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Sécheresse : A l’Oriental, le fleuve Moulouya à l’agonie

Sécheresse : A l’Oriental, le fleuve Moulouya à l’agonie

- C’est indubitablement un véritable drame écologique qui se déroule au Maroc, et plus précisément dans l’Oriental. La Moulouya, l’un des plus longs fleuves du Royaume, ne se déverse plus dans la mer Méditerranée.

- Classé comme site d'intérêt biologique et écologique (SIBE), ainsi que site Ramsar «zone humide d’importance internationale», la Moulouya vit sous la menace persistante d’assèchement. Depuis plusieurs mois déjà, son débit d’eau connaît une faiblesse sans précédent. Les écologistes de la région incriminent l’excès des barrages et des stations de pompage ainsi que l’agriculture intensive.  

- Entretien avec Mohamed Benata, ingénieur agronome, président de l’Espace de solidarité et de coopération de l’Oriental (ESCO) et coordinateur général de l'Écolo plateforme du Maroc du nord (Ecoloman).

 

Propos recueillis par M. Ait Ouaanna

La Quotidienne : Comment peut-on interpréter la situation actuelle du SIBE de la Moulouya ?

Mohamed Benata : La situation actuelle du SIBE de la Moulouya est très préoccupante. A la suite de la surexploitation de ses ressources hydriques pour les besoins d’irrigation en agriculture, le bassin versant de la Moulouya risque d’être fermé à l’instar d’autres bassins versants, à savoir celui de Tensift, de Sous Massa, de Draa ou encore d’Oum Er-Rbia. Tout a commencé avec la construction des barrages. Au début, on nous disait que ces infrastructures étaient programmées pour régulariser les crues de la Moulouya. Mais par la suite, il s’est avéré que ces barrages étaient mal conçus, faisaient obstacle aussi bien aux eaux de crues qu’au débit d’écoulement des oueds et ne lâchaient les eaux stockées que lors des fortes crues qui dépassaient les capacités de stockage de ces derniers.

Avant la construction du premier barrage à Machraa Hammadi en 1956, le débit moyen de la Moulouya au niveau de la station de SafSaf était de 30 m3 par seconde. Après la construction des autres grands barrages, notamment Mohammed V, Laghrass et Hassan II, il ne restait plus que les résurgences en aval de Machraa Hammadi pour alimenter le débit écologique du SIBE de la Moulouya avec en moyenne 7 m3/s. En 1996, il y a eu la construction par l’Office de mise en valeur de la Moulouya (ORMVAM) de la station de pompage de Moulay Ali qui prélève 3.9 m3/s sur les 7 m3/s. En 2021, le ministère de l’Agriculture a construit une autre station de pompage à Ouled Setout sans procéder à l’étude d’impact sur l’environnement (EIE) et sans tenir compte du débit écologique du SIBE de la Moulouya pour prélever un débit supplémentaire de 1.5m3/s.

LQ : Quelles sont les raisons derrière la dégradation continue du fleuve Moulouya ?

M. B : Plusieurs évènements ont conduit à la dégradation du SIBE de la Moulouya. Il s’agit premièrement de la construction de plusieurs infrastructures qui n’ont pas pris en considération le statut du SIBE de la Moulouya. Ainsi, il y a eu la construction de la rocade méditerranéenne, ensuite de la voie de contournement et du canal de protection de la ville de Saïdia contre les inondations. Ce canal est à l’origine du dessèchement du marécage de Cherarba. Il est également question de l’exploitation illégale du sable sur les bords de la Moulouya, ainsi que de la pollution des eaux dudit fleuve par les unités industrielles et les stations de traitement des eaux usées au niveau des villes du voisinage comme Zaïo, Cap de l’Eau et Saïdia. Autres raisons de cette dégradation, la salinisation des eaux de la Moulouya à la suite de la baisse du débit écologique, la surexploitation des eaux de la Moulouya et le détournement de son débit vers l’irrigation de nouveaux périmètres agricoles, en plus du fort afflux des estivants en période d’été à la suite des difficultés d’accès au littoral au niveau de la station balnéaire de Saïdia.

LQ : En vue de faire face à la sévère sécheresse que connaît la région, le gouvernement a récemment annoncé le lancement d’une série de projets au niveau du bassin hydraulique de la Moulouya, dont la construction d’un nouveau barrage. Ce nouveau projet va-t-il accentuer la faiblesse du débit écologique de l’embouchure de la Moulouya ?

M.B : Actuellement, le ministère de l’Equipement et de l’Eau envisage dans le cadre du programme d’urgence 2020/2027 la construction d’un nouveau barrage au niveau de Machraa Saf Saf. Situé en aval de l’ancien barrage de Machraa Hammadi, celui-ci va intercepter les eaux en provenance des résurgences qui alimentent le SIBE de la Moulouya et donc représente un risque réel pour le devenir du SIBE de la Moulouya et son alimentation en eau. Ce projet du nouveau barrage de Saf Saf nous inquiète beaucoup et nous sollicitons monsieur le ministre de l’Équipement et de l’Eau de revoir cette option et n’envisager aucune construction de barrage ou de station de pompage en aval du barrage de Machraa Hammadi.

LQ : Quelles sont vos recommandations pour sauver la Moulouya ?

M. B : Mes recommandations pour sauver le SIBE de la Moulouya sont celles que les associations écologistes fédérées par l'écolo plateforme du Maroc du Nord ont formulées lors de l'événement que nous avons organisé le 5 juin dernier à Tafoughalt, pour célébrer la Journée mondiale de l’environnement et qui sont :

1-     Réaliser une étude scientifique pour la détermination du débit écologique de la Moulouya.

2-     Promulguer les arrêtés d’application des articles 25, 96 et 97 de la loi sur l’Eau n° 36-15

3-     Revoir le projet de construction d’un nouveau barrage en aval de Machraa Hammadi au niveau de Machraa Saf Saf. S’abstenir de toute nouvelle construction de barrage ou de station de pompage en aval du barrage de Machraa Hammadi.

4-     Améliorer le mode de traitement des eaux usées dans les STEP afin de pouvoir les réutiliser en agriculture ou dans le milieu naturel.

5-     Elever le statut de protection du SIBE de la Moulouya conformément à la loi sur les aires protégées n° 22-07 et ses arrêtés d’application.

6-     Elaborer et adopter un plan de gestion du SIBE de la Moulouya.

7-     Atténuer la pression d’exploitation des eaux au niveau des stations de pompage de Moulay Ali et Ouled Setout.

8-     Lutter contre l’exploitation illégale des eaux non autorisées et le vol d’eau et placer des compteurs au niveau des stations de pompage privées et des puits.

9-     Actualiser les limites du SIBE pour intégrer les résurgences d’eau qui alimentent le SIBE.

10-  Effectuer les travaux d’entretien et de curage des canaux de façon régulière pour assurer la circulation des eaux en provenance des résurgences qui alimentent le SIBE.

11-  Réutiliser les eaux récupérées par le canal de protection contre les inondations pour alimenter la nappe phréatique.

12-  Stopper l’extension de l’urbanisation en direction des zones humides du SIBE.

13-  Réalisation de seuils hydrauliques pour stopper l’intrusion des eaux marines saumâtres tout en respectant le déplacement des poissons en aval ou en amont.

14-  Protection et restauration de la junipéraie en cours de dessèchement.

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