Les islamistes ont préféré s’en remettre au proverbe qui dit «les vieilles marmites font les meilleures soupes», en élisant Abdelilah Benkirane secrétaire général du parti de la lampe.
Mais cet homme à la rancune tenace saura-t-il fédérer et redorer le blason du PJD ?
Par D. William
On le croyait politiquement mort depuis qu’il a été évincé par le Roi de son fauteuil de chef de gouvernement et remplacé par son camarade de parti Saad Eddine El Otmani.
On disait de lui qu’il était définitivement discrédité lorsqu’il a avoué percevoir une pension de retraite exceptionnelle quand il a quitté le gouvernement. On l’a même traité d’amuseur de la scène politique quand, très souvent, il s’est fendu de propos incendiaires sur les réseaux sociaux pour allumer El Otmani ainsi que les membres de l’ancienne équipe gouvernementale. Fini ?
Abdelilah Benkirane ne l’était visiblement pas. Il a la carapace dure. Et c’est en lion blessé qu’il opère un retour triomphal à la tête du PJD. Samedi 30 octobre, à l’issue d’un congrès extraordinaire, il a été élu à une très large majorité secrétaire général du Parti de la justice et du développement. Les vieilles marmites font les meilleures soupes, dit-on.
La base de cette formation politique a donc préféré s’en tenir à cette assertion au lieu d’opter pour le renouveau, choisissant de remettre en selle l’une des figures historiques du PJD, qui revendique d’en incarner les valeurs fondatrices. Et c’est peut-être cela qui lui a valu ce plébiscite et ce retour en force.
Car, souvenons-nous, Benkirane a toujours accusé El Otmani de souiller et tripatouiller les références idéologiques du PJD, au regard notamment des choix politiques et des nombreux compromis faits par l’ex-chef de gouvernement au sein de la majorité (la loi-cadre relative au système d’éducation, de formation et de recherche, en raison de l’enseignement des matières scientifiques en langues étrangères ou encore la loi sur les usages licites du cannabis).
«Le PJD a subi une lourde défaite lors des dernières élections du 8 septembre 2021. Cette déception était difficile à digérer. Une fois le résultat du scrutin dévoilé, le secrétariat du parti a présenté sa démission et certains observateurs prédisaient l’éclatement ou la scission du parti. Pour assurer sa résurrection, la formation à la lampe a choisi Abdelilah Benkirane. Les militants du PJD estiment que c’est le seul homme capable de redorer le blason du parti. Il dispose d’une longue expérience politique et son passage à la tête du gouvernement est un atout de taille. Sans oublier les autres qualités qui lui permettent de se distinguer dans la scène politique nationale, notamment le fait qu’il soit un bon orateur qui ne mâche pas ses mots. De plus, il a beaucoup d’affinité avec le Mouvement unité et réforme (MUR), aile idéologique des islamistes», analyse le politologue Mohamed Belmir.
Et après ? Benkirane renaît de ses cendres. Mais réussira-t-il à faire renaître de ses cendres le PJD ? Il se retrouve aux commandes d’un parti laminé par les dissensions internes et qui a essuyé un revers historique lors des dernières législatives, récoltant seulement 13 sièges sur 395 à la chambre des représentants, contre 125 sièges auparavant. Un parti qui a subi un choc traumatique tel qu’il lui est presque impossible de rejouer les premiers rôles sur la scène politique nationale à moyen terme.
La principale mission de Benkirane sera donc de remettre cette formation politique de sa déconvenue et, surtout, de l’outiller sérieusement pour aborder valablement les prochaines échéances électorales. «Il devra soigner l’image du parti afin de lui permettre de reprendre des couleurs à l’horizon des élections de 2026», confirme Belmir. Cette tâche, l’on s’en doute, ne sera pas une sinécure. Elle devra commencer, d’abord, par un travail de reconstruction pour rebâtir cette unité et cette cohésion qui ont fait la force du parti de la lampe et l’ont porté au pouvoir pendant une décennie.
Benkirane, qui a la rancune très tenace, y parviendra-t-il ? Arrivera-t-il à s’asseoir sur son égo pour fédérer tous les militants autour du parti ? Arrivera-t-il à être un dirigeant consensuel ? Ensuite, contraint à l’exil forcé sur les bancs de l’opposition, le PJD devra se reconstruire une légitimité, avec comme chef d’orchestre Benkirane. Comme le souligne Belmir, «le style Benkirane plait beaucoup aux couches populaires. Il usera de son franc-parler pour critiquer ouvertement l’actuel gouvernement et ne ménagera aucun effort pour mettre à nu les moindres failles de l’équipe Akhannouch». On ne doute guère qu’il le fera, puisque l’actuel chef de gouvernement est son meilleur ennemi.
Un ennemi dont il disait : si «Akhannouch est élu chef de gouvernement, il ne va rien faire. Le Roi a besoin d’un chef de gouvernement fort et non d’un coordinateur». Cependant, une opposition crédible ne saurait être seulement confinée à des critiques et sorties virulentes sur les réseaux sociaux. Benkirane se devra d’être plutôt un opposant à la hauteur et se débarrasser de cette étiquette «populiste» qui lui colle désormais à la peau. La résurrection du PJD se jouera à ce niveau.