Par Abdelhak Najib
Écrivain-Journaliste
Je me souviendrai toujours de cette phrase que Abdallah Stouki m’avait dite le jour où je suis allé le voir pour solliciter un stage. J’étais encore très jeune. 21 ans, encore tendre, très naïf et avec des projets de refaire le monde. Il me reçoit avec beaucoup de gentillesse et avec sa bonhomie habituelle. Il me pose des questions sur ma vie, sur mes lectures, sur mes études et finit par me demander pourquoi je veux devenir journaliste ? Je réponds spontanément parce que je veux avoir le même parcours que lui et que son engagement politique, en tant que communiste convaincu et surtout son sens de la justice sont un exemple pour moi. Bref, je lui ai dit que je voulais marcher sur ses pas. Il me répond, tout de go : «Marche sur tes propres pas. Ne te laisse influencer par personne. Suis ton jugement et ton instinct. C’est cela d’abord un journaliste : c’est le flair et l’audace».
Des années plus tard, j’ai partagé un repas en la compagnie de ce grand monsieur, un repas arrosé, il faut le dire, et je lui rappelle ma demande de stage auprès de lui, pour apprendre de sa grande expérience. Il me dit : «Dans notre métier, tout est éphémère, comme l’info que l’on diffuse et qui n’a plus de valeur une heure après. Par contre, durer dans ce métier requiert du caractère à défaut du courage». Toujours avec le même sourire. Toujours aussi chic. Toujours aussi bien habillé, avec style et un certain panache. Toujours le mot mordant, voire cinglant, sans compromis ni compromission. En plus de trente ans, j’ai connu le même homme, toujours affable, avec son caractère bien trempé, parfois dur, très dur même, mais bienveillant et faisant grand cas de son métier et surtout d’une valeur rare : l’amitié. Aussi longtemps que je m’en souvienne, je n’ai jamais entendu Abdallah Stouki dire un mot de travers dans le dos de quelqu’un. S’il avait quelque chose à dire, il le disait frontalement. Il a vécu avec ses convictions, avec ses principes qui n'engagent que lui. Il a essayé du mieux qu’il pouvait de rester en adéquation avec lui-même. Un homme de culture, un grand lecteur (il en connaissait un large rayon dans tant de domaines), humble, drôle, moqueur, railleur, il aimait le calembour et l’esprit fin. Il était très sensible à l’intelligence et avait franchement peu de tolérance pour la médiocrité ambiante. Pour ce Marrakchi pure souche, à la blague aisée et subtile, les dernières années ont été des années de lutte contre la maladie, avec une grande dignité, mais surtout beaucoup d’inquiétude sur notre métier de journaliste, qui, d’un côté perd peu à peu ses grandes figures, de l’autre, donne la voix au chapitre à n’importe qui dans un mélange de genres qu’il disait «néfaste» pour la presse nationale qu’il a participé à installer comme une fonction basée d’abord sur le savoir, la connaissance, le bagage, l’expérience, la déontologie, l’engagement et la rigueur.
Abdallah Stouki nous quitte aujourd’hui, mais il laisse derrière lui un parcours et une trajectoire qui doivent servir d’exemples aux futures générations. Merci de nous avoir ouvert la voie Si Abdallah. Merci de nous avoir enseigné. Merci de nous avoir donné un peu de ton temps.
À la revoyure, l’artiste !