◆ Le nombre de tests a drastiquement baissé.
◆ Les chiffres actuels semblent biaisés et ne donnent pas une lecture fidèle de la situation épidémiologique.
◆ Par principe de précaution, le gouvernement durcit les restrictions.
◆ Le Maroc reste toujours scotché dans les starting-blocks, alors que plusieurs pays ont démarré leur campagne de vaccination.
Par D. William & A. Hlimi
Les autorités continuent de serrer la vis. Depuis le 23 décembre à 21H, de nouvelles dispositions sont entrées en vigueur pour une durée de trois semaines. Ainsi, il a été décidé la fermeture des restaurants, commerces et grandes surfaces à 20h et l’instauration d’un couvre-feu nocturne à l'échelle nationale de 21h à 6h du matin, sauf cas exceptionnels. De même, les fêtes et rassemblements publics ou privés sont interdits et, pour les villes de Casablanca, Marrakech, Agadir et Tanger, les restaurants sont fermés pour trois semaines. Ces mesures viennent en sus de toutes les autres précédemment annoncées (www.laquotidienne. ma).
Les différentes régions et provinces du Royaume vivent depuis plusieurs mois au rythme des restrictions, au nom de l’état d’urgence sanitaire. Entre les limitations des déplacements, le couvre-feu ou encore la réduction des horaires d’ouverture de certains commerces…, les libertés individuelles en prennent un sacré coup. Si, au plus haut de la crise sanitaire, certaines mesures, comme le confinement strict, se justifiaient amplement, en est-il de même aujourd’hui ? Autrement dit, la situation épidémiologique actuelle au niveau national légitime-t-elle le durcissement des mesures restrictives ?
Pas évident de répondre à cette interrogation. Rappelons-nous qu’alors que le Maroc était entièrement sous cloche, le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, affirmait que trois conditions devaient être remplies pour amorcer le dé-confinement : la stabilité de la situation épidémiologique, la tendance à la baisse des nouveaux cas de contamination et l'inflexion de l'indicateur de propagation du virus (R0) sous la valeur 1. Ces trois conditions semblaient donc réunies, avec, au 3 juin, un R0 de 0,75 qui différait certes d’une région à l’autre, mais demeurait inférieur à 1 sur tout le territoire national.
Un dé-confinement progressif a dès lors été en-tamé dès le 10 juin. La détérioration de la situation épidémiologique qui s’en est suivie, juste après l’Aid Al-Adha, avec notamment la montée en flèche des cas de contamination et de décès, a contraint par la suite les autorités à multiplier les restrictions. Et ce, sur fond de hausse du taux de reproduc-tion, qui se situait entre 0,98 et 1,2 durant la période allant du 29 septembre au 12 octobre, et à 1,22 le 8 novembre. Au 20 décembre, la courbe épidémiologique hebdomadaire relative à la Covid-19 au Maroc a évolué en baisse de 12,2%.
De même, le R0 s’est stabilisé à 0,93, selon le bilan bimensuel présenté par le chef de la division des maladies transmissibles à la direction de l'épidémiologie et de lutte contre les maladies au ministère de la Santé, Abdelkrim Meziane Belfkih. Dans l’absolu, les derniers chiffres semblent montrer que nous avons dépassé le pic de l’épidémie et que le durcissement des restrictions porte ses fruits.
Mais peut-on se fier aux statistiques rendues publiques ? Il est permis d’en douter parce qu’elles semblent, à bien des égards, fortement biaisées. Il s’avère, en effet, et sans que cela ne soit expliqué par les autorités, que le pied a été levé en ce qui concerne le nombre de tests effectués. Ces derniers ont ainsi drastiquement baissé, passant de 23.000 par jour début novembre à 15.000 pendant les premières semaines de décembre, avec un plus bas de 7.136 tests le 21 décembre (voir graphe). Et cette réduction drastique des tests s’accompagne logiquement de la diminution des cas de contamination et des cas actifs, ces derniers étant chiffrés à 30.693 au 22 décembre.
Or, il est impossible de comparer les statistiques récentes avec les données historiques, d’autant que la base des tests n'est pas la même. De plus, plusieurs professionnels de santé font état d'une pénurie du réactif servant à effectuer les tests PCR. Par ailleurs, dans certaines villes où le test PCR n’était pas disponible, des patients ont été considérés négatifs avec un test sérologique qui, rappelons-le, est réalisé à partir d'un prélèvement sanguin pour rechercher des anticorps spécifiques (IgM ou IgG) fabriqués au contact avec un agent pathogène.
Sauf que si la sérologie est effectuée trop tôt, elle peut être négative même si la personne est infectée, parce que les anticorps n’ont pas le temps d’apparaître. D’autres, par contre, ont été testées positives alors qu’elles n’avaient pas la Covid-19. Si, pour un biologiste de la place, «les chiffres sont bons et réels», il déplore néanmoins «la capacité de dépistage qui n’est pas élevée».
«Avant, nous étions à presque 25.000 tests par jour, alors qu’aujourd’hui le nombre de tests se situe entre 15 et 20.000/jour. La capacité en nombre de tests n’est jamais suffisante. Voyez les pays européens, ils en ont fait beaucoup et ce n’est pas assez», explique-til, non sans préciser que «le problème que nous avons aujourd’hui est la prise en charge. Si ces tests étaient pris en charge à 100% par les organismes sociaux, on pourrait facilement doubler notre capacité de dé-pistage. Plus on teste, mieux c’est : on teste, on isole, on traite».
Même son de cloche chez un autre médecin pour qui «les chiffres sont crédibles, mais ne sont pas représentatifs de la population». «Par exemple, si on dépiste 20.000 personnes, on va trouver approximativement 4.000 cas; si on en dépiste 40.000, on trouvera forcément plus, et donc les cas de contamination seront conséquents. Plus on dépiste, plus on trouvera des cas», analyse-t-il. Faisant remarquer aussi qu’«il faut prendre en considération une certaine catégorie de la population qui échappe au dépistage, notamment les asymptomatiques non diagnostiqués ou encore les mal-lotis qui n’ont pas les moyens de se faire dépister».
C’est dire qu’il faut prendre une certaine distance vis-à-vis des cas annoncés au quotidien au Maroc. Et les autorités le savent pertinemment. C’est pourquoi même si le R0 est actuellement en dessous de 1 et que la courbe épidémiologique est en baisse depuis plusieurs semaines, elles maintiennent, voire renforcent les restrictions. Histoire de ne pas être encore confrontées à une vague épidémique qui va provoquer l’engorgement des hôpitaux et mettre davantage de pression sur des professionnels de santé déjà épuisés par plusieurs mois de mobilisation.
Un principe de précaution que les citoyens semblent ac-cepter. Et qu’ils devront encore accepter, d’autant que le gouvernement ne semble pas décidé à desserrer l’étau, attendant visiblement le démarrage de la campagne de vaccination. Sur ce point d’ailleurs, le Maroc reste toujours scotché dans les starting-blocks, alors que plusieurs pays ont commencé à vacciner leurs populations.