greffe, quant à elle, reste loin des aspirations et attentes des patients et du corps médical, alors qu’elle représente à la fois la meilleure et la moins coûteuse des techniques de traitement de la maladie rénale au stade terminal.

 

F.N.H. : Dans quelle mesure la modification de la loi relative au don ou à la transplantation d’organes et de tissus humains pourrait-elle permettre de sauver les personnes en attente désespérée de greffe ?

Pr A. B. : Le législateur a toujours tenté de mettre en place un cadre protecteur pour la personne humaine et éviter les dérapages. Au Maroc, la transplantation d’organes est gérée par des textes de loi publiés dans le Bulletin officiel (loi n°16-98 relative au don, au prélèvement et à la transplantation). Ces textes mériteraient d’être revus pour être mieux adaptés à la pratique. Notre association a demandé, depuis des années, de modifier la loi afin que nous soyons tous des donneurs sauf ceux qui s’inscriraient sur le registre du refus. A l’instar d’autres pays, cette procédure pourrait favoriser le développement du don d’organes après le décès en permettant au moins une disponibilité d’organes. Au Maroc, beaucoup de concitoyens souhaitent être donneurs, mais la procédure d’inscription, qui s'opère auprès des tribunaux, constitue une difficulté pour eux. Nous devons commencer par avoir des organes à disposition et franchir en parallèle l’étape d’équipes et de compétences, car aujourd’hui, en faisant une greffe tous les deux ans, on ne peut pas parler de performances.

 

F.N.H. : Vous avez effectué récemment une conférence-débat pour informer et sensibiliser au don d’organes et de tissus. Pourquoi est-il vital aujourd’hui de tirer la sonnette d’alarme sur ce procédé médical qui sauve pourtant des vies ?

Pr A. B. : C’est pour qu’un jour les Marocains puissent espérer être traités par une transplantation d’organes pour les sauver. Allonsnous rester sans rien faire ! Quand allonsnous travailler sur des actions de communication et d’information régulière pour être proches du citoyen et l’aider à avoir toutes les informations nécessaires. Notre association REINS, la seule qui travaille sur la sensibilisation et l’information par tous les moyens depuis de nombreuses années, a fait des recommandations dans l’espoir de faire évoluer le don et la transplantation d’organes dans notre pays et, du coup, réduire le poids de l’insuffisance rénale. Nous sommes conscients que le développement de la transplantation d’organes dans le Royaume ne surviendra jamais sans un réel engagement de notre société. Lors de la conférence mettant en exergue la journée mondiale, célébrée chaque année le 17 octobre, le débat a porté sur la situation du don et de la transplantation d’organes au Maroc et la transplantation d’organes dans tous ses aspects, humains, législatifs, religieux, sociaux et économiques. La conférence a aussi mis en évidence les éléments qui peuvent influencer l’acceptation ou le refus du don tels que les croyances, les convictions et la perception de la mort et les valeurs éthiques qui doivent guider cette thérapeutique.

 

F.N.H. : Vous êtes pionnière de la discipline néphrologique au Maroc, pédiatrique notamment. Vous avez écrit de nombreux ouvrages scientifiques sur la maladie rénale. Qu’est-ce qui vous motive à continuer ce combat de longue haleine ?

Pr A. B. : Le don d’organes est un don pour la vie. Un acte de partage et de solidarité qui nécessite la mobilisation de toutes les composantes de la société marocaine, en particulier les professionnels de la santé et les médias, afin de contribuer à ancrer la culture du don au sein de la société marocaine. Il y a un besoin urgent de développer la transplantation d’organes en général, et rénale en particulier. L’association REINS lance un appel urgent au changement de la loi pour sauver des vies. Soyons tous donneurs pour offrir une solution aux nombreux patients qui en ont besoin, sachant que personne n’est à l’abri, nous pouvons tous en avoir besoin ! Je continue ce combat, parce que je vois de nombreux enfants mourir, par insuffisance rénale terminale à défaut d’être greffés. Je suis depuis longtemps dans des organismes internationaux et je suis les expériences des pays développés où les enfants sont prioritaires pour la transplantation à partir de donneurs en état de mort, et prioritaires pour leurs parents qui sont très souvent donneurs vivants, évitant même à l’enfant de passer par la dialyse. Sont-ils plus humains ? Ont-ils une sensibilité plus intense ? Ou simplement, travaillent-ils pour sauver leurs concitoyens ? 

 

 

 

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