La paix a un prix. Et celui que propose Donald Trump ressemble furieusement à une ristourne sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine, assortie d’un bon d’achat généreusement offert à la Russie. Difficile, en effet, d'appeler autrement cette offre taillée sur-mesure pour apaiser Vladimir Poutine et ne pas trop égratigner ses ambitions impériales.
Trois ans après l’invasion de grande ampleur lancée par Moscou, le conflit en Ukraine n’en finit pas de faire des ravages. Missiles, drones, tranchées et villages rasés : l’Europe redécouvre avec stupeur ce que signifie une guerre longue sur son propre continent.
Pendant ce temps, l’Ukraine tient bon, portée par une opiniâtreté que même ses adversaires reconnaissent, et soutenue avec plus ou moins d’enthousiasme par une coalition occidentale dont l’axe Washington-Londres-Paris constitue l’ossature.
Or, c’est précisément à Washington que les vents ont tourné. Depuis son retour tonitruant à la Maison-Blanche, Donald Trump a décidé de régler ce conflit à sa manière : vite et sans trop se soucier des implications géopolitiques éventuelles.
Objectif affiché ? «Mettre fin à la guerre dans les 100 jours». Très bien. Mais le contenu du deal pose question.
Ce plan de paix, tel que distillé dans la presse, repose sur plusieurs piliers : un gel des lignes de front (traduction : l’Ukraine abandonne de facto 20% de son territoire), la reconnaissance tacite de l’annexion de la Crimée par la Russie, un cessez-le-feu immédiat et, surtout, l’abandon par Kiev de toute ambition d’adhésion à l’Otan.
Cerise sur le gâteau : la centrale nucléaire de Zaporijjia, en territoire ukrainien mais sous contrôle russe, serait exploitée par des compagnies américaines et distribuerait son électricité… à la fois à l’Ukraine et à la Russie.
Bien évidemment, tout le monde est content. Sauf les Ukrainiens.
A Kiev, ce «compromis» a été accueilli comme il se doit : avec fureur, sarcasme et un refus net. «Ce plan viole notre Constitution», a martelé Volodymyr Zelensky.
Et pour cause : on y demande à l’Ukraine de reconnaître formellement la perte de la Crimée, annexée en 2014. Ce n’est pas une clause technique, c’est une ligne rouge. Rouge sang même, tant la Crimée concentre depuis dix ans les douleurs géopolitiques du pays.
Face au refus de Zelensky, Donald Trump est sorti de ses gonds. Sur sa plateforme Truth Social, il a fustigé le président ukrainien, l'accusant de «prolonger inutilement le conflit» et de «refuser un accord quasiment conclu».
Signe de la fébrilité de l’administration Trump : l’arrivée à Moscou de Steve Witkoff, promoteur immobilier new-yorkais devenu, par un de ces tours de magie politiques dont Trump a le secret, émissaire spécial pour la paix.
Ni diplomate, ni militaire, encore moins expert en géopolitique, Witkoff représente à lui seul l’approche du président américain : cette légèreté déconcertante dans le traitement de problématiques politiques et économiques à répercussions mondiales. Il en est ainsi de ses fameux droits de douane.
La question reste donc entière : peut-on négocier la paix avec un promoteur reconverti en diplomate qui a pour seule boussole une logique transactionnelle ? La réponse se lit dans les réactions outrées de Kiev, l’exaspération européenne et les applaudissements feutrés du Kremlin.
Le Kremlin applaudit
Sans surprise, Moscou n’a pas crié au scandale. Car pour elle, ce plan de paix est une aubaine : on ne parle plus de retrait, mais de consolidation. On ne parle plus de réparation, mais de reconnaissance. Et pendant que l’Ukraine essuie missiles, drones et injonctions contradictoires, on lui intime de «jouer le jeu» et de «faire un effort».
L’effort ultime : renoncer à ce qui lui appartient. C’est pourquoi le Kremlin s’est même dit «complètement d’accord» avec l’idée que la Crimée est «perdue» pour l’Ukraine. Mieux : Vladimir Poutine, que Trump qualifie de «partenaire potentiellement raisonnable», se montre tout à fait disposé à «aller vers un accord».
Mais à Londres, Keir Starmer, le nouveau Premier ministre britannique, n’a pas mâché ses mots : «C’est à l’Ukraine de décider». Et de refuser catégoriquement tout plan qui entérinerait l’annexion de la Crimée.
Même son de cloche à l’Elysée, où Emmanuel Macron, qui semble prêt à temporiser sur les questions territoriales, appelle à «un cessez-le-feu inconditionnel». Et rappelle, non sans ironie, que «l’énervement des Américains ne doit porter que sur une seule personne : le président Poutine». Voilà qui est dit.
Bref, l’accord proposé par les Etats-Unis relève plus du diktat que du dialogue. Ce n’est pas une solution de paix, mais un accord de faiblesse et une tentative de clôture administrative du conflit.
Et Trump a beau dire qu’il met «une forte pression sur la Russie», les faits racontent autre chose : les pressions les plus fortes sont exercées sur Kiev. L’ultimatum est clair : soit l’Ukraine accepte ce plan, soit elle perd le soutien américain.
Or ce plan ne traite ni des causes profondes, ni des responsabilités, encore moins des garanties durables. Il fige le déséquilibre et érige l’agression en fait accompli.
Céder 20% de son territoire, abandonner l’Otan et renoncer à la Crimée, tout cela au nom de la paix ?
Pour Kiev, ce serait valider le chantage par les armes. Pour Moscou, ce serait un précédent très flatteur. Et pour Trump, ce serait une victoire : il aura réussi à instaurer la paix.
La paix, vraiment ? Même lui n’y croit plus en réalité, surtout depuis qu’il s’est rendu compte que le président russe était en train de le faire marcher.
«Il n'y avait aucune raison pour Poutine de tirer des missiles sur des zones civiles, des villes et des villages, ces derniers jours. Cela me fait penser que, peut-être, il ne veut pas arrêter la guerre et qu'il me balade, et alors il faut faire autrement», a écrit Trump sur son réseau Truth Social, peu après sa rencontre, samedi, avec Zelensky au Vatican, en marge des funérailles du pape François. Voilà qui est dit.
F. Ouriaghli