C’est fait. Les statues sont déboulonnées, les portraits arrachés, les slogans chantés sur les ruines d’un demi-siècle de dictature. La dynastie Assad, qui régnait sur la Syrie depuis plus de cinquante ans, a été balayée par une offensive éclair des rebelles islamistes.
Les rues de Damas, jadis bastion imprenable, vibrent désormais au rythme des chants de victoire, de tirs en l’air et, hélas, de nouvelles incertitudes. Derrière l’effondrement spectaculaire du régime, une scène cocasse : Bachar al-Assad s’est évaporé. Fuite ou exil planifié ?
Peu importe, il a laissé derrière lui un héritage aussi lourd que les statues de son père, Hafez al-Assad, que les Syriens déboulonnent de façon jubilatoire, signant l’épilogue d’une histoire sombre, écrite à l’encre du sang, de la peur et du désespoir. En effet, pendant des décennies, le clan Assad a gouverné la Syrie d’une main de fer, convertissant un pays riche de diversité en un espace d’oppression et de contrôle. Hafez al-Assad, puis son fils Bachar, ont usé de la répression, du culte de la personnalité et de l’intimidation pour museler les opposants, balayant toute velléité de contestation. L’effondrement de ce régime ouvre donc une page blanche, mais encore tâchée par le poids du passé.
Il faut dire cependant que les signes avant-coureurs de la chute de ce régime s’accumulaient depuis des années. Depuis le printemps arabe de 2011, le régime d’Assad ressemblait à un navire en perdition, tenu à flot par des alliés de circonstance : la Russie, l’Iran et le Hezbollah.
Mais lorsque Moscou a redirigé son attention vers son bourbier ukrainien et que Téhéran s’est enlisé dans ses propres crises internes, le château de cartes syrien s’est écroulé. La leçon est claire : même les dictateurs ont besoin d’amis fiables.
Et quelle ironie que ce soit Hayat Tahrir al-Cham (HTS), l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda, qui ait pris le flambeau de la révolte !
La victoire de ces rebelles, si éclatante soit-elle, laisse un goût amer. On célèbre certes la fin d’une tyrannie, mais le désordre qui s’annonce ne rassure guère.
Les rebelles eux-mêmes parlent de transition pacifique, mais leur capacité à instaurer une stabilité durable reste douteuse. Ils incarnent une alternative difficilement conciliable avec les idéaux démocratiques. Dans un pays morcelé par des conflits d’intérêts régionaux, le risque est ainsi grand de voir cette libération tourner au chaos.
Le temps de l’incertitude
Dans les capitales du monde, la nouvelle de la chute d’Assad a été accueillie avec une prudence qui frôle l’hypocrisie.
La France «salue» la fin du régime tout en appelant à rejeter l’extrémisme. Les Etats-Unis suivent la situation «de près» (traduction : avec des drones). Quant à la Turquie, principal soutien des rebelles, elle appelle à une transition ordonnée, tout en veillant à ce que la nouvelle Syrie ne devienne pas un terrain fertile pour ses propres ennemis kurdes.
Et que dire de la Russie et de l’Iran, autrefois les piliers du régime ? Moscou, embourbé en Ukraine, ne pouvait plus se permettre d’entretenir un allié aussi coûteux qu’Assad. Téhéran, pour sa part, a vu son ambassade saccagée à Damas, signe clair que son influence en Syrie est en déclin. Ces deux puissances, désormais affaiblies, devront réinventer leur politique régionale.
Une chose est sûre : elles n’ont pas vu venir la vitesse à laquelle leur protégé syrien tomberait.
Alors, que faire d’une Syrie post-Assad ? La situation actuelle ressemble à une maison en ruines où chaque pièce est occupée par un locataire différent.
Les rebelles contrôlent Damas et une grande partie du territoire, mais les Kurdes se consolident à l’Est, tandis qu’Israël veille jalousement sur la zone tampon du Golan. Dans ce chaos, la Syrie peut-elle surmonter ses divisions et reconstruire une société unifiée après des années de guerre civile ? Est-ce la fin du cycle de violence dans ce pays ?
En tout cas, les défis sont nombreux : reconstruire des infrastructures détruites par 13 ans de guerre, ramener des millions de réfugiés, réconcilier des factions antagonistes et, surtout, éviter que la Syrie ne devienne un nouveau théâtre d’affrontements par procuration entre puissances étrangères. Dès lors, si la chute des Assad est un soulagement pour beaucoup, elle ne garantit cependant en rien une paix durable pour les Syriens, qui devront l’obtenir au milieu d’un champ de mines politiques.
Quant à Bachar al-Assad, il est désormais le fantôme d’un passé que les Syriens veulent effacer. Son exil probable, peut-être en Russie ou dans un pays exotique prêt à accueillir un dictateur en disgrâce, symbolise la fin d’une époque.
Sa chute doit cependant servir de leçon à tous les autocrates : aucun règne, aussi brutal soit-il, ne peut résister éternellement à la volonté d’un peuple en quête de justice. Assad a quitté Damas comme un voleur, laissant derrière lui un pays brisé. Mais rempli d’espoir.
F. Ouriaghli