Si le Maroc a déployé, ces dernières années, une politique extérieure aussi nette, structurée et efficace, c’est grâce à la vision et à l’impulsion du Roi Mohammed VI, véritable architecte des succès diplomatiques du Royaume, et à la confiance qu’il a placée en Nasser Bourita. Cet homme, réservé et rigoureux jusqu’au bout des lunettes, a donné un rythme nouveau à la diplomatie marocaine, en cohérence permanente avec la stratégie royale.
Par F. Ouriaghli
Il existe deux catégories de diplomates : ceux qui traversent les événements sans qu’on se souvienne de leur passage et ceux qui façonnent l’histoire sans jamais s’afficher. Nasser Bourita appartient clairement à la seconde. Son nom revient souvent dans les cercles politiques, diplomatiques et médiatiques, mais lui avance en retrait, loin des caméras et avec une discrétion assumée.
A une époque où chaque responsable public semble forcé d’exister à travers la communication, Bourita suit sa propre voie. Il travaille en sous-marin, sans fioritures, sans déclarations calibrées pour les réseaux sociaux et sans besoin de multiplier les apparitions médiatiques. Son style simple combine calme, sobriété et précision.
C’est un diplomate méthodique, presque réservé, mais jamais hésitant. On ne trouvera pas chez lui d’envolées spectaculaires. Il s’en tient à l’essentiel, avec un sérieux qui tranche dans un paysage souvent saturé de gesticulations inutiles. Et c’est certainement la raison pour laquelle le Roi lui a fait confiance en mettant entre ses mains les clés de la diplomatie marocaine depuis 2017. Mais sa ligne de conduite ne vient pas du hasard. Elle repose sur un parcours exceptionnel qui a fait de Bourita l’un des diplomates les plus aguerris du Royaume.
A 56 ans, cet enfant de Taounate a derrière lui plus de trois décennies d’expérience au sein du ministère des Affaires étrangères, où il a gravi chaque échelon à la force du travail, de la maîtrise technique et d’une compréhension profonde des dossiers stratégiques. Et derrière cette façade tranquille et toute cette expertise, se cache également un stratège accompli et un artisan patient qui sait exactement où il veut aller et comment y parvenir. Sa vraie force, c’est le temps.
Bourita sait laisser mûrir les situations, éviter les emballements, temporiser lorsqu’il faut et accélérer au moment opportun. Son flegme se voit surtout sur le dossier le plus sensible et le plus stratégique pour le Royaume : celui du Sahara marocain. Dossier qu’il maîtrise dans ses moindres détails, notamment dans ses volets historique, juridique, géopolitique et sécuritaire. Plus qu’un sujet diplomatique, c’est une cause nationale qu’il porte en bandoulière, avec constance et détermination, lui qui connaît les rouages onusiens comme peu de diplomates africains et arabes.
Un homme de terrain
Depuis qu’il est à la tête de la diplomatie marocaine, il n’a cessé de multiplier les rencontres : Rabat, New York, Bruxelles, Londres, Paris… et bien d’autres capitales encore. Ce n’était pas seulement une série de visites ou d’entretiens. C’était la construction méthodique d’un environnement diplomatique favorable et une recomposition patiente de positions internationales parfois hésitantes, parfois ambiguës.
Il a réussi à solidifier des alliances traditionnelles, ouvrir de nouvelles perspectives et convaincre des partenaires qui restaient jusque-là sur la réserve. Cette dynamique a conduit à l’un des succès les plus importants pour le Maroc sur la scène internationale : la résolution 2797 du Conseil de sécurité. Rien dans ce texte n’est le fruit du hasard. C’est l’aboutissement d’un travail patient, presque d’orfèvre, où l’on sent la volonté d’inscrire les avancées dans la durée.
Cette résolution ne se contente plus de qualifier le plan d’autonomie marocain de «sérieux et crédible»; elle en fait désormais la référence centrale autour de laquelle tourne tout débat international sur le Sahara marocain.
Pour le Maroc, c’est un tournant diplomatique majeur. Et Bourita a été l’un des architectes de ce tournant qui repose sur un savant mélange de constance et de persuasion. A chaque rencontre avec l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU au Sahara, Staffan de Mistura, il reconstruit et martèle les fondamentaux marocains avec la même clarté : la souveraineté nationale n’est pas négociable, l’autonomie constitue l’unique base sérieuse, l’Algérie doit assumer son rôle dans le processus et l’ONU demeure l’unique cadre légitime.
