«Il ne faut pas reprocher aux gens leur vieillesse, puisque tous nous désirons y parvenir», dixit le philosophe De Bion de Boristhène. Y parvenir oui, mais comment ? Nous voulons tous une belle vieillesse : autrement dit, mettre du beurre dans l’épinard de nos vieux jours. Afin que cette dernière tranche de notre vie ne se transforme en une longue et douloureuse procession vers notre dernière demeure.
Mais quand on voit la situation de certaines personnes âgées au Maroc, particulièrement celle des femmes, on a bien envie d’être trempé dans l’élixir de jouvence… pour rester éternellement jeune.
Le Maroc compte 4,5 millions de personnes âgées en 2022, selon les chiffres du haut-commissariat au Plan dévoilés à l’occasion de la «Journée internationale des personnes âgées», célébrée le 1er octobre de chaque année. En 2050, ce nombre va plus que doubler pour atteindre 10 millions de personnes âgées, soit un poids démographique de 23,2% au lieu de 12,2% actuellement.
Selon le sexe, en 2022, l’effectif des femmes âgées s’élève à 2,3 millions, soit 100.000 de plus que les hommes et atteindrait 5,4 millions en 2050, soit 770.000 de plus. «Ceci est dû au fait que les femmes ont une espérance de vie plus élevée, qui est estimée à 78,6 ans à la naissance (contre 75,2 ans pour les hommes) et à 22,3 ans à 60 ans (contre 20 ans pour les hommes)», explique le HCP.
Défis socioéconomiques
Les femmes vivent donc plus longtemps que les hommes. Et se retrouvent malheureusement seules en fin de vie, le plus souvent en situation de veuvage. Le risque pour les femmes de vivre seule dès 60 ans est favorisé par l’âge de leur entrée au premier mariage (25,5 ans en 2018) relativement précoce par rapport à celui des hommes (31,9 ans), mais également par une proportion moins élevée de remariage des femmes ayant rompu leur première union (8,5% contre 14,5% pour les hommes).
Et cela se voit dans deux chiffres très révélateurs :
· la proportion des personnes âgées veuves est dix fois plus élevée parmi les femmes (45,3%) que parmi les hommes (4,2%);
· la proportion des femmes âgées vivant seules est quatre fois plus élevée que celle des hommes (12,2% et 3,2%, respectivement).
Cette situation pose des défis socioéconomiques énormes, d’autant plus que les femmes vieillissent dans des conditions plus précaires que celles des hommes. Les raisons : elles finissent leur vie sans conjoint et ont peu ou pas intégré le marché du travail parce que, par le passé, elles se sont consacrées aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants.
Au final, 9,4% des femmes âgées disposent d’un travail (contre 38,4% des hommes) en 2021, souvent en tant qu’aides familiales (57,1%), et 15,8% (contre 41,1% pour les hommes) d’entre elles seulement bénéficient d’une pension de retraite.
Cette situation de vulnérabilité est accentuée par le fait qu’un peu plus des deux tiers (73,3%) des femmes âgées souffrent d'au moins une maladie chronique (contre 55,5% pour les hommes). De surcroit, note le HCP, un peu moins du tiers (31,9%) de ces femmes ne bénéficie d’aucune couverture médicale, contre 23,5% pour les hommes. «Ce qui traduit la dépendance d’une grande part des femmes âgées à d’autres membres de la famille, d’autant plus que neuf sur dix d’entre elles sont analphabètes», explique le HCP.
Que faire de nos vieux ?
La question peut a priori paraître choquante. Mais il faut y apporter une réponse tranchante : s’occuper d’eux, bien sûr. Se pose logiquement la question du «Comment ?». Parce qu’il y a deux constats à faire :
· Primo : la structure de la famille marocaine a changé. Avant, il y avait la grande maison familiale, où cohabitaient plusieurs générations, et les jeunes s’occupaient alors des vieux qui ont besoin d’assistance. Ce modèle existe certes encore de façon prononcée dans le monde rural, mais il tend néanmoins à disparaître petit à petit, à la faveur des transformations sociétales. La grande maison familiale a cédé la place à la petite maison ou à l’appartement, avec une cellule familiale beaucoup plus nucléarisée. La taille moyenne des ménages connaîtrait une baisse significative, passant de 4,6 personnes en 2014 à 3,2 en 2050, selon le HCP.
· Secundo : La structure démographique a également évolué. L’espérance de vie ayant augmenté, le Maroc aura beaucoup de personnes âgées dont il faudra s’occuper : elles seront 10 millions en 2050.
Espérance de vie qui s’allonge, nombre de personnes âgées qui augmente, hausse de la nucléarisation des familles, enfants engagés dans la vie active et qui ont moins de temps à consacrer à leurs parents vieillissants… : alors comment s’occuper au mieux de nos séniors ?
Cette interrogation convoque légitimement un sujet encore tabou il y a peu au Maroc : les maisons de retraite. Feu le Roi Hassan II n’en voulait surtout pas. «Le jour où l’on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition», disait-il.
Mais avec les évolutions sociétales qu’a connues le Royaume, ce sujet n’est plus du tout tabou. «Une partie des personnes âgées sont atteintes de maladies chroniques et d’autres ont des problèmes de mobilité; elles ne peuvent se déplacer ni assurer leurs besoins quotidiens sans assistance. Généralement, ce sont les proches, notamment les enfants qui assument ce rôle. Pour les personnes nanties, elles ont les moyens de payer des domestiques ou un personnel d’assistance. Ce qui n’est pas le cas des personnes qui n’ont pas d’enfants ou de moyens. Il est donc temps de penser à lancer un vaste programme de construction de maisons de vieillesse», nous confiait récemment Mohamed Amrani, professeur à l’Université Hassan II de Casablanca (www.fnh.ma).
Mieux encore, dans son plan d’action de 2015-2022, le Conseil de la ville de Casablanca avait prévu la construction de 8 maisons de retraite pour un budget de 60 millions de DH.
Autre exemple : l’inauguration en avril 2021 du centre d’accompagnement de la personne âgée «Essafa» à Casablanca, destiné à accompagner les personnes âgées en situation de précarité.
Les choses changent donc. Mais lentement. Et il ne faudra pas s’attendre à une révolution dans ce sens : nous vivons dans une société marocaine où les valeurs de solidarité, d’entraide et d’humanité sont fortement ancrées et où nos séniors occupent une place centrale dans la cohésion et la solidification de la structure familiale. Alors, nos vieux, nous préférerons toujours les garder à nos côtés !
F. Ouriaghli