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Loi sur le cannabis: la mauvaise herbe dans la maison PJD

Loi sur le cannabis: la mauvaise herbe dans la maison PJD

Le projet de loi relatif aux usages licites du cannabis accentue les divergences au sein du PJD.

Les islamistes l’appréhendent exclusivement sous le prisme politique et idéologique.

Ce texte met-il en danger cette formation politique à 4 mois des législatives ?

 

Par D. William

 

Le projet de loi relatif aux usages licites du cannabis a entamé son parcours au sein de l’hémicycle. C’est dans ce cadre qu’il a été examiné la semaine dernière par la Commission de l'intérieur, des collectivités territoriales, de l'habitat et de la politique de la ville à la Chambre des représentants. Et ce, en présence du ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, qui a tenu d’emblée à apporter une précision afin que l’on ne se trompe pas de débat  : il ne s’agit pas de légaliser le cannabis, mais plutôt d’en permettre ses usages licites, notamment dans les domaines médical, industriel et pharmaceutique.

Mais, quelle que soit la terminologie utilisée, il semble y avoir un seul parti que ce projet de loi indispose très sérieusement en ce moment : le Parti de la justice et du développement (PJD). D’ailleurs, au moment où tous les autres groupes parlementaires saluaient l’esprit de ce projet de loi, qui va permettre d’ouvrir de nouvelles perspectives pour la région du Rif et d’améliorer les conditions de vie de la population locale, les parlementaires du PJD, eux, ont été particulièrement véhéments à son égard. Paradoxal, quand on sait que c’est cette formation politique qui est aux affaires, et que c’est sous la houlette de son secrétaire général, et également chef de gouvernement, Saad Eddine El Otmani, que le projet de loi portant usages licites du cannabis a été adopté le 11 mars dernier, en Conseil de gouvernement.

Suffisant pour que le groupe Authenticité et Modernité et le groupe istiqlalien de l'unité et de l'égalitarisme critiquent vertement le PJD, l’appelant à accorder ses violons. «Il adopte avec sa majorité un projet de loi et les parlementaires de ce même parti ne veulent pas voter ce qui a été adopté par leur formation politique en Conseil de gouvernement», dénoncent-ils, narquois, au cours de cette réunion où les échanges auront été particulièrement virulents.

Le PJD mal à l’aise

A y regarder de près, la polémique autour du projet de loi sur le cannabis est entretenue par une seule formation politique  : le PJD qui, avec les autres partis de la majorité, l’a pourtant validé et adopté avant qu’il n’entame son parcours législatif. En réalité, c’est le sujet du cannabis en soi qui dérange les islamistes. Il pose d’abord un problème moral et d’image. Car même si ça rime bien, cannabis et islamistes ne font pas bon ménage.

Et le fait que ce soit le PJD et sa majorité qui portent cette loi, irrite davantage certains ténors de ce parti comme l’ancien chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, qui s’érige en rempart contre toute action ou décision susceptible de corrompre les valeurs et les références idéologiques de la formation politique. Et il l’a signifié de manière cinglante, dès l’adoption du projet de loi sur le cannabis en Conseil de gouvernement, en décidant de couper les ponts avec ses «camarades» de parti, en l’occurrence Saad Eddine El Otmani, les ministres Mustapha Ramid, Abdelaziz Rebbah et Mohamed Amekraz, et l’ancien ministre Lahcen Daoudi. Il a aussi gelé son appartenance à cette formation politique.

Même s’il est revenu à de meilleurs sentiments quelques jours plus tard, acceptant, après conciliations, de reconsidérer sa décision de rompre ses relations avec les personnes précitées, il garde toujours ses distances avec le parti. Le cannabis pose ensuite un double problème politique : le premier est que pour certains caciques du PJD, ce sujet ne peut faire l’objet d’aucun compromis et il ne faut en aucun cas qu’on associe la légalisation du cannabis à leur mandat. Il faut avouer en effet que ce projet de loi constitue un puissant marqueur de la vie politique et économique du Royaume, tant ses enjeux sont importants en termes d’emploi, d'amélioration des revenus des agriculteurs, de leur protection contre les réseaux de trafic international de drogues, de lutte contre les conséquences néfastes des cultures illégales sur la santé publique et l’environnement ... S’il passe, l’histoire retiendra que c’est sous le magistère des islamistes que le cannabis a été «légalisé», 67 ans après le Dahir qui avait limité l’usage de cette plante aux domaines de la recherche et de la formation à des fins scientifiques.

