Directrice de l’information depuis mars 2024, Majdouline Benchrif est à la tête des rédactions arabophone et francophone de Medi1 Radio. Avec plus de 20 ans d’expérience dans le monde des médias, elle nous dévoile sa riche carrière. Détails.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Votre parcours professionnel est riche et varié. Pouvez-vous nous parler des étapes clés qui ont marqué votre carrière à Medi1 Radio ?
Majdouline Benchrif : J'ai consacré deux décennies de ma vie à mon métier. Être directrice de l’information à Medi1 Radio est un rôle parmi tant d'autres que j'ai assumé dans le journalisme depuis plusieurs d'années. Il faut dire que j'ai appris le travail journalistique dans cette maison où j’ai été autant présentatrice que reporter ou coordinatrice. Ce n'est pas tant une histoire de gravir les échelons dans mon imaginaire, mais de vivre et d’éprouver des points de vue différents sur ce que veut dire «faire partie d'une rédaction». J’ai découvert la radio très jeune, et elle m’a offert deux passions entremêlées : l’écriture et la voix. L'apprentissage de cet enchevêtrement a commencé pour moi par la présentation des journaux. On y acquiert le sens de l'information, ce qu'elle exige fondamentalement. Au fil des années, j’ai également pris goût au terrain, et j’ai eu la chance de couvrir des événements importants, au Maroc et à l’étranger. Le reportage m’a profondément marquée, car il ramène au contact avec les sources, les témoins. Il enseigne l'art de se lier pour mettre en récit l'actualité. Diriger une rédaction m'éloigne parfois de tout ça et j'en suis très consciente. J'ai donc un mélange de nostalgie de mes débuts et une joie de pouvoir aujourd'hui façonner la ligne et les contenus de Medi1.
F.N.H. : Depuis mars 2024, vous êtes directrice de l’information, et auparavant coordinatrice générale de la rédaction à Medi1 Radio. Ce sont de grandes responsabilités et un défi quotidien. Qu’est-ce qui vous motive dans ce rôle ?
M.B. : Il faut aimer son métier, l'aimer démesurément pour pouvoir vivre avec les contraintes qui font partie de l’exercice de diriger une rédaction. Au-delà des connaissances professionnelles et éditoriales, c’est une question pour moi de rapports humains : chercher comment faire équipe. Diriger des journalistes de différentes nationalités et sensibilités, c'est savoir les défendre et préserver leur pratique du métier de journalisme. Cela veut dire aussi faire face aux controverses, aux divergences d'opinions et de personnalités. Ce poste exige de moi de continuer d'être une journaliste rigoureuse et d’apporter une cohésion à des moments intenses de la vie de la rédaction, d’être réactive, à l’écoute surtout des grands événements d'actualité. Et tout cela demande du temps. Il faut faire don de temps quand on est responsable.
F.N.H. : Rencontrez-vous des défis particuliers en tant que femme dans un poste de responsabilité au sein de Medi 1 Radio ? Que pensez-vous de la représentation féminine dans les médias, et y a-t-il des aspects que vous aimeriez voir évoluer ou carrément changer ?
M. B. : Dans les réunions avec les responsables de service, il m'est arrivé souvent d'être l'unique femme autour de la table. Je n'ai jamais senti une gêne dans ces contextes, puisque de mon point de vue, je suis simplement face à des collègues. Mais le sentiment d'être prise dans un double standard m'a traversée. Posez la question à d'autres femmes, vous aurez quasiment la même réponse. J'ai été la première journaliste marocaine à Medi1 à accéder à un poste de rédactrice en chef principale. Cela impliquait quelque part pour moi de redoubler de vigilance, et donc d'efforts. Beaucoup de femmes se sentent obligées de prouver leur légitimité comme si leur rigueur et professionnalisme étaient mineurs. Il reste encore du chemin à faire dans le paysage médiatique marocain. Je crois intimement que la valorisation des salaires des femmes dans les rédactions est incontournable, ainsi que l'établissement d'une égalité de chances entre hommes et femmes en matière d'accès aux postes de responsabilité. Il est injuste et aberrant que les rédactions soient majoritairement constituées de journalistes femmes et que celles-ci ne les dirigent pas. Aujourd’hui, de nombreuses femmes occupent des postes de responsabilité à Medi1. Je suis fière d’elles et je soutiens leurs droits. Elles participent par leurs parcours à ouvrir la voie à cette égalité qui manque. Cette radio a le mérite d’encourager ces femmes, et c’est pour cette raison que je la considère comme un espace d’expression unique.
F.N.H. : Vous envisagez d’écrire un livre à partir de vos chroniques, une démarche où votre côté artistique joue un rôle important. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quels messages aimeriezvous transmettre à travers cet ouvrage qui rassemble dix années de travail ?
