Dans le sillage du mouvement de contestation du pouvoir iranien, déclenché après la mort de Mahsa Amini, les manifestations se poursuivent apportant chaque jour leur lot de victimes.
Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
Le 18 octobre 2022, un incendie dans la prison d'Evine, à Téhéran, a fait quatre morts et 61 blessés. Ce qui vient alourdir le bilan des morts dans un pays au bord de l’implosion.
Un vent tempétueux souffle sur l’Iran. Après plusieurs tentatives de soulèvement toutes avortées dans la répression, aujourd’hui, la colère sociale atteint des proportions insoutenables et risque d’emporter dans sa furie le fragile équilibre imposé par les ayatollahs.
Ceci peut se concrétiser dans les prochaines semaines pour deux raisons. D’abord, le peuple semble avoir atteint un point de non-retour face à l’écrasement qu’il subit de la part des autorités iraniennes réduisant chaque jour davantage l’inexistant champ des libertés individuelles. Ensuite, la sortie des Iraniens dans les rues coïncide curieusement avec la guerre déclenchée en Europe par le président russe Vladimir Poutine qui trouve en Iran un appui militaire et un allié stratégique acquis à sa cause étant donné que Téhéran a de lourds contentieux à régler avec les Occidentaux. Sanctions, embargos à répétition, alliances internationales contre le programme nucléaire iranien, boycott et accusations multiples de déstabilisation du Moyen-Orient, une région sous tension, à l’équilibre précaire, avec des voisins en guerre depuis de longues années, comme c’est le cas de l’Irak et de l’Afghanistan. Sans parler du torchon qui brûle toujours avec les régimes arabes du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite. A tout ceci, il faut ajouter les accointances avec des groupes blacklistés comme le Hezbollah ou encore le Hamas.
Tout ce climat délétère fait dire à certains observateurs que ce qui se passe aujourd’hui dans les rues iraniennes est loin d’être anodin, ni le fruit d’un hasard de calendrier. La main invisible des services de renseignements occidentaux est pointée du doigt, avec la CIA en tête, qui, elle aussi, a de vieux comptes à liquider avec Téhéran, accusée aujourd’hui de fournir des drones kamikazes à Moscou pour bombarder l’Ukraine. Une accusation lourde susceptible de dégénérer en représailles directes entre Washington, les forces de l’OTAN et l’Union européenne et le régime iranien qui soutient ouvertement son allié russe au grand dam des Occidentaux, qui trouvent dans cette position iranienne une occasion rêvée pour faire basculer le conflit aux frontières russes au nord de l’Iran. Certains spécialistes en géostratégie militaire n’hésitent pas à affirmer que ce scénario est probable à plus d’un égard pour faire d’une pierre deux coups : régler son compte à l’Iran jugé trop imprévisible et toujours retort et déstabiliser la Russie sur son flanc caucasien, là où plusieurs petits Etats ont déjà fait les frais de la suprématie russe dans cette région du monde aux multiples ethnies.
Dans le jargon militaire, cela porte un nom : renverser la vapeur pour faire souffler un vent chaud sur une situation mondiale déjà sous haute tension. Ce qui peut très vite générer des courts-circuits, des déflagrations, des implosions voire des éclatements irréversibles provoquant divisions, guerres civiles et revendications nationalistes et identitaires, surtout pour une Russie multiraciale, avec des peuples très éloignés culturellement les uns des autres.
C’est dans ce sens qu’il faut lire la mise sous tension en Iran qui peut servir de prélude à une nouvelle guerre au Moyen- Orient, après le chaos irakien et la débâcle afghane.
Maintenant, quel impact peut avoir une révolution en Iran ?
Au-delà du déséquilibre régional qu’un tel séisme pourrait engendrer en touchant les pays du Golfe et les républiques autour de la Mer Caspienne avec certainement une flambée des prix du baril de pétrole frappant de plein fouet une économie mondiale aux abois, le pire scénario envisageable serait de voir l’Iran s’enliser dans un conflit entre communautés religieuses à plusieurs obédiences. Auquel cas, un scénario à l’afghane pourrait très vite se dessiner balayant dans ses sillages l’un des derniers bastions forts du Golfe persique, éclaboussant comme une onde de choc les Emirats arabes tout en créant une escalade sans précédent des attentats en Irak et en Syrie. Un tel déséquilibre pousserait des factions armées comme le Hamas et le Hezbollah à durcir leur politique anti-Israël menaçant de faire du Levant un brasier à ciel ouvert. Une flambée de violences qui peut toucher également l’Egypte tout en achevant l’impossible quête de stabilité au Liban.
Déplacer le curseur de la guerre vers l’Iran serait dans ce cas le dernier palier à franchir avant de faire basculer le monde dans une guerre totale dont on ignore et les finalités et les contours.