Emporté par l’élan des mots et le pouvoir des lettres, Ali Benziane, pharmacien de formation, puise sa force dans l’écriture.
Né à Montpellier en France et originaire de la ville de Tanger, le jeune écrivain nous parle à cœur ouvert de ses ouvrages et de ses prochaines sorties littéraires. Immersion.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
LaQuotidienne : Entre la science et la littérature, il n’y a qu’un fil. Vous êtes pharmacien, poète et écrivain. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Dr Ali Benziane : De toute évidence, ma première vocation a d’abord été littéraire. Depuis ma plus tendre enfance, l’écriture, mais aussi la lecture, occupent une place importante dans ma vie.
J’ai entamé des études de pharmacie par pure tradition familiale, mais mon amour pour l’écriture a repris le dessus. Après mon doctorat, j’ai débuté un master en philosophie des sciences avant de poursuivre ma formation philosophique en autodidacte.
Depuis 2020, j’ai publié cinq livres qui vont de la poésie à l’essai en passant par le roman, tout en exerçant ma profession de pharmacien d’officine.
LQ : La ville du détroit fut la muse de bon nombre d’artistes et écrivains. Justement, vous êtes originaire de Tanger. De quelle façon cette ville inspire-t-elle vos écrits ? Et que représentent les lieux pour vous ?
Dr A.B : On peut dire que Tanger est une véritable muse pour moi. C'est la seule ville qui m’a toujours inspiré dans mon travail d'écriture. Rien d’étonnant à ce que de grands artistes tels que Samuel Beckett, Henri Matisse ou encore Francis Bacon aient eu des relations privilégiées avec Tanger.
J’ai arrêté d'écrire pendant plusieurs années lorsque je vivais en France, et l’inspiration est revenue dès mon retour au détroit de Gibraltar.
J'ai commencé à écrire de la poésie inspirée par l'atmosphère et l’alchimie propres à cette ville qui a traversé les siècles et que l'on ressent en visitant ses lieux emblématiques.
Mon premier recueil de poésie s'appelle Tingis. C’est un hymne et un hommage à cette ville emblématique où les figures mythologiques et les histoires humaines se rejoignent pour former l'âme d'une ville unique.
LQ : Dans votre premier roman Le Mur des paresseux, le contraste est saisissant. Vous entremêlez la passion pour le jazz, la notion de la mort à travers vos personnages, et l’hommage rendu à la ville de Tanger. Quelle moralité peut-on en tirer ? Et y a-t-il un peu de vous dans cette histoire ?
Dr A.B : Après mon recueil dédié à Tanger, la mythique, j’ai voulu explorer la face cachée de ma ville, celle des laissés-pour-compte qui vivent une mort sociale : les marginaux, les oubliés de la vie, les migrants...
Sur le plan formel, j’ai voulu que ce livre soit une fusion entre la littérature et la musique, mon autre passion. Après avoir commencé une histoire dans l’univers de la musique classique, j’ai décidé de rendre hommage au jazz, qui est sûrement le style qui correspond le mieux à Tanger, cette ville habitée par le swing.
Ce roman est également une plongée dans la solitude de l’écrivain en manque d’inspiration, une solitude qui s’apparente aussi à une mort symbolique.
Dans ce livre, Tanger est un immense purgatoire dans lequel des vies se croisent et s’interpellent, un entre-deux où l’existence est en suspens. Certains attendent un paradis à venir, d’autres une mort qui ne vient pas… À travers Alcide Benezi, le personnage principal, il y a évidemment un aspect autobiographique qui sera plus prononcé dans mon deuxième roman en cours d’écriture.
Malheureusement, suite à un différend avec l'éditeur, Le Mur des paresseux n’est plus disponible en librairie. Il sera certainement réédité, mais pour l’instant, je me concentre sur mon deuxième roman, prévu pour l’année prochaine, où la musique et la littérature auront toujours une place prépondérante.
LQ : La pandémie a été un véritable test de résistance pour tout le monde. À travers votre livre L'Épreuve de vérité, vous avez porté une réflexion profonde sur cette période avec ses cohérences et ses contradictions. Vous avez ensuite poursuivi cette réflexion dans Effondrement des preuves. Parlez-nous de cette aventure littéraire.
Dr A.B : L’Épreuve de vérité est mon premier essai philosophique et il est consacré à cette période charnière qu’a été la pandémie de Covid-19, que je qualifie de parodie tragique.
Cette pandémie a entraîné l’effondrement de tout un système et l’apparition d’un nouveau paradigme, un nouveau monde caractérisé par la prédominance d’une technoscience qui se veut toute-puissante. Elle a également révélé différentes crises dans de nombreux domaines et une nouvelle forme de pouvoir global que j’appelle "psychopouvoir", dépassant le contrôle des corps propre au capitalisme.
Après sa publication, j’ai donné plusieurs conférences en France et en Suisse, notamment aux côtés du philosophe franco-tunisien Mehdi Belhaj Kacem, auteur de la préface du livre. Certaines de ces conférences ont été retranscrites dans le livre Effondrement des preuves, paru aux éditions Le Manifeste, qui est le prolongement de la réflexion amorcée dans mon premier essai.
La réception de cet essai a été très encourageante. Outre les conférences, mon livre a fait l’objet d’entretiens philosophiques très riches, dont un entretien avec Daniel Tutt, philosophe et professeur à l'université de Washington D.C., qui a été intégralement retranscrit en français dans Effondrement des preuves.
LQ : Vos prochains ouvrages sont prévus pour la rentrée. Qu’est-ce qui les différencie des autres livres ?
Dr A.B : En fait, deux ouvrages sont prévus pour cette rentrée. Le premier, Panser Gaza, est publié chez Fiat Lux, le même éditeur que mon premier essai. C’est un livre hybride entre poésie et essai philosophique, qui tente de comprendre ce qui se cache derrière le massacre en cours à Gaza.
Le second, Le Cheveu d’ange, est un essai dédié aux rapports entre poésie et spiritualité à travers la figure du grand poète soufi Ibn Arabi. Il sera publié aux éditions L’Harmattan, dans la prestigieuse collection Theoria.
LQ : Vous êtes un homme de science, et pourtant l’écriture prend une grande place dans votre vie. Comment qualifieriez-vous la relation que vous avez avec les mots et les lettres ?
Dr A.B : La littérature est une véritable passion et un moteur dans ma vie. Je ne peux concevoir une journée sans lire et écrire. L’écriture m’aide aussi à comprendre le monde et à me comprendre moi-même ; en ce sens, elle représente aussi une forme de thérapie.
Je me sens privilégié de pouvoir partager ma passion avec mes lecteurs et d'échanger avec eux lors de conférences et de rencontres toujours très enrichissantes.
Dans mes ouvrages, j'essaie également de concilier mon intérêt pour la science et ma passion littéraire. Cela est évident dans mon essai L’Épreuve de vérité, mais c’est aussi le cas dans mon prochain livre, Le Cheveu d’ange, où mon métier de pharmacien occupe une place très poétique.