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Face à un monde cruel : Particules non-élémentaires

Face à un monde cruel : Particules non-élémentaires

 

Sans l’ombre d’un doute, l'univers le plus inhumain devient humain par la force de l'habitude. Même le monde le plus improbable devient coutumier grâce à cette capacité humaine de se laisser adapter à toutes les configurations possibles. On finit toujours par nous retrouver même au cœur du pire capharnaüm. Comme des bêtes bien rodées, on arrive à retomber sur nos pieds.  Chacun, à condition d’aller au bout d’une profonde réflexion sur cette question, peut vérifier la justesse de cette assertion, dans ce qu’elle a de clair, de véridique, de cynique et de stoïque aussi. 

 

Dans un tel monde tel que celui qui se déploie dans toutes ses ramifications devant nos yeux, face à un monde dénaturé à souhait, par une foultitude d’essais, de ratages, de dérives et d’ajustements doublés d’arrangements avec ce qui nous dépasse de très loin, on se rend compte que l’on se passionne, tout autant que nous sommes, de plus en plus, pour des fragments de réalité qui sont, eux aussi, de plus en plus minuscules et d’une grande futilité. On creuse dans des abîmes sans fond croyant être de fins spéléologues. On essaie de grimper des cols nivelés par le bas et on prend des bacs à sable pour des déserts hostiles et infinis. C'est ce qu'on peut appeler se noyer dans un verre d'eau vide. C'est ce qui fait, qu'aujourd'hui, presque tout le monde se laisse, par compromis avec soi, par complaisance envers sa pseudo-implication dans les affaires du monde, par paresse, par incapacité de lever le voile obscur qui oblitère la vision, se gargariser de palabres grandiloquentes sur l'humain et l'inhumain dans le monde. Cela va de la coupe de cheveux d’un président au brasier en Ukraine, indistinctement. Cela va d’un but marqué lors d’une partie de pseudos gladiateurs des temps modernes, dans une arène vociférante, à gros enjeux sonnants et trébuchants, à la pose en selfie du président d’un pays récemment envahi par un autre.

 

Face à ce constat implacable qui implique toute notre indigence d’humanoïdes en déshérence, devant son poste de télévision, un ami me lance : «Parce que l'on est obsédé par les horreurs qui menacent l'humanité, faut-il s'interdire le plaisir d'être en vie ?». Sans ambages, la question est d’une pédanterie nauséeuse. Le genre de formule creuse qui racle le fond et qui veut faire profond. Mais on le sait, il suffit de remuer l’eau d’une flaque dans la rue pour avoir l’impression d’être face à un océan trouble et sans fond. 

 

Autrement dit, pour ma part, je pense que l'être humain, dans sa variété de plus en plus réduite, puisque tout le monde finit par ressembler à tout le monde, formant ainsi des pools humains, cet humain en fin de cycle ne se prive de rien. Il joue sur tous les tableaux qui se présentent à lui, il mange à tous les râteliers, il est de toutes les parties, trouvant dans le virtuel des réponses toutes faites et sur-mesure à l’absence de questions bien réelles et concrètes de la vie quand elle frotte la peau, jusqu’à toucher l’os et invoquer le sang pour se souvenir que l’on n’est pas encore tout à fait des machines et des gadgets télécommandés et téléguidés. Et c'est de cette façon que cet être humain qui joue sa dernière partition, remplit son vide. Il comble les trous de sa vie. Il meuble le vide qui l’envahit chaque jour davantage. Mais il l’habille de factice et d’éphémère. Aussitôt son espace investit, aussitôt il se délite et s'effrite, tombant en ruine, laissant place à la vacuité qui, elle, ne peut en aucun cas être comblée.

 

Dans ce sens, mon ami ajoute que c'est là, devant ce type de rapport au monde que l'on vérifie que les drapeaux sont juste de simples slogans optiques. C’est là qu’on réalise avec certitude que les hymnes nationaux ne sont que des slogans musicaux. C’est là aussi que l’on saisit, d’un coup, comme une fulgurance, que ce que nous nommons communauté n’est qu’un assemblage d’électrons non-élémentaires, des particules détraquées et presque toutes hors d’usage. Bref, des pièces de rechange sans utilité.  C’est là aussi que l’on peut, pour peu que l’on ait un peu de jugeote et quelque notion sur la fausseté à l’usage du quotidien que, souvent, une mauvaise conscience peut rendre la vie intéressante. Elle peut même lui octroyer un sens. Un sens faux et sans incidence. Mais un sens reste un sens quand on est au bout du rouleau qui mène au hachoir. Tant que la machine coupante n’a pas tout réduit en rondelles, le moindre sens nous semble une vérité suprême, divine, presque. Pour être plus clair : l'inhumain sert dans un sens à cautionner notre bêtise. Comme le surplus de l'humain nous apporte cette vanité d'être au cœur de ce qui sous-tend l'univers. 

 

Évidemment, dans les deux cas, nous sommes de la poussière en perdition qui voltige au gré du vent.

 

 

Abdelhak Najib 

Écrivain-journaliste 

 

 

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