Pas de haussement de ton. Pas de tension inutile. Il avance avec la même sérénité, convaincu que la rigueur finit toujours par s’imposer. Et, surtout, que la vérité historique finit toujours par triompher. Son travail ne se limite pas aux discussions multilatérales. Sur le plan bilatéral, il a opéré une transformation encore plus remarquable. Le RoyaumeUni, puissance permanente du Conseil de sécurité, n’a pas basculé par enchantement dans le camp des soutiens explicites au plan d’autonomie marocain.
Ce changement de cap résulte d’un long effort, d’un dialogue constant, de démonstrations répétées fondées sur la crédibilité et la cohérence de la posture du Maroc. Même logique pour la Belgique, que le Royaume a vu évoluer dans le bon sens, tout encourageant la France à la clarté.
S’agissant des Etats-Unis, il a consolidé une position déjà favorable, en veillant à l’inscrire dans le long terme. Pays après pays, Bourita a donc élargi une coalition diplomatique qui, il y a dix ans encore, semblait hors de portée. Ce style est identifiable et peut même être théorisé : on peut désormais parler de la «méthode Bourita».
L’humilité en toute circonstance
La «méthode Bourita» se caractérise par une rigueur constante, une absence totale de triomphalisme et une manière très particulière de gérer les succès. Là où d’autres auraient orchestré de grandes déclarations publiques, lui ne met jamais en scène ses victoires. Ne théâtralise jamais. Il les inscrit dans une continuité.
Son objectif est ailleurs : avancer, encore, sans se laisser entraîner par l’ivresse du résultat. Dans l’une de ses apparitions médiatiques sur 2M pour expliquer la résolution 2797, il garde le même ton : clair, posé et factuel. Il contextualise, donne les éléments essentiels et expose les faits. Sans s’approprier quoi que ce soit.
Devant les caméras de la chaine de télévision, il l’a dit humblement : «cette résolution est le fruit des efforts soutenus de Sa Majesté le Roi Mohammed VI au cours des 26 dernières années, ainsi que de l’engagement personnel du Souverain en faveur de cette question (…) L'approche royale repose sur une vision claire et stratégique, ce qui a permis d’obtenir la reconnaissance de pays influents de la marocanité du Sahara, notamment les Etats-Unis et la France, grâce au suivi quotidien de Sa Majesté le Roi et à son interaction directe avec les chefs d'Etat sur ce dossier», a-t-il expliqué.
Et de préciser que le vote le 31 octobre du Conseil de sécurité se veut un vote en faveur «du Maroc de SM le Roi Mohammed VI», des réformes engagées, ainsi que des avancées réalisées dans plusieurs domaines… Bref, son propos ressemble à celui d’un professeur habitué à transmettre des sujets complexes à un public averti. Même lorsqu’il parle d’une avancée majeure, il conserve un style sobre, presque neutre. En réalité, Bourita incarne une idée simple mais rare dans la vie publique : on peut peser sans occuper l’espace. On peut influencer sans s’exposer. On peut convaincre sans élever la voix. Cette manière de travailler, aux antipodes de ce que font certains diplomates (suivez mon regard !), montre aujourd’hui toute sa puissance. Elle prouve qu’une stratégie discrète peut produire des résultats solides, structurants et durables.
Une chose est sûre, Bourita ne cherche pas à entrer dans la postérité par des formules claquantes ou des actes spectaculaires. Et c’est souvent ainsi que l’on reconnaît les acteurs les plus efficaces : ceux dont l’impact se mesure dans les faits, pas dans les fanfaronnades et le verbiage. S’il devait un jour écrire ses mémoires, elles seraient probablement aussi directes que sa manière de travailler : peu de pages, pas d’anecdotes sensationnelles, encore moins d’exagération.
Quelques chapitres serrés, des faits précis et une conclusion discrète. Mais ce serait sans doute l’un des livres les plus passionnants sur la diplomatie contemporaine. Parce qu’il raconterait comment, avec des mots toujours justes et une détermination constante, un homme a contribué à renforcer la position du Maroc sur la scène internationale. Et cela, sans jamais chercher la lumière.