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Démarchage téléphonique: Nouvelle contrainte règlementaire pour les call centers

Démarchage téléphonique: Nouvelle contrainte règlementaire pour les call centers

Visant à encadrer la pratique du démarchage téléphonique, un nouveau décret français risque de mettre en péril l’avenir de certains centres d’appels au Maroc.

La téléprospection constitue près de la moitié du segment des appels sortants.

 

Par M. Ait Ouaanna

Nouveau coup dur pour les call centers marocains. Deux ans après la promulgation par le gouvernement français de la loi n° 2020-901 visant à réglementer le démarchage téléphonique, le décret tant attendu par les consommateurs français voit le jour. Entré en vigueur le 1er mars courant, ce texte vient encadrer les jours, horaires et fréquence des appels téléphoniques à des fins de prospection commerciale. Une pilule difficile à avaler pour les centres d’appels marocains dont l’essentiel de l’activité est orienté vers le marché francophone.

Au fil des années, le Royaume a su se positionner comme une destination attractive et compétitive de l'offshoring. En termes de gestion de la relation client, l’un des segments majeurs du secteur, le Maroc ne cesse de développer son activité. Aujourd’hui, le pays compte plus d’une centaine de centres d’appels qui génèrent annuellement plus de 8 milliards de dirhams et emploient plus de 120.000 personnes. D'après les résultats d'une étude menée par la plateforme ReKrute, les call centers demeurent les plus gros pourvoyeurs d’emploi au Maroc. Sur le total des postes ouverts en 2022, ces établissements se taillent la part du lion avec un taux de 46%.

Certes, le secteur est en pleine expansion, mais l’enchaînement de mesures contraignantes risque de changer la donne. Le décret casse-tête Suite à l’entrée en application de ce nouveau décret français, le démarchage téléphonique des particuliers n’est permis qu’au cours de la semaine, soit du lundi au vendredi, de 10H à 13H et de 14H à 20H. Ainsi, le téléconseiller n’a plus le droit de solliciter une personne par voie téléphonique à des fins de prospection commerciale pendant le week-end et les jours fériés. Par ailleurs, ce décret encadre également la fréquence des appels. Ainsi, un consommateur ne peut pas être sollicité plus de quatre fois par mois par le même professionnel ou par une personne agissant pour son compte.

D’autre part, ledit décret stipule qu’au cas où un consommateur refuse d’être démarché, le professionnel n’est plus autorisé à le recontacter avant l’expiration d’une période de soixante jours calendaires. En revanche, la violation de ces règles est sanctionnée d’une amende de 75.000 euros pour une personne physique et 375.000 euros pour une personne morale. Notons par ailleurs que ce décret ne fait que compléter l’arsenal de mesures instaurées afin de limiter le démarchage téléphonique.

Dans ce sens, il est opportun de rappeler que face à l’indignation des associations de défense des consommateurs, le gouvernement français avait mis en place en 2016, Bloctel, un service gratuit permettant aux utilisateurs d’inscrire leurs numéros en vue de s’opposer au marketing téléphonique. Un frein à la prospection C’est clair comme de l’eau de roche : ce nouveau décret va mettre des bâtons dans les roues des call centers marocains. Cependant, selon les professionnels du secteur, l’effet ne se fera ressentir que sur un segment mineur de l’activité. «Cette mesure aura un impact de l’ordre de 20% sur les activités de téléprospection qui correspondent à près de la moitié du segment des appels sortants, qui luimême représente une part minoritaire du secteur des centres de contacts au Maroc. En effet, les appels sortants pèsent environ 30% de l’activité globale des centres d’appels. Par conséquent, l’impact de 20% concerne 15% de l’activité totale», explique Youssef Chraïbi, président de la Fédération marocaine de l'externalisation des services (FMES) et président du Groupe Outsourcia.

