-Alors que la jeunesse marocaine descend dans la rue pour réclamer de meilleurs services publics, le gouvernement choisit une nouvelle fois le silence. Une posture qui, loin d’être circonstancielle, semble constituer une stratégie récurrente de l’Exécutif.
Depuis plusieurs jours, des centaines de jeunes marocains se rassemblent dans différentes villes du Royaume. Sous la bannière de «GenZ212», ils dénoncent l’effondrement du système de santé, la précarité de l’école publique et, plus largement, l’absence de justice sociale.
Des dizaines de jeunes ont, depuis le début des manifestations, été interpellés, certains relâchés rapidement, d’autres toujours retenus.
Pendant que la rue bruit de slogans et d’indignation, l’Exécutif est resté muet. Ni le chef du gouvernement ni ses ministres n’ont pris la parole. Les revendications populaires n’ont trouvé aucun écho dans les couloirs de la primature. Une scène déjà vue.
Au fil des crises, le silence est, en effet, devenu une véritable marque de fabrique du gouvernement Akhannouch. Lors des grèves massives des enseignants contractuels, aucune voix forte n’est venue dialoguer publiquement avec le corps enseignant. Après le séisme d’Al Haouz en 2023, la réponse structurante a été portée par le Roi Mohammed VI, le gouvernement restant cantonné aux annonces techniques.
En avril 2025, une cyberattaque d’ampleur a visé la CNSS qui a exposé les données de millions d’assurés. Durant plusieurs jours, le gouvernement s’est contenté d’un communiqué tardif et technique, sans parole politique claire pour rassurer les citoyens.
Plus récemment, à Agadir, la mort suspecte de plusieurs femmes suite à des césariennes à l’hôpital Hassan II a révélé les fractures d’un système de santé à deux vitesses. Là encore, silence radio du côté politique, et une visite sur place du ministre qui frise l’improvisation.
À chaque fois, l’Exécutif s’efface et laisse la rue, la société civile ou l’institution royale occuper l’espace du discours et de l’action symbolique. Une forme de stratégie de l’autruche, qui évite la confrontation mais laisse entière la question de la responsabilité politique.
Les ressorts du mutisme
Pourquoi ce silence persistant ? Plusieurs explications s’entrecroisent. D’abord, la crainte d’une parole maladroite qui attise les colères plutôt que de les apaiser. Ensuite, une culture gouvernementale de la communication a minima, où les responsables privilégient les communiqués et la gestion administrative plutôt que la confrontation directe et le dialogue constructif. Enfin, un style de gouvernance technocratique, qui préfère la logique de gestion et d’efficacité à celle du débat public et du dialogue politique.
Ce mutisme devient donc moins une absence qu’une stratégie délibérée de dépolitisation. Laisser passer l’orage jusqu’à ce que la contestation s’essouffle d’elle-même.
Toutefois, se taire n’est jamais neutre et n’a jamais été la solution. À force d’esquiver, le gouvernement finit par donner l’image d’un pouvoir sourd. Qu’il ne veuille pas entendre ou qu’il fasse semblant, le résultat est le même. Cette attitude radicalise les colères. Faute d’interlocuteur crédible, les jeunes investissent la rue et les réseaux sociaux, seuls espaces où leurs voix sont entendues.
À terme, cette posture fragilisera sans doute la légitimité même de l’Exécutif. Un gouvernement qui ne parle pas cesse d’incarner une autorité politique. Il se réduit à un rôle de gestionnaire administratif, en attente d’un arbitrage venu d’ailleurs.
Face aux contestations actuelles, le gouvernement Akhannouch n’a peut-être pas de mots pour répondre aux jeunes marocains qui crient leur désarroi. Ou peut-être choisit-il de se taire pour ne pas légitimer ces mobilisations, jugées par certains comme pouvant être instrumentalisées par des forces extérieures cherchant à fragiliser le pays, alors que se profilent de grands rendez-vous comme la CAN 2025 et la Coupe du monde 2030.
Mais ce silence répété est déjà un discours. Celui d’une élite qui choisit l’effacement plutôt que l’affrontement, la retenue plutôt que la responsabilité. Ce déséquilibre renforce aussi une perception largement partagée. Dans les moments critiques, c’est toujours le Roi qui arbitre, rassure et décide, tandis que le gouvernement reste en retrait.
Y. S.