L’inflation, qui s’est établie en moyenne à 6,6% en 2022, reste le «dossier» à suivre en ce début d’année.
BAM pourrait procéder à une 3ème hausse du taux directeur pour juguler les tensions inflationnistes et limiter les conséquences de ses interventions sur le marché secondaire.
Par D. William
Les derniers chiffres relatifs à l’inflation viennent de tomber. Et ils sont sans surprise. Pour le dernier mois de l’année 2022, les prix à la consommation sont restés aussi haut qu’en novembre, se situant légèrement au-dessus de 8%. Au final, sur l’exercice 2022, l’inflation s’est établie en moyenne à 6,6%, tirée par la hausse de l’indice des produits alimentaires de 11,0% et de celui des produits non alimentaires de 3,9%. Les variations enregistrées pour les produits non alimentaires vont d’une hausse de 0,1% pour la «Santé» à 12,2% pour les «Transports».
Etonnamment, c’est l’un des secteurs qui a été le plus sponsorisé par le gouvernement qui a enregistré la plus forte augmentation : il s’agit particulièrement du transport routier. Il a bénéficié d’une attention singulière de la part de l’Etat tout au long de l’année. Plusieurs tranches d’aide ont été accordées aux transporteurs pour faire face à la fluctuation des prix des carburants. Sont concernés par cette opération environ 180.000 véhicules. Objectif du gouvernement : empêcher une hausse des prix du transport routier pour éviter de grever le pouvoir d’achat des citoyens.
In fine, pas sûr que l’objectif visé ait été atteint. Les citoyens, qui voulaient une aide directe, comme cela a été le cas dans plusieurs pays, prennent toujours en pleine poire la cherté de la vie. De leur côté, les transporteurs jugent toujours l’aide insuffisante, même si elle a été revalorisée de 40% lors du 4ème soutien qui leur a été accordé. Au total, l’appui aux professionnels du secteur a atteint sa 9ème tranche avec près de 3,9 Mds de DH, selon les chiffres fournis lundi dernier par la ministre de l’Economie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui.
Le «dossier» à suivre
A côté de la situation qui prévaut sur le marché obligataire, l’inflation reste le «dossier» à suivre en ce début d’année. Elle va d’ailleurs guider la politique monétaire que va adopter la Banque centrale, qui a déjà procédé par deux fois successivement à une hausse de son taux directeur pour contenir la hausse des prix, le portant à 2,5%. Il est vrai qu’une certaine détente est observée depuis quelques semaines, avec notamment la baisse des tensions sur les produits énergétiques et alimentaires. Et elle devrait être plus visible durant cette année.
D’ailleurs, après 6,6% en 2022, l’inflation se situerait à 3,9% en moyenne en 2023, avant d’enregistrer un nouveau rebond en 2024 à 4,2%, selon les prévisions de Bank Al-Maghrib. Mais, globalement, les niveaux des prix restent toujours élevés dans un pays où l’inflation s’est située en moyenne à 1,6% durant la période 2015-2020. C’est pourquoi les experts tablent sur la poursuite de la politique de resserrement monétaire par BAM, à travers une 3ème hausse du taux directeur, pour juguler les tensions inflationnistes. «Je crois effectivement que Bank Al-Maghrib va très certainement procéder à une nouvelle hausse du taux directeur, pour au moins deux raisons», confirme Rachid Achachi, docteur en économie. Selon lui, la première raison est que BAM doit «pouvoir continuer à maîtriser l’évolution des tendances inflationnistes. Mais l’effet va être marginal, car comme elle le rappelle ellemême, l’inflation demeure en majeure partie importée. Quant à l’inflation endogène, qui semble déjà être bien maitrisée, elle ne requiert pas forcément une hausse du taux directeur, même si elle peut donner un coup de pouce et maintenir la tendance à la baisse des prix».
La seconde raison tient au fait que «la hausse du taux directeur pourrait avoir pour objectif de contrecarrer les conséquences, au niveau de la croissance de la masse monétaire, des rachats de bons du Trésor par Bank Al-Maghrib», souligne-t-il, précisant qu’«en l’espace de 3 semaines, la Banque centrale a injecté plus de 16 Mds de DH, laissant entendre qu’il y aura d’autres rachats de bons du Trésor au niveau du marché secondaire». De fait, poursuit Achachi, «la hausse du taux directeur permettrait de réduire un peu l’impact de ces injections de liquidité». Pour sa part, le FMI, qui vient de rendre public son rapport sur le Maroc suite aux dernières consultations dans le cadre du Livre VI, estime également que «ramener l'inflation à environ 2% d'ici fin 2024 (comme prévu actuellement dans le scénario central) nécessitera de nouvelles augmentations du taux directeur».
Cette augmentation du taux directeur reste une logique dans laquelle s’inscrivent les Banques centrales dans la majorité des grandes économies, notamment les Etats-Unis et la zone Euro. D’ailleurs, lundi, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a affirmé que l'institut monétaire va continuer à relever ses taux «à un rythme soutenu» pour combattre l'inflation toujours trop élevée en zone Euro. En moins de six mois, la BCE a relevé ses taux directeurs de 2,50 points de pourcentage, la hausse la plus rapide de son histoire. Sauf que, globalement, ce durcissement de la politique monétaire devrait affaiblir la croissance.
Quid de l’impact sur la croissance ?
Au Maroc, le HCP et BAM prévoient respectivement une croissance de 3,3% et 3,6% en 2023. Des prévisions qui peuvent paraître optimistes, compte tenu des perspectives d’entrée en récession des principaux partenaires commerciaux du Royaume, du durcissement des conditions financières internationales, du maintien des prix à des niveaux élevés et, également, du resserrement de la politique monétaire de BAM. Mais pour Achachi, «un taux de 2,5-3% est tout à fait réalisable, malgré les tensions inflationnistes».
D’abord parce que le Maroc n’est pas dans une année de sécheresse : la météo est favorable, «avec une pluviométrie relativement clémente». Ensuite, «la récession des partenaires européens n’est pas réellement actée. Nous avons certes les prémices d’une récession camouflée, mais dont les effets ne sont pas encore ressentis au niveau de la balance commerciale et des volumes d’échanges entre notre économie et nos partenaires. Donc, l’impact pourrait être décalé d’une année. Peut-être effectivement que ce n’est que fin 2023 – 2024 que l’on ressentira pleinement les effets de la récession économique dans la zone Euro et en Amérique du Nord», conclut-il.