Et de poursuivre : «le manque à gagner total devrait représenter environ 3% des revenus à l’export de l’ensemble de la filière call centers. Ainsi, l’impact sera donc mineur pour les outsourceurs généralistes adressant différents marchés et qui représentent plus de 70% de l’activité du secteur, concentrée autour d’une dizaine d’acteurs. En revanche, l’impact sera plus important pour les agences de télémarketing spécialisées, qui elles, représentent plus de 200 acteurs de petite taille». Face à ces mesures contraignantes pour le service de téléprospection, les centres d’appels s’efforcent de trouver des solutions pour adapter leur activité aux nouvelles réglementations.

«Nous avons mis en place un dispositif permettant d’optimiser l’exploitation des fichiers de prospection. De plus, les appels sont programmés à des moments différents de la journée et de la semaine afin d’augmenter les taux de joignabilité. Par ailleurs, les tentatives d’appels seront désormais plus exposées dans le temps, ce qui réduira la pression commerciale sur les prospects», précise Youssef Chraïbi. Les téléconseillers payent la note Récapitulons : la prospection, segment minoritaire de l’activité des centres de contacts au Maroc, est le seul service qui va subir les conséquences de ce nouveau décret. Mais outre les call centers et les clients donneurs d’ordres, les téléconseillers vont également en prendre des coups.

«Le changement d’horaire impacte le train de vie habituel des salariés. Étant donné que les appels sont désormais interdits pendant le weekend, les téléconseillers seront obligés de travailler 9 heures. De surcroît, la répartition des heures de travail entre la matinée et l’après-midi est déséquilibrée : les agents travaillent de 10H jusqu’à 13H, donc 3H le matin, puis de 14H jusqu’à 20H, soit 6H l’après-midi, ce qui va forcément affecter le rendement des salariés ainsi que leur santé physique et mentale», martèle Ayoub Saoud, secrétaire général (SG) de la Fédération nationale des travailleurs des centres d’appels et des métiers de l’offshoring (FNCAMO), affiliée à l’Union marocaine du travail (UMT). Par ailleurs, le syndicaliste souligne qu’en interdisant la prospection durant les jours fériés français, cela va poser des problèmes au niveau de la rémunération des conseillers.

A ce propos, Ayoub Saoud révèle que dans ce cas-là, certains établissements imposent aux salariés de prendre un congé ou leur annoncent tout simplement qu’ils ne seront pas rémunérés. Pour faire face aux différentes problématiques liées au secteur des centres d’appels, impactant l’épanouissement des salariés, la FNCAMO milite depuis plusieurs années pour la signature d’une convention collective sectorielle qui va répondre aux spécificités des secteurs, non prises en charge par le Code du travail.

«Le patronat doit être conscient et responsable. Certes, ces contraintes au niveau européen compliquent la situation, mais il faut protéger les salariés. Il est important de mettre en place un socle juridique visant à améliorer les conditions de travail des employés du secteur, notamment à travers une convention collective sectorielle qui sera claire, adoptée par le ministère de tutelle, connue par les investisseurs étrangers pour que les clients donneurs d’ordres sachent également leurs responsabilités. Dans ce sens, les acteurs nationaux doivent être en mesure de faire valoir la destination Maroc et de ne pas la laisser vulnérable face à de tels changements», conclut le secrétaire général de la FNCAMO. 

 

Youssef Chraibi : «L’adhésion à la FMES se fait exclusivement par cooptation»
«Certaines agences de télémarketing de petite taille entachent l’image d’un secteur essentiellement concentré autour de multinationales qui partagent des valeurs et des pratiques socialement responsables, paradoxalement très en avance. C’est justement pour cette raison que l’adhésion à la FMES se fait exclusivement par cooptation, en se basant sur des critères éthiques et de RSE. Nous avons ainsi mis en place une charte de responsabilité sociale spécifique à notre secteur, et la signature de cette charte constitue un prérequis avant toute nouvelle adhésion à notre fédération. Par ailleurs, il existe un nombre important de certifications et de labels propres à notre profession, qui permettent justement aussi bien à nos clients qu’à nos collaborateurs de sélectionner les acteurs responsables. Ils sont quasiment tous regroupés au sein de la FMES»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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