● L’article 490 du code pénal incriminant les rapports sexuels illégitimes, l’article 23 de la loi relative à l’état civil réservant le livret de famille aux couples mariés … Au Maroc, de nombreux textes de lois sont jugés discriminants à l’égard des mères célibataires.
● Entretien avec Me Nesrine Roudane, avocate au Barreau de Casablanca, arbitre et médiatrice commerciale, associée responsable Roudane & Partners Law Firm en collaboration avec Al Tamimi & Co.
Finances News Hebdo : D’un point de vue juridique, quelle lecture faites-vous du statut des mères célibataires au Maroc ?
Me Nesrine Roudane : Au Maroc, la mère célibataire n’a pas réellement de statut juridique comme cela peut être le cas dans d’autres pays. Il n’y a pas vraiment de textes législatifs qui lui consacrent un statut particulier ou qui lui confèrent des droits ou des obligations spécifiques.
D’ailleurs, dans la plupart des législations de pays musulmans, nous pouvons retrouver le statut de la mère mariée ou épouse, de la mère divorcée, mais très rarement ou presque jamais de la mère célibataire.
L’une des seules lois à faire allusion à la mère célibataire sans l’incriminer est le dahir n° 1-02-239 du 25 rejeb 1423 (3 octobre 2002) portant promulgation de la loi n° 37-99 relative à l’état civil dans son article 16 (Al. 7) qui dispose que : «L’enfant de père inconnu est déclaré par la mère ou par la personne en tenant lieu; elle lui choisit un prénom, un prénom de père comprenant l’épithète «Abd» ainsi qu’un nom de famille qui lui est propre».
L’article 16 (Al. 7) de la loi n° 37-99 relative à l’état civil semble donner une certaine légitimité pour la mère célibataire pour déclarer son enfant auprès de l’officier de l’état civil sans la présence obligatoire du père.
Certains pourraient soutenir que l’introduction d’un statut juridique particulier pour la «mère célibataire» serait contraire aux principes musulmans sur lesquels les lois sont fondées «chariaa al islamia» et qui qualifient les relations sexuelles hors mariage de «Al-Zina». Selon d’autres, ce statut serait également contraire aux stipulations de la Constitution marocaine qui limite dans son article 32 la définition de la famille à l’existence d’un lien légal du mariage en annonçant que : «La famille, fondée sur le lien légal du mariage, est la cellule de base de la société». Autrement dit, pas de lien légal, pas de famille et donc pas d’enfants.
Cela étant rappelé, il convient de préciser qu’au-delà de toutes considérations économiques, sociales, légales et/ou religieuses, nous sommes devant une réalité sociale et un état de fait auquel il convient d’apporter des solutions pratiques pour éviter des déchirures sociales ou une stigmatisation d’une partie de la population.
F.N.H. : Quels sont les principaux textes de lois qui portent préjudice aux mères célibataires ?
Me N.R : Dans la législation marocaine, plusieurs textes de lois portent préjudice aux mères célibataires comme l’article 490 du code pénal qui incrimine tout rapport sexuel illégitime entre deux personnes de sexe opposés. L’expérience montre qu’il est plus simple de prouver l’existence d’un rapport hors mariage pour la femme que pour l’homme surtout en présence d’une grossesse.
Nous retrouvons également les articles 154, 156 et 158 de la loi n° 70-03 portant code de la famille, selon lesquels la filiation de l’enfant à son père est établie si l’enfant est le fruit d’un rapport légitime, ou pendant la période des fiançailles si les conditions prévues par l’article 156 sont réunies à savoir :
● a) les fiançailles ont été connues des deux familles et approuvées, le cas échéant, par le tuteur matrimonial de la fiancée;
● b) il s'avère que la fiancée est tombée enceinte durant les fiançailles;
● c) les deux fiancés ont reconnu que la grossesse est de leur fait. ».
Toujours dans le cadre de la Moudawana (code de la famille), nous retrouvons l’article 148 selon lequel : «La filiation illégitime ne produit aucun des effets de la filiation parentale vis-à-vis du père.».
Il en ressort qu’un enfant illégitime, ne nécessite pas obligatoirement de filiation légale, étant donné qu’il a été conçu dans des conditions illégales, alors que concernant la femme le fait de donner naissance établit la filiation.
Nous retrouvons également l’article 23 de la loi n° 37-99 relative à l’état civil, selon lequel le livret de famille est réservé aux couples unis par les liens du mariage, et que la version originale de ce livret est exclusivement délivrée à l’époux. Pour ce qui est de l’épouse, de la femme divorcée ou du mandataire légal, ils peuvent avoir une copie de celui-ci. Nul besoin de rappeler qu’aucune référence n’est faite aux mères célibataires qui ne peuvent pas prétendre au livret de famille.
Les exemples sont nombreux et l’existence des mères célibataires est une réalité qu’on ne peut ignorer et il est primordial de trouver une solution législative pour préserver les droits des enfants issus de ces unions.
F.N.H. : Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, avait annoncé que son département prévoit l’introduction dans le code pénal d’une nouvelle mesure qui consiste à imposer au père d’un enfant né en dehors du cadre du mariage de le prendre en charge jusqu’à ce qu’il atteigne ses 21 ans. Pensez-vous que cela permettrait de réduire ce phénomène ?
Me N.R : Il est difficile d’apporter une réponse avec certitude mais il est possible d’envisager qu’une implication financière du géniteur entraînerait plus de responsabilité lors de la conception de l’enfant. Mais il est tout aussi envisageable de penser que cela pourrait susciter un effet pervers inverse où un enfant serait recherché juste pour bénéficier de cette prise en charge.
Toute modification législative devrait être motivée par la protection de l’intérêt suprême de l’enfant pour en faire un acteur citoyen impliqué dans le développement du pays, ce qui suppose une approche holistique où l’effort ne serait pas limité à des modifications législatives mais donnerait une attention tout aussi particulière à l’éducation et la sensibilisation.
F.N.H. : Plusieurs associations militent pour la légalisation de l’avortement, notamment pour certains cas délicats, afin de limiter l’ampleur de ce phénomène. Néanmoins, sur le plan juridique cela bloque toujours. Pourquoi à votre avis ?
Me N.R : Le Maroc étant un pays musulman, il est lié par les préceptes religieux selon lesquels seul Dieu a le droit d’ôter la vie. C’est un droit sacré qui est protégé par l’article 20 de la Constitution qui stipule que : «