M. B. : Ecrire cette chronique a constitué petit à petit une bouffée d'air et de liberté pour moi dans un exercice qui peut être usant, celui du temps court et de l'instantané. Je revisite depuis 10 ans, à travers ce rendez-vous hebdomadaire, ce qui me touche dans l'actualité politique, littéraire, sociale. Je m'y autorise une subjectivité, une expression d'un point de vue que d'autres genres et formats journalistiques ne me permettent pas. Ce sont les retours des auditeurs et auditrices qui m'ont invitée à transposer ces chroniques dans une forme écrite. Cela implique de revisiter ces textes radiophoniques et de les adapter à ce qu'exigent des textes lus. C'est un projet qui me tient à cœur, car j'aime l'écriture. Mais aussi les textes journalistiques peuvent être considérés comme un genre d'écriture mineure, alors qu'ils sont à mon avis la trace du témoin de l'actualité. Peut-être dans un futur proche, leur valeur pourra paraître insignifiante, mais elle sera précieuse sans doute dans une plus grande projection.
F.N.H. : Quelles sont, selon vous, les principales différences entre la radio, la télévision et les podcasts en termes de contenu et d’interaction avec l’audience ? Quel exercice préférez-vous ?
M. B. : La radio, c’est mon premier amour, et ça le restera. La voix, l'intimité avec le micro et le lien que cela crée auprès de l'auditeur a quelque chose d'unique. Il y a une magie dans les ambiances des studios radio, quels que soient les formats qu'on y fabrique. J'ai l'impression de trouver par la voix une proximité importante avec les auditeurs et auditrices que je n'ai jamais expérimentée avec d'autres médias. La télé et la presse écrite ont leurs atouts, et chaque expression a ses spécificités bien sûr. A l'époque actuelle, les formes s’entremêlent : les journaux parlés sont filmés et les sujets télé sont repris par écrit. Alors les formes peuvent se compléter, mais elles gardent leur temporalité, leur public et des manières irremplaçables de donner accès à une information, à des récits.
F.N.H. : Pensez-vous que la radio reste un média pertinent et concurrentiel dans un monde de plus en plus dominé par le numérique ?
M. B. : A mes débuts, dans les années 2000, la presse était exclusivement imprimée. Puis, petit à petit, le web a remplacé l'écrit, les réseaux sociaux se sont imposés et les podcasts sont apparus. Je dirais qu'on est dans un grand moment de mutation où les vieux médias n'ont pas fini de s'adapter. La radio, Medi1 particulièrement, a été extrêmement écoutée tout au long de la pandémie du Coronavirus au Maroc ou durant la catastrophe du séisme d’Al Haouz. Nos taux d'audiences ont explosé. Aujourd’hui, avec l’émergence des podcasts, je vois une consécration du succès de la radio, avec en plus une possibilité, grâce au différé, d'accéder aux émissions à des rythmes et temps différents.
F.N.H. : L’environnement familial dans lequel on grandit influence forcément notre personnalité. Quelle a été votre plus grande motivation pour percer dans un milieu aussi exigeant et parfois ingrat ?
M. B. : J’ai eu la chance de grandir au sein d’une famille de la classe moyenne, d'un père enseignant passionné par la presse et la peinture, et d'une mère enseignante et calligraphe. Mes parents ont eu à cœur d'assurer notre éducation, ma sœur et moi, dans un monde d’injustice et d’inégalité. Ils nous ont transmis un amour pour le cinéma, la littérature, la musique et un goût assez prononcé pour la politique. J’ai grandi dans un milieu engagé où l'expression des idées et des opinions était très encouragée. J'en suis très reconnaissante. Ma toute première équipe de rédaction était sans doute notre maison.
F.N.H. : Une carrière est parsemée de défis, d’expériences, mais aussi d’anecdotes. Quel fait marquant a laissé une trace indélébile dans votre parcours ?
M. B. : C'est une excellente question, car je pense que l’humour est très important dans la pratique du journalisme. Que ce soit sur le terrain, avec les équipes ou face aux directeurs, l'humour désamorce les tensions, rapproche les points de vue, apporte de la légèreté dans des situations trop sérieuses. Alors, des anecdotes ne me viennent pas ainsi, mais plutôt des histoires d’humour. Quand j’ai débarqué à Medi1, le Maroc était endeuillé par les attentats du 16 mai. Et quand j’ai signé mon contrat, il y a eu l’invasion américaine de l’Irak. Mes collègues de l’époque ont donc fait courir une légende à mon propos : Majdouline provoque l’actualité ! J'ai fini par le croire. Quand on a lancé le fil rouge pour la 1ère fois, j’ai été désignée pour le présenter chaque fin de semaine. Et par un pur hasard, chaque vendredi, un leader arabe était déchu lors du printemps arabe et toute la programmation changeait. Cette blague qui court depuis des années et qui est alimentée par les collègues me poursuit et me fait rire constamment.
F.N.H. : Y a-t-il un souhait particulier que vous aimeriez réaliser dans un avenir proche ?
M. B. : Aujourd’hui, mon rêve est de poursuivre mon parcours dans le journalisme et de faire évoluer la radio vers de nouveaux formats, des formats qui permettent de mieux raconter, d’élever l’information au récit. Je rêve d'un temps où une possible justesse d'écriture de ce qui nous traverse serait possible. C’est le type de rêve qui vous met au travail, et j’aime rêver ainsi.