À la fin, il ne faut pas oublier que c’est juste un jeu. Il est vrai qu’on y met nos tripes, qu’on court à perdre haleine, à faire éclater ce cœur qui vibre, mais à la fin, c’est juste un jeu. Il est tout aussi vrai qu’on espère, qu’on rêve d’impossible et qu’on finit par croire aux miracles, mais à la fin, on ne doit pas perdre de vue que c’est là juste un jeu. Tout comme il est vrai qu’on crie, qu’on souffre, qu’on s’arrache les cheveux, qu’on se plaint, qu’on sent monter en nous une fièvre inqualifiable, mais à la fin cela reste juste un jeu. Il est encore vrai qu’on a peur de perdre, qu’on veut à tout prix gagner, qu’on a un mal fou à accepter la défaite, qu’on prie tous les saints et tous les dieux pour lever les bras et goûter encore et encore au triomphe, mais à la fin, on se rend compte que c’est un jeu terrible. Un jeu qui engage le cœur. Un jeu qui entame les viscères. Un jeu qui met le feu à demeure. Un jeu qui devient d’un coup une déflagration. Une explosion. Une implosion. Un éclat et un éclatement de tous les sens. Un jeu qui torture. Un jeu qui nous déchire. Un jeu qui nous glorifie aussi, à un certain égard. Un jeu qui nous distille ce goût des vibrations continues comme des palpitations allant crescendo dans un élan de vouloir atteindre quelque chose d’ineffable que seule la sensation d’avoir été au bout de soi pour vaincre peut exprimer. Pourtant, c’est un jeu. Et dans chaque jeu, il y a un gagnant et un perdant.
Mais, pourquoi avons-nous du mal à l’accepter alors que nous en sommes conscients ? C’est cela la magie même du jeu. Ce qui semble simplement ludique devient vital. Les paramètres de jugement changent. Le baromètre de nos limites ne fonctionne plus de manière logique. Il cède à une forme d’illogisme qui prend sens et devient la norme. C’est cela aussi le sens premier du jeu, c’est de croire dans l’impossible pour l’incarner. C’est se dépasser. C’est se surpasser. C’est excéder sa propre imagination en sautant dans cette zone aux contours indéfinis que l’on peut nommer : l’espoir.
Et l’espoir a ceci de très spécifique, c’est qu’il échappe à la raison. Il va au-delà de ce qui est rationnel. Il crée son propre syllogisme. Il y incruste des ingrédients divers glanés au fond de la conscience et dans l’arrière-fond de l’inconscient. Il englobe ce qui ne peut être congloméré et réuni. Et pourtant, il y réussit. C’est exactement de cette façon que nous avons vécu au rythme de ce que cette équipe marocaine a pu nous offrir comme folie, comme rêve, comme impossible devenu possible, comme espoir devenu miracle, parce qu’émanant d’un défi. Oui, le défi vis-à-vis de soi. Celui d’aller au-delà de ce qui peut être une limite individuelle. Oui, le défi de rendre heureux tout un peuple. Le défi de dessiner un sourire de joie doublé de sérénité au cœur de toute une société. Au fond, il n’y a aucune logique dans la structure profonde du bonheur basé juste sur un jeu. Mais cela fonctionne. Cela remplit même son rôle de catharsis. Cela insuffle en chacun un feu sacré qui tient le cœur en haleine et l’esprit en lévitation.
Oui, un simple jeu, une simple partie entre vingt-deux personnes, avec un juge de paix au milieu et un ballon rond qui roule et qui défie parfois les lois de la physique pour créer quelque belle alchimie. Et au bout, nous sommes transformés. Nous sommes transmutés. Nous sommes différents, parce que nous avons eu la chance de vivre, de sentir, de vibrer avec un groupe de joueurs qui ont décidé de rendre ce jeu ludique un périple sérieux, un pèlerinage béni vers la béatitude, le temps d’une parenthèse enchantée. Oui, c’est juste un jeu, et cette équipe du Maroc nous a offert des instants d’éternité volés au temps qui défile et qui resteront à jamais gravés comme des palimpsestes dans notre mémoire collective. Juste un jeu, mais gravé dans le roc. Juste un jeu, mais écrit dans la longue Histoire des peuples. Comme un destin. Telle une prédiction ou une prémonition pour ce Maroc qui rêve grand et qui chemine d’un pas sûr, inventant son destin au fur et à mesure qu’il avance comme cette équipe, qui passant d’un cercle à l’autre, a compris que la beauté du jeu, c’est qu’à un moment donné, il doit prendre fin. C’est qu’il faut un temps de pause pour lire l’indicible.
Et ce qui ici ne peut être formulé, c’est l’inénarrable beauté d’un peuple qui a vécu le miracle de faire le même rêve éveillé. Au bout du bout, nous y avons cru et parce que nous y avons cru cela a eu lieu, car pour celui qui croit, nul besoin de preuves. La preuve : le Maroc a joué une demi-finale de coupe du monde. Et il va encore jouer sans satiété, car quand on prend goût à l’ivresse des sommets, on peut devenir des sauteurs de cimes, faisant un pas après l’autre d’un sommet à l’autre. Et là, le sens même du mot victoire change de signifiance puisque nous avons déjà tout gagné, car nous avons placé la barre de nos propres moyens tellement haut qu’il est désormais impossible de se contenter de la facilité plane des vallées, car nous avons tutoyé le firmament. Alors nous y sommes aujourd’hui, nous y resterons. Amen.
Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste