Au Maroc, la Zakat fait désormais l’objet d’un cadre explicite. La Fatwa publiée le 24 octobre par le Conseil supérieur des oulémas (CSO), après approbation du Roi Mohammed VI, précise les modalités d’application de ce devoir religieux dans un contexte économique profondément transformé. Sans modifier la règle islamique, le texte en actualise la portée : la richesse ne se limite plus à l’or, au bétail ou aux récoltes, mais s’exprime aussi dans les salaires, l’épargne, les actifs et les revenus d’activité.
Par Y. Seddik
Jusqu’ici, la Zakat restait appliquée au Maroc selon des usages dispersés, souvent fondés sur l’interprétation individuelle. La Fatwa publiée le 24 octobre par le CSO vient établir une base commune, fidèle au rite malékite, mais attentive aux réalités économiques actuelles. Elle rappelle que la Zakat n’est ni un impôt ni un dispositif d’État, mais un acte de foi à portée sociale, fondé sur la solidarité et la circulation éthique de la richesse.
Le Conseil précise d’ailleurs que son rôle se limite à l’explication (al-bayân) et au rappel (at-tadhkîr), sans visée contraignante. Le texte fixe d’abord les repères de base. Le nisâb, c’est-à-dire le seuil de richesse à partir duquel la Zakat devient obligatoire, est établi à 595 g d’argent (environ 7.438 dirhams) et à 85 g d’or (près de 68.000 dirhams).
Le taux reste celui de la tradition, à savoir 2,5% sur la valeur des biens détenus pendant une année lunaire. Le texte précise que la référence à l’argent, plus accessible que l’or, est socialement plus juste puisqu'elle élargit le champ de la Zakat aux classes moyennes et modestes, sans en altérer la base juridique. L’innovation majeure réside dans l’intégration explicite des revenus du travail et du secteur des services dans l’assiette de la Zakat.
Le Conseil y inclut les salaires du public et du privé, à condition que le revenu net disponible, après déduction des besoins essentiels, atteigne le nisâb. Pour éviter des estimations subjectives, il fixe un plancher de dépenses incompressibles équivalent au salaire minimum légal, soit 3.266 dirhams par mois au moment de la Fatwa. Ce montant, explique le texte, constitue un repère pratique en faveur des revenus modestes : «laisser chacun définir librement ses charges reviendrait à introduire l’arbitraire dans un devoir religieux fondé sur la clarté».
L’exemple cité dans la Fatwa est précis : un salarié gagnant 10.000 dirhams par mois et dépensant 3.266 dirhams pour ses besoins essentiels ne verse pas de Zakat sur son reliquat mensuel (6.734 dirhams), car il reste inférieur au nisâb de 7.438 dirhams. En revanche, si l’on considère son revenu annuel (120.000 dirhams) et qu’on en retranche les dépenses de l’année (39.192 dirhams), son épargne atteint 80.808 dirhams; la Zakat due est alors de 2,5%, soit 2.020 dirhams.
La logique est claire : seule la part d’épargne durable (soit la richesse effective) est concernée, non le revenu brut. Au-delà de cet exemple, la Fatwa élargit le champ de la Zakat à l’ensemble des activités économiques productrices de valeur : commerce, industrie, agriculture au sens large, et désormais professions de service. Elle précise également que les taux traditionnels restent inchangés, à savoir 10% sur les récoltes irriguées naturellement, 5% sur celles arrosées artificiellement, 2,5% sur les avoirs monétaires et commerciaux.
Concernant les bénéficiaires, le texte reprend les huit catégories coraniques, mais en écarte deux : les collecteurs de la Zakat , inexistants dans le système marocain actuel, et la part destinée à l’affranchissement des esclaves. Les six autres catégories, en l'occurrence pauvres, nécessiteux, endettés, voyageurs, nouveaux musulmans et cause d’Allah, demeurent inchangées.
Par ailleurs, aucune disposition n’annonce la création d’un Bayt al-Mâl ou d’un organe public de collecte; la Fatwa se limite à poser un cadre normatif et pédagogique et laisse la mise en œuvre à la conscience individuelle. Elle souligne toutefois que le Conseil ouvrira une rubrique dédiée sur son portail pour répondre aux questions liées aux activités économiques modernes.
En définitive, ce texte, sobre mais structurant, représente un effort d’actualisation du fiqh sans rupture doctrinale. Il referme également le vide d’une pratique restée sans cadre commun. La Zakat retrouve ainsi sa place, entre exigence morale et régulation sociale, à distance égale de la tradition et du présent.