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Crise dans le secteur de la justice : Les robes noires durcissent le ton

Crise dans le secteur de la justice : Les robes noires durcissent le ton

Jugeant que leurs revendications sont restées sans réponse, les avocats intensifient leur mouvement de protestation en organisant une grève totale des audiences de tous genres, jusqu’à satisfaction de leurs doléances.

 

Par M. Boukhari

Le secteur de la justice au Maroc est plongé dans une crise profonde et prolongée, avec des tensions croissantes entre les avocats et les autorités compétentes. Dans ce contexte, l'Association des barreaux du Maroc (ABAM) a annoncé, dans un communiqué diffusé récemment, l'arrêt complet des activités de défense à partir du 1er novembre 2024, et ce jusqu'à nouvel ordre. Cette décision marque un tournant dans le combat des avocats pour la préservation des acquis des justiciables et des professionnels, tout en soulignant un malaise grandissant au sein de la profession.

Dans son communiqué, l'ABAM affirme que ce mouvement de grève s’inscrit dans un cadre de protestation plus large visant à défendre un ensemble de revendications jugées essentielles pour le bon fonctionnement de la justice au Maroc. Cette suspension des activités de défense, qui sera gérée par les bâtonniers et les Conseils des barreaux, survient après plusieurs mois de tentatives de dialogue avec les autorités, mais également après le constat «amer» d'une absence de réactivité face aux initiatives de l’ABAM. Les avocats ont, en effet, maintenu un dialogue constant avec les pouvoirs publics dans l’espoir d’aboutir à des solutions qui répondent aux enjeux critiques du secteur. Cependant, l'ABAM déplore un manque d'attention et d’engagement de la part des autorités face à une situation de plus en plus préoccupante.

Selon l'Association, cette inaction a contribué à aggraver les difficultés rencontrées par les professionnels et les justiciables, et ce dans un contexte où les réformes proposées ne tiennent pas suffisamment compte des intérêts de l'ensemble des parties prenantes. «Réformes unilatérales» L'un des principaux points de tension entre les avocats et les autorités concerne les réformes en cours dans le secteur judiciaire. L'ABAM critique vivement l’imposition de «réformes unilatérales», qu'elle considère comme visant uniquement à répondre à une vision réformiste étroite et déconnectée des réalités du terrain. Selon l’Association, ces réformes risquent de porter atteinte aux acquis des citoyens et des professionnels, en créant une discrimination entre les différentes catégories de justiciables et en entravant l'accès à la justice. L'ABAM insiste sur le fait que la réforme de la justice ne peut être menée à bien sans une véritable approche participative, prenant en compte les intérêts de toutes les parties concernées, notamment les avocats et les citoyens. Pour l'Association, la solution réside dans un dialogue inclusif et constructif, où chaque acteur du secteur judiciaire serait consulté, afin d'assurer une réforme équilibrée et respectueuse des principes constitutionnels et des droits des citoyens. Pour Me Elhassan Essonni, avocat au Barreau de Casablanca, la problématique majeure actuelle avec ce gouvernement réside dans l'exclusion et le manque de transparence.

«Le gouvernement actuel semble avoir opté pour l'exclusion systématique, et désormais, il apparaît que toutes les lois seront adoptées au Parlement sans consultation préalable des parties concernées. Une telle démarche risque de se heurter à un rejet populaire, ce qui pourrait entraîner une crise de légitimité. Nous souhaitons que ces lois bénéficient d'une véritable légitimité, issue d'un dialogue inclusif et transparent», insiste-t-il. Essoni révèle qu’un autre point préoccupant est le manque de transparence dans le débat autour de ces lois. «Les avocats, par exemple, ne disposent d’aucune plateforme pour discuter de leurs revendications. Plusieurs propositions, comme celles portant sur la procédure pénale, la procédure civile ou la couverture sociale, devraient faire l'objet d'un débat responsable et approfondi avec l'exécutif. Cependant, ce dialogue est inexistant aujourd'hui», déplore-t-il. Plusieurs propositions, comme celles portant sur la procédure pénale, la procédure civile ou la couverture sociale, devraient faire l'objet d'un débat responsable et approfondi avec l'exécutif. Cependant, ce dialogue est inexistant aujourd'hui», déplore-t-il.

