Le rideau est tombé, le 31 décembre 2024, sur l’opération de régularisation spontanée des avoirs et liquidités détenus à l’étranger, mise en place par l’article 8 de la Loi de Finances 2024.
Au total, plus de 127 milliards de dirhams ont été déclarés, générant des recettes fiscales qui dépassent 6 milliards de dirhams pour les caisses de l’Etat, selon les chiffres communiqués ce jeudi 9 janvier par le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas. Qui précise que cette initiative a connu un engouement particulièrement marqué lors des derniers jours de 2024.
Au niveau de l’Office des changes (OC), qui a donné ses chiffres mardi, les montants déclarés ont dépassé les 2 milliards de dirhams, répartis sur 658 déclarations. Les actifs financiers prédominent, représentant 916,2 MDH (45%) du total déclaré, suivis de près par les biens immobiliers à hauteur de 868,3 MDH (43%).
Les avoirs liquides complètent cette répartition avec 244,7 MDH, soit 12% du montant total. Au-delà des montants déclarés, l’opération a également généré un versement de 231,76 MDH au Trésor public au titre de la contribution libératoire, fait savoir l’Office.
Ce pactole est évidemment bienvenu en ces temps de tensions budgétaires.
Une performance ? Assurément, comme le dit d'ailleurs Baitas, pour qui "les résultats obtenus dépassent largement les premières estimations du gouvernement et témoignent de l’efficacité de cette mesure exceptionnelle".
Mais est-ce pour autant une victoire totale ? Peut-être pas. Rembobinons un instant.
L'amnistie fiscale, centrée sur les avoirs non déclarés (qu’il s’agisse de cash, de biens immobiliers ou d’actifs financiers) permet aux contribuables de se mettre en règle moyennant une contribution libératoire de 5%. Cette opération, c'est un peu le grand pardon, façon fiscale. Vous avez caché des billets sous le matelas, planqué un petit magot hors radar ?
Pas de souci, revenez au bercail, confessez vos péchés financiers et, moyennant un petit pourcentage, tout est oublié. Tentant, non ? Cette amnistie n'est cependant pas qu'un simple coup de filet fiscal. Il s’agit d’une opération bien orchestrée, avec un partenariat exemplaire entre l’Office des changes, les banques et l’administration fiscale.
Le tout, sur fond de travail pédagogique pour pousser les récalcitrants à se mettre dans le droit chemin. Un droit chemin que tous les «horsla-loi» devront toutefois forcément prendre, à un moment ou un autre.
Pourquoi ? Parce que le contexte international se durcit de plus en plus. La fin annoncée du «no man’s land fiscal» et l’échange automatique d’informations, adopté par l’OCDE, poussent de plus en plus de pays à adopter des dispositifs similaires, rendant la fraude de plus en plus risquée et complexe. Le Maroc a simplement suivi la tendance mondiale, tout en veillant à garder un contrôle strict sur le processus.
Un bon deal pour le Royaume ? Peut-être bien. Car derrière cette opération, se cachent en effet plusieurs enjeux, dont notamment la réinjection de liquidités dans l’économie nationale et le renforcement des réserves de change.
Ainsi, d’un côté, l’Etat a récupéré des recettes qui avaient de fortes chances de lui échapper, tout en évitant de longs et coûteux contentieux.
De l’autre, avec tout le cash qui va être rapatrié directement dans les comptes courants, cette amnistie a offert aux banques une belle moisson. L’afflux de liquidités leur permet de renforcer leur assise financière et améliore ainsi la capacité de financement de l’économie, tout en leur offrant la possibilité de consolider le développement de métiers comme la gestion de patrimoine.
En parallèle, les détenteurs d’avoirs non déclarés ont pu régulariser leur situation en toute confidentialité, sans risquer de lourdes sanctions.
Une question d’équité
Pour autant, on pourrait applaudir cette logique de «realpolitik fiscale» si elle ne posait pas deux problèmes. Le premier nous renvoie à une réalité amère : la persistance d’une méfiance à l’égard du système fiscal et financier.
Pourquoi tant de contribuables ont-ils préféré thésauriser leur cash ou dissimuler leurs avoirs à l’étranger ? Est-ce le cadre réglementaire jugé trop rigide ?
La peur du contrôle abusif ? Le manque de pédagogie fiscale ? En tout cas, la défiance à l’égard du système en place est bien réelle.
Le second problème est une question d’équité, car l’idée de dérouler le tapis rouge à ceux qui se sont soustraits aux lois pendant des années peut paraître injuste pour les honnêtes citoyens. Pourquoi «récompenser» ceux qui ont contourné les règles, alors que des contribuables qui, année après année, respectent scrupuleusement leurs obligations fiscales, n’ont pas droit à de tels égards ?
Pourquoi cette clémence offerte à ceux qui ont préféré jouer à cache… cash avec le Fisc ?
L’amnistie fiscale est-elle, en fin de compte, une prime à la fraude ?
Surtout qu’une telle opération, pour être crédible, doit rester exceptionnelle. Or, sur cette dernière décennie, on en a dénombré trois majeures : 2014, 2020 et 2024.
Alors, va-t-on assister à une nouvelle amnistie dans quelques années ? C’est très possible. Dès lors, pourquoi déclarer ses avoirs si l’on peut attendre la prochaine «opération rédemption» ?
C’est dire que même si les caisses de l'Etat se remplissent, que les banques sont renflouées... et que certains fraudeurs respirent mieux, l’efficacité morale et à long terme de l’amnistie fiscale reste sujette à caution.
Par D. William