Le second problème politique est en lien avec le calendrier électoral. Les députés du PJD fustigent le timing choisi. «Comme ce fut le cas durant les dernières législatives, le projet de loi sur le cannabis réapparaît  encore une fois au cours d’une année électorale pour jeter le discrédit sur le PJD», ont-ils déploré. Raison pour laquelle ils demandent à accorder plus de temps au Parlement pour inclure dans le débat la société civile, les acteurs institutionnels, les partis politiques, la population concernée…. Ce temps, ajoutent-ils, devra également être mis à profit pour «réaliser une étude d’impact sérieuse».

Ce à quoi Abdelouafi Laftit répond de façon catégorique : une étude sur l’utilité du développement du chanvre indien à des fins médicales au niveau national a déjà été réalisée. Cette étude a montré que le Royaume tient une opportunité réelle et prometteuse de développement du cannabis médical, pharmaceutique et industriel. Les chiffres dévoilés par l’Intérieur révèlent à ce titre que le revenu net annuel du cannabis à usage médical pourrait avoisiner les 110.000 dirhams par hectare, soit une amélioration d’environ 40% par rapport aux recettes actuelles (voir encadré). En cela, pour Laftit, «le Maroc a perdu trop de temps avec ce dossier; aujourd’hui, il faut aller vite».

Cet avis est partagé par notre confrère Younes Dafkir, rédacteur en chef de Al Ahdath Al Maghribia et consultant politique, pour qui «cette loi doit être approuvée avant la fin de l’actuel mandat du Parlement». Car, estime-t-il, «si on le laisse jusqu’au prochain mandat, cela risque de traîner un ou deux ans encore. Dès lors, le Maroc va rater un ensemble d’opportunités économiques et d’investissement». Pour Dafkir en effet, contrairement à ce qu’affirme le PJD, «le texte n’a pas de visées électorales, mais obéit à des raisons purement économiques».

«Le Maroc veut profiter de la légalisation du cannabis pour donner une nouvelle impulsion à la région du Nord en matière de développement, d’investissement et de création d’emplois», note-t-il, non sans rappeler le contexte qui a favorisé la rédaction de ce projet de loi. Il s’agit, selon lui, de «la décision des Nations unies de retirer le cannabis de la liste des drogues», et de «la volonté du Maroc de lutter contre le trafic dans le Nord du pays, lequel a des répercussions sur les personnes travaillant dans cette activité, surtout à Tétouan et à Fnideq».

Cette loi réussira-t-elle alors à passer avant les législatives de septembre ? C’est l’une des craintes du PJD, pour qui le cannabis risque d’être la mauvaise herbe qui va ternir sa législature et l’impacter négativement lors de ces élections législatives. De leur côté, l’Istiqlal et le PAM estiment au contraire qu’«il n’y a pas d’enjeu électoral, puisque l’on parle de 400.000 voix potentielles dans la région».

Difficile de croire cependant que cette échéance électorale majeure pour le Royaume se jouera uniquement sur ce projet de loi. Difficile de croire que les électeurs feront fi de cette crise sanitaire et économique qui dure depuis plus d’un an et de sa gestion par le gouvernement. Difficile d’oublier, également, qu’avant cette crise, les partis de la majorité ne fumaient pas le calumet de la paix, mais se crêpaient plutôt le chignon presque chaque week-end, pour donner une piètre image de la vie politique marocaine. Bien malin alors celui qui peut déjà donner les clés de ces élections législatives 2021 ! 

 

 

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