Uber est de retour au Maroc après sept ans d’absence. Les taxis, déjà fragilisés par la concurrence sauvage des applications, crient à la provocation et menacent d’une marche nationale sur Rabat. Le bras de fer reprend de plus belle.
Par R Mouhsine
L'application Uber a réactivé ses services le 27 novembre à Casablanca et Marrakech, sept ans après avoir plié bagage face aux manifestations des taxis. Cette fois, la plateforme américaine promet de jouer selon les règles : pas de chauffeurs particuliers, uniquement des véhicules détenteurs d’agrément de transport touristique ou de grand taxi, et une offre limitée à UberX et UberXL.
Un retour calibré, présenté comme un «accompagnement» aux grands événements à venir, de la CAN 2025 à la Coupe du monde 2030. Pour les clients, c’est une bonne nouvelle : réservation en quelques clics, prix connus à l’avance, paiement par carte et suivi GPS. Pour les milliers de chauffeurs de petits et grands taxis, c’est la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien rempli.
«Un non-événement»
Mohamed El Herrak, secrétaire général national du syndicat des chauffeurs de taxis, affiliés à la Fédération démocratique du travail (FDT), ne mâche pas ses mots : «l’arrivée d’Uber est un non-événement pour nous. D’autres applications fonctionnent déjà depuis des années en toute illégalité et en contradiction totale avec la loi marocaine. Ce qui nous met en colère, c’est que les professionnels ne s’en sortent plus. Nous subissons une concurrence déloyale insupportable».
Le syndicaliste pointe du doigt un système à deux vitesses : d’un côté, les chauffeurs de taxi, tenus de reverser 40 à 50% de leurs recettes quotidiennes aux détenteurs d’agréments, de respecter des tarifs réglementés et des zones précises; de l’autre, des plateformes qui, selon lui, opèrent dans l’ombre ou dans une zone grise, sans les mêmes contraintes. «Nous demandons à l’État d’intervenir immédiatement. Et si l’État autorise réellement ce modèle, alors qu’il nous permette, à nous aussi, de travailler comme les VTC : sans reverser la moitié de notre recette à un tiers et avec la liberté de circuler partout», poursuit Mohamed El Herrak.
Marche vers Rabat
Le ton est monté d’un cran avec l’annonce d’une assemblée générale nationale du syndicat ce dimanche 7 décembre à Bouznika. À l’ordre du jour : la décision, ou non, de lancer une grande marche nationale vers Rabat.
«Tout dépendra du contenu des discussions et du sentiment général, mais la coupe est pleine», prévient le leader syndical. En 2015, puis en 2018, des mouvements similaires avaient paralysé Casablanca pendant plusieurs jours.
Côté autorités, le silence reste de mise. Le ministère de l’Intérieur avait pourtant rappelé il y a quelques mois que le transport de personnes via des applications de particuliers demeurait hors-la-loi tant qu’aucun décret d’application ne viendrait compléter la loi 16-13, toujours en attente. Uber, lui, assure respecter la réglementation en ne travaillant qu’avec des transporteurs agréés.
Reste que cette distinction demeure floue pour beaucoup de professionnels, qui estiment que la plateforme profite d’un vide juridique que d’autres applications exploitent depuis longtemps. A noter qu’Uber a migré une centaine de chauffeurs issus de Careem vers sa plateforme pour ce lancement initial, avec un objectif de croissance progressive via des partenariats avec des flottes touristiques.
Le ministère du Transport prépare, quant à lui, une étude pour réguler les VTC, visant à intégrer 10.000 nouveaux véhicules d’ici 2030, en vue des flux attendus de 26 millions de touristes annuels à l’horizon 2030.
À moins de trois semaines du coup d’envoi de la CAN, le timing est tendu. Le Maroc veut montrer au monde une image moderne, fluide, accueillante. Mais sur le terrain, la bataille pour le bitume est plus rude que jamais. Entre l’aspiration des citadins à une mobilité simple et la colère légitime d’une profession qui se sent abandonnée, l’équation s’annonce complexe.