L’intérêt du justiciable

Pour ce qui est de la procédure civile, en l'occurrence, les professionnels constatent une atteinte aux droits et principes constitutionnels. «Parmi les mesures controversées, on trouve l'élévation du seuil de recours en appel, qui restreint l'accès à la justice. Cette hausse des frais de procédure est particulièrement problématique, car elle oblige les justiciables à dépenser 30.000 dirhams au lieu de 5.000 DH pour un recours classique, et 10.000 dirhams pour la justice de proximité. Une telle augmentation des coûts pénalise gravement les citoyens, en particulier ceux à revenus modestes», explique Essoni. Ce dernier met également l’accent sur une tendance inquiétante qu’est l'expansion des procédures dites «orales», où l'on sous-entend que le justiciable n'a pas besoin d'un avocat. «Bien que le Code de la profession d’avocat exige la présence d’un avocat dans de nombreuses situations, certains tribunaux estiment que, dans le cadre de ces procédures, l'assistance juridique n'est pas nécessaire. Toutefois, cela va à l’encontre de l'intérêt du justiciable qui se retrouve désavantagé sans une représentation légale adéquate», note-t-il.

Et de poursuivre : «Une autre question qui mérite d’être abordée concerne la révision des amendes, qui doivent être en adéquation avec le pouvoir d'achat des citoyens, afin de ne pas les contraindre à des paiements excessifs». Le gouvernement a également introduit des modifications concernant la «notification», en la rendant obligatoire non seulement au niveau des services de la collectivité territoriale, mais aussi au niveau de la présidence du Conseil ou de la Direction générale des services. Une procédure qui, d’après notre source, risque d’alourdir les démarches administratives et d’entraîner des délais supplémentaires.

Loi de Finances 2023

En outre, l’une des dispositions jugée la plus inquiétante est l'impossibilité d'introduire un recours pour examiner la légalité d’une décision administrative. Dans ce sens, Essouni souligne que les citoyens affectés par une décision administrative ne peuvent plus contester celle-ci devant un tribunal compétent, ce qui les prive d’un recours essentiel pour protéger leurs droits et garantir la responsabilité des administrations publiques. Qui plus est, la disposition dite «très grave» concerne, selon notre source, l'impossibilité de saisir les fonds publics, qu'il s'agisse des biens de l'Etat ou des collectivités territoriales. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, justifie ces mesures en invoquant leur inclusion dans la Loi de Finances de 2019. Cependant, pour Essoni, «la Loi de Finances est une loi temporaire, et ne peut pas modifier une procédure civile qui relève de la loi fondamentale. C'est la Loi de Finances qui doit respecter les principes de la procédure civile, et non l'inverse. De plus, seuls certains fonds publics devraient être protégés contre la saisie, et non la totalité». Dans le domaine fiscal, Me Elhassan Essonni pointe du doigt une autre injustice qui touche la profession d’avocat.

«L'avocat est le seul citoyen à devoir régler trois types d'acomptes sur l'impôt sur le revenu : les paiements anticipés pour chaque dossier, la retenue à la source pour chaque facture qu'il émet, et le paiement d'un minimum d'impôt en janvier ou février. En comparaison, les autres citoyens n’ont à s'acquitter que d’un ou deux acomptes sur l'impôt sur le revenu», regrette-t-il. Et de conclure : «Dans la Loi de Finances 2023, plusieurs dispositions ont été adoptées, imposant à l'avocat de payer une avance de 1.200 dirhams pour chaque dossier, en plus de 20% du montant de la facture. Ces décisions, prises sans une étude sérieuse ni une compréhension adéquate de la réalité de la profession, ont suscité une vive opposition de la part des avocats. Heureusement, après de nombreuses manifestations et une mobilisation générale, le gouvernement a accepté de réviser ces mesures. Le pourcentage de la retenue à la source a ainsi été réduit à 10% pour l'impôt sur le revenu (IR) et 5% pour l'impôt sur les sociétés (IS). Quant à l’avance sur chaque dossier, elle a été réduite de 1.200 dirhams à 100 dirhams, ce qui représente un ajustement bienvenu pour la profession». Enfin, pour Essoni, si certaines révisions ont permis la correction des injustices subies par la profession, il reste encore beaucoup à faire pour garantir une véritable équité fiscale et juridique pour tous les citoyens. 

 

 

 

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