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Conseil de la Concurrence : L’article 166 de la Constitution fait débat

 

L’élargissement du champ d’action du CC aux pratiques commerciales déloyales divise !

Le projet de loi 06-99 régissant le travail du Conseil va bientôt être soumis au Gouvernement, avant de passer devant les deux Chambres.

Pour célébrer son 4ème anniversaire, le Conseil de la Concurrence a tenu une table-ronde relative à l’article 166 de la Constitution. La particularité de cet article est qu’il érige le Conseil en une institution constitutionnelle indépendante de gouvernance.

Mais, en même temps, l’article soulève plusieurs problématiques au moment où le projet de loi 06-99 régissant le travail du Conseil, publié par le SGG, va bientôt être soumis au Gouvernement, avant de passer devant les deux Chambres.

Ainsi, quatre années après son installation, le Conseil est toujours en attente d’un statut clair et précis qui trace le rôle de l’autorité de concurrence et ses compétences !

Sachant également qu’en plus de l’article 166 de la Constitution, du projet de loi 06-99, il y a également l’acquis communautaire vers lequel le Maroc converge en matière réglementaire dans le cadre du Statut avancé avec l’Union européenne !

Selon l’article 166, le Conseil de la Concurrence est une institution indépendante chargée, dans le cadre de l’organisation d’une concurrence libre et loyale, d’assurer la transparence et l’équité dans les relations économiques, notamment à travers l’analyse et la régulation de la concurrence sur les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques commerciales déloyales et des opérations de concentration économique et de monopole.

Cet article consacre ainsi le principe de liberté des prix et la libre concurrence, ainsi que la compétence générale en matière de lutte contre les pratiques anti-concurrentielles. Il donne également au Conseil de la Concurrence la compétence en matière de pratiques commerciales déloyales et consacre l’indépendance et implicitement pouvoir décisionnaire, auto-saisine et enquête. Dans ce sens, cet article de la Constitution ratisse plus large que la loi 06-99. Puisqu’à la lumière de la loi 06-99, le Conseil est fondamentalement consultatif et ce sont les institutions qui peuvent le saisir.

Cependant, il soulève plusieurs problématiques, comme l’explique le président du Conseil de la concurrence, Abdelali Benamour.

La première concerne la compétence générale qui est clairement exprimée dans l’article, mais faut-il pour autant en conclure qu’elle est exclusive ? «D’autres acteurs peuvent-ils également avoir cette compétence ? Notamment les régulateurs sectoriels. Si l’on se réfère à la norme européenne, cette compétence distingue entre l’amont, qui relève de l’organe régulateur du secteur, et l’aval qui relève de l’autorité nationale de la concurrence pour éviter l’effet de capture», estime Abdelali Benamour.  L’autre apport de l’article 166 est l’indépendance de l’institution, clairement établie. Dans ce sens, le président du CC a fait allusion à la demande de certaines administrations qu’un commissionnaire du gouvernement siège au Conseil, ce qui pourrait entâcher l’indépendance de ce dernier.

L’article 166 pose également le problème du recours. Notamment la création d’une chambre spécialisée qui peut-être rattachée à la Cour d’appel de Rabat, selon ce que propose le Conseil.

Mais l’un des grands points de discorde lors de cette table-ronde est que la Constitution élargit le champ d’action du Conseil aux pratiques commerciales déloyales. Dans ce sens, après consultation, le président du Conseil propose que la dimension macro-économique des rapports entre entreprises reste dans le giron de la justice. Et préconise de traiter lui-même les grands dossiers de pratiques commerciales déloyales impliquant deux entreprises pouvant entraîner un impact macro-économique sur la concurrence. Mais, dans le cas où il s’agit d’une relation entreprise-consommateur, Abdelali Benamour propose deux solutions : adopter le même principe que pour les pratiques inter-entreprises, à savoir transmettre les dossier aux administrations compétentes. Ou bien confier ce dossier, à l’instar de ce qui se passe dans certains pays, au Conseil de la Concurrence.

Pour Amal Lamiaï, juge et conseillère au cabinet du ministère de la Justice et des Libertés, les rapports commerciaux, notamment à l’égard des consommateurs et concurrents ne relèvent pas forcément de la compétence d’un Conseil de la Concurrence.

«À la lumière de l’article 166 de la Constitution, l’une des compétences du Conseil de la Concurrence est d’assurer la transparence et l’équité à travers l’analyse et l’étude des marchés, pour procéder à la régulation de la concurrence et relever la non-conformité… Faire adopter aux acteurs économiques un comportement qui consacre cette équité… », estime Amal Lamiaï qui a énuméré là quelques moyens par lesquels le conseil peut procéder. Mais, elle insiste sur le fait que ce qui relève du délictuel doit rester du ressort du juge, sinon le conseil sera encombré de dossiers judiciaires.

Cet avis est partagé également par Mohamed Mernissi, membre du Conseil et président de la Cour marocaine d’arbitrage. Selon lui, les rédacteurs de cet article, par excès de zèle, se sont fourvoyés ! «Nous avons une loi de la concurrence qui énumère les missions principales du Conseil : lutter contre les pratiques anticoncurrentielles et contre les concentrations. Pour éviter les chevauchements, les pratiques commerciales doivent relever de la justice », estime Mohamed Mernissi.

Autour de la table, d’autres voix étaient favorables à ce que le Conseil endosse cette responsabilité, ce qui a largement participé au débat animé tenu au siège du Conseil.

Aujourd’hui, au bout de quatre années d’activité, il est réellement souhaitable de passer à la vitesse supérieure, notamment au niveau du Gouvernement pour libérer rapidement le projet de Loi 06-99 afin que les parlementaires puissent également donner leur avis sur le cadre qui régira le travail du Conseil.

I. Bouhrara

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