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Polygamie au Maroc : Désormais, c’est Madame qui mène la danse

Polygamie au Maroc : Désormais, c’est Madame qui mène la danse

On a tous, un jour ou l’autre, été confrontés à ces fameuses phrases bien intentionnées : «Il ne faut pas confondre l’exception avec la règle». Une maxime qu’il serait grand temps d’appliquer à notre droit familial, où, jusqu’à présent, l’exception s’est mise à squatter le canapé et à s’imposer comme une quasi-institution.

Il est donc réjouissant de voir que la réforme du Code de la famille amorce un véritable tournant, notamment sur deux sujets sensibles : l’âge légal du mariage et la polygamie. Mais est-ce suffisant pour mettre fin aux dérives du passé ?
Fixer l’âge minimum du mariage à 18 ans semble être une évidence dans un monde où l’éducation et l’autonomie devraient primer sur la précocité matrimoniale. Pourtant, le maintien d’une exception pour les jeunes de 17 ans, bien que strictement encadrée, suscite des interrogations. Dans un pays où les interprétations juridiques peuvent parfois flirter avec l’art du contorsionnisme, on peut s’interroger sur ce que «strict» signifie réellement.

Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, assure néanmoins que cette dérogation sera l’apanage de cas exceptionnels et non une simple formalité administrative. Mais souvenons-nous : l’exception à 16 ans, jadis introduite pour des «cas rares», a abouti à 12.940 mariages d’enfants en 2022.

Une exception qui a fait de l’ombre à la règle, les juges la transformant en une banalité pour cautionner des mariages précoces au nom de circonstances floues. Une mauvaise habitude nationale, dirons-nous. 
Cette nouvelle réforme entend couper court à ces pratiques et recentrer la loi sur son essence : protéger les jeunes filles contre des choix imposés par les adultes. Et ce, pour que l’exception retrouve enfin sa place : celle d’une mesure rare et non d’un passe-droit déguisé.

Comme le souligne Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich, juge à la Cour internationale de résolution des différends (Incodir) à Londres, «fixer un âge minimum de 17 ans pour le mariage des mineurs est un pas important vers la protection des jeunes. Cependant, des critères stricts et des contrôles judiciaires rigoureux sont nécessaires pour éviter les abus».
En clair, il ne s’agit pas de signer les yeux fermés, mais de faire preuve d’une vigilance accrue. 

Polygamie : les portes se ferment

Passons maintenant à un sujet qui suscite moult débats : la polygamie. Le Maroc ne l’abolit pas, mais il lui impose un sérieux régime sec. Dorénavant, un mari potentiel devra se mettre d’accord avec sa première épouse sur l’interdiction ou non de prendre une deuxième femme. Une clause juridiquement contraignante, qui lie Monsieur par sa promesse.
Et pour ceux qui espèrent contourner cette condition, la loi réserve un parcours semé d’embûches. La polygamie ne sera en effet envisageable que dans des cas spécifiques, tels que l’infertilité ou une maladie empêchant les rapports conjugaux. Encore faut-il que le juge, muni d’un haut sens de l’objectivité, donne son feu vert. 
C’est donc un «oui, mais…» qui sonne comme un «non, sauf miracle». Là encore, Me El Kadiri Boutchich insiste sur la nécessité de la sensibilisation et de l’éducation. «Inclure une clause explicite dans le contrat de mariage pour refuser la polygamie peut renforcer le consentement éclairé des époux. Cette mesure doit s’accompagner de campagnes de sensibilisation culturelle et éducative», souligne-t-il.

Ainsi, chaque mariage deviendrait une négociation, un peu comme un contrat commercial. Avec une différence fondamentale : au bureau, on négocie les marges; au foyer, on négocie la fidélité. Cependant, ce compromis soulève des critiques, certains pointant du doigt le caractère intrusif des examens médicaux requis.
En fin de compte, que nous dit cette réforme ? Que ces avancées législatives témoignent d’un Maroc qui cherche à concilier son attachement aux traditions avec son ambition de modernité, mais qui reste toujours prise dans les filets du patriarcat, ce vieux sage que certains vénèrent et que d’autres détestent.

Mais ne soyons pas dupes : la révision du Code de la famille, bien qu’inspirante, reflète une réticence à briser des tabous ancrés dans notre culture. Car au Maroc, chaque réforme touchant à la famille est un terrain miné. Il s’agit de contenter les progressistes sans froisser les conservateurs, de moderniser sans renier les traditions. Et c’est là tout l’art de cette réforme : avancer, mais sans brusquer. Simplement parce que les mentalités évoluent moins vite que les lois, et les résistances culturelles et religieuses freinent une évolution plus audacieuse. 
De fait, ce n’est pas la signature d’un texte qui empêchera certains de continuer à détourner l’exception pour en faire une règle officieuse. 

Mais il y a une lueur d’espoir. En renforçant les droits des femmes dans le contrat de mariage et en établissant des conditions strictes pour la polygamie, cette réforme ouvre une porte vers une société plus égalitaire. Ce n’est pas encore la révolution, mais c’est un réveil. Lent, certes, mais palpable.
Le véritable changement viendra avec l’éducation et la sensibilisation de la collectivité. C’est un peu comme la cuisson d’un tajine : il faudra du temps et de la patience pour que cette évolution sociétale soit pleinement intégrée.

F. Ouriaghli

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