Chaque été, avec la montée des températures et l’afflux de population dans les villes, un phénomène revient hanter l’espace public marocain : la prolifération des chiens errants. Dans les quartiers périphériques comme dans les centres urbains, leur présence pose une double problématique, à la fois sanitaire et sécuritaire. À l’heure où la rage reste endémique au Maroc et où les cas de morsures se multiplient, la gestion de ces animaux devient un enjeu de santé publique que l’été rend encore plus visible et plus pressant.
À Casablanca, Tanger ou Marrakech, les signalements de chiens errants se multiplient en été. Devant les écoles, autour des marchés, dans les quartiers en périphérie, leur présence suscite l’inquiétude, parfois la peur. La chaleur, la promiscuité, et le manque de contrôle renforcent leur visibilité et avec elle, le risque sanitaire.
En effet, le Maroc enregistre environ 400 cas de rage animale et une vingtaine de cas humains chaque année, selon les chiffres communiqués par le Dr Moundir Souhami. En 2017, plus de 65 000 personnes ont été agressées par des animaux potentiellement porteurs du virus. Le coût sanitaire est lourd, estimé à près de 70 millions de dirhams par an pour les soins post-exposition et la gestion des cas.
«La rage est une maladie tropicale négligée, mais elle reste un vrai problème de santé publique au Maroc. La couverture vaccinale est inégale, et la gestion des chiens errants largement inefficace», alerte le Dr Souhami dans un entretien accordé à LaQuotidienne.
Avec la montée des températures, les chiens errants (en quête de nourriture et d’eau) s’approchent davantage des zones habitées : marchés, fontaines, décharges. L'été accentue leur visibilité et leur agressivité. Dans certaines communes, les agents municipaux reconnaissent être dépassés par les signalements, sans ressources suffisantes pour agir. Les enfants restent les plus vulnérables : 40 % des victimes de morsures ont moins de 15 ans, selon les chiffres de l’OMS.
Un tournant législatif avec le projet de loi 19.25
Face à cette situation persistante, l'État semble vouloir durcir le ton. Le gouvernement a récemment présenté au Parlement le projet de loi 19.25, qui vise à encadrer strictement la gestion des animaux errants et domestiques. Objectif affiché : prévenir les risques sanitaires et sécuritaires, tout en luttant contre la prolifération anarchique. Le texte introduit plusieurs obligations et sanctions nouvelles : Il devient interdit d’héberger, nourrir ou soigner des animaux errants en dehors de structures agréées.
En parallèle, toute personne gérant un centre non homologué s’expose à une amende de 10 000 à 50 000 dirhams, tandis que les propriétaires d’animaux non déclarés ou sans carnet de santé à jour risquent jusqu’à 150 000 dirhams d’amende.
Le texte prévoit également la création d’une plateforme électronique nationale de suivi. Chaque animal domestique devra être identifié par un numéro unique, et tout changement (perte, décès, transfert) devra être déclaré. En parallèle, les citoyens pourront y signaler la présence d’animaux errants dangereux. Les propriétaires devront garantir la sécurité de leurs animaux et éviter qu’ils ne constituent un danger public.
Prévention encore fragile, prise en charge incomplète
Malgré cette avancée juridique, la situation sur le terrain reste marquée par des défaillances multiples : manque de vaccins, personnel non formé, ruptures de sérum dans certains centres antirabiques, défaut de suivi post-morsure. «La rage est évitable à 100 %, mais tant que la couverture vaccinale ne dépasse pas les 70 % chez les chiens, nous resterons exposés», souligne Dr Souhami. Il insiste également sur le besoin urgent d’une coordination intersectorielle renforcée entre santé, collectivités locales et services vétérinaires.
Sur le terrain, la réalité est contrastée. Certaines villes comme Agadir ou Rabat ont lancé des programmes de stérilisation encadrés, en lien avec des associations. Mais dans la plupart des communes, les campagnes d’abattage par balle ou par empoisonnement restent la norme, malgré leur inefficacité démontrée à long terme. À cela s’ajoute une problématique de chiens semi-domestiques, errants mais “appartenant” à des familles qui ne les identifient pas. Faute de réglementation claire (jusqu’à présent), la frontière entre chien errant et animal domestique flouait toute action concertée.
Le projet de loi 19.25 représente clairement une opportunité majeure pour structurer enfin une réponse globale et durable à ce défi. Mais pour être efficace, il devra s’accompagner de moyens réels, de formations continues, et d’un engagement politique local fort.
Le Maroc s’est fixé l’objectif d’éliminer la rage transmise par le chien d’ici 2025. À mi-parcours, la réalité du terrain montre que l’objectif reste difficilement atteignable, à moins d’un changement de cap rapide et coordonné.
En attendant, les chiens errants continueront de roder et le risque, lui, de croître avec la chaleur.
Y.Seddik