Par B. Chaou
La reprise ! Un mot qui n’a cessé d’occuper les esprits depuis que la Covid-19 a mis à genoux l’économie mondiale, mettant à l’arrêt plusieurs activités. Aujourd’hui, au Maroc comme ailleurs, la relance économique est conditionnée par plusieurs facteurs, dont la maîtrise de la pandémie et l’atteinte de l’immunité collective. Des conditions qui permettraient un retour plus soutenu de l’activité aérienne, censée revigorer les économies.
En effet, pour plusieurs experts, l’ouverture des frontières est une condition sine qua non pour la relance. Xavier Tytelman, expert en économie de l’aéronautique et consultant auprès de Starburst, est clair à ce sujet : «Le transport aérien et l'économie sont intimement liés et s'entraînent mutuellement. La Chaire Pégase, dédiée à la recherche sur l'économie du transport aérien, avait ainsi montré qu'une croissance de 10% du trafic aérien dans une région entraînait localement une hausse de 0,1 à 0,5 % du PIB, de 4,7% d’investissements directs à l’étranger (IDE), de 0,3 à 0,7% des salaires, 3,9% de la démographie locale. De la même manière, on observe depuis 20 ans que le trafic aérien progresse deux fois plus rapidement que le PIB local; si la croissance économique est de 2%, l'aérien progressera de 4%».
Les pays touristiques comme le Maroc voient une part importante de leur richesse reposer sur le secteur aérien. Une étude de l'IATA (Association du transport aérien international) avait ainsi montré que plus de 500.000 emplois risquaient de disparaître au Maroc sans un rétablissement du trafic aérien.
«Au-delà des employés des compagnies aériennes ou des aéroports, le transport de passagers irrigue toute l'économie et tous les territoires, permettant par exemple plus de 10% de la croissance du continent africain», confie Xavier Tytelman. Le Maroc doit ainsi rapidement rouvrir ses frontières au risque de perdre des marchés dans le secteur du tourisme, dans lequel la concurrence est déjà rude. D’ailleurs, plusieurs pays voisins, dont la saison estivale représente une importante source de revenus, ont d’ores et déjà allégé les mesures d’entrée sur leur territoire.
«La Tunisie n'exige plus de quarantaine pour les voyageurs vaccinés et l'Algérie va recommencer à assurer des vols vers l'Europe début juin. Le Maroc prendra peut-être une décision après le 10 juin, mais les touristes risquent bien d'avoir déjà choisi leur destination de vacances estivale. Le Maroc, qui était jusqu'ici le grand pays aéronautique d'Afrique du Nord avec une compagnie nationale efficace (voire rentable !), pourrait à plus long terme être fragilisée. Cela mettrait un coup d'arrêt à sa stratégie de positionnement entre l'Afrique et le reste du monde au profit d'Air Algérie», avertit notre expert.
Qu’en pensent les médecins ?
Il est important dans une telle perspective de se référer à l’avis des professionnels de santé, car in fine, c’est l’évolution de la situation sanitaire qui permettra aux autorités de décider de s’ouvrir ou pas au reste du monde. Consulté à ce sujet, Jaâfar Heikel, épidémiologiste, professeur de médecine préventive, spécialiste des maladies infectieuses et économiste de la santé, explique qu’«aujourd’hui, les résultats montrent que nous avons un taux de létalité parmi les plus bas au monde, aux alentours de 1,76%. S’agissant d’ouverture, celle-ci doit se faire d’abord sur le plan intérieur; ça veut dire permettre plus de liberté au niveau national tout en restant extrêmement vigilant, et garder en tête que l’ouverture ne signifie pas qu’on ne peut pas revenir à des mesures plus restrictives».
Il est clair que l’Etat devra agir avec précaution en ouvrant progressivement l’économie pour éviter à tout prix une hausse des contaminations. Chose qu’il a déjà entamée avec l’allègement des mesures restrictives liées, entre autres, aux rassemblements dans le secteur de l’événementiel, ou encore avec l’accès aux plages.
Jaâfar Heikel estime d’ailleurs qu’«au-delà de la mi-juin, il faut permettre aux étrangers de venir au Maroc et aux Marocains de voyager, le tout sous certaines conditions raisonnables et sereines, mais qui permettent un retour progressif à la vie normale sur les plans économique et social. Donc ouverture oui, mais avec les précautions nécessaires».
Les professionnels favorables à la vaccination
Plusieurs pays comme le Portugal, la Tunisie ou encore l’Egypte sont en avance par rapport au Maroc en termes d’ouvertures des frontières. Toutefois, ces pays ont rendu le vaccin obligatoire pour les professionnels du tourisme, comme le personnel des hôtels, les serveurs des cafés et restaurants, etc. Le Maroc suivra-t-il le même exemple ? Si les autorités ne se sont pas encore prononcées sur la question, les professionnels, de leur côté, ne sont pas contre cette idée. Interrogé à ce sujet, le président du Centre régional du tourisme (CRT) Marrakech-Safi répond que «c’est une bonne solution. Tout ce qui est de nature à assurer une reprise en préservant la santé des citoyens est à accueillir à bras ouverts. Personnellement, j’applaudirais une telle initiative et j’en serai favorable».
Dans le même sens, la Fédération marocaine de la franchise (FMF) estime que c’est une solution efficace pour une reprise rapide de l’activité. D’ailleurs, selon Mohamed Elfane, président de la FMF, les professionnels avaient déjà sollicité le gouvernement afin de vacciner en priorité le personnel du secteur.
«Nous avons envoyé une demande aux autorités il y a quelques mois déjà pour leur demander à ce que les personnels des cafés, restaurants et métiers de bouche en général soient vaccinés prioritairement, car ils sont directement exposés aux clients, mais nous n’avons pas reçu de réponse. Ceci permettra de travailler en toute sérénité et de protéger davantage les citoyens».
Par ailleurs, il faut potentiellement s’attendre à ce que l’Union européenne ne permette à ses ressortissants de voyager au Maroc qu’à la condition d’appliquer le principe de réciprocité. Autrement dit, le Maroc devra également autoriser ses citoyens à se déplacer à l’étranger, mais sous certaines conditions sanitaires. Affaire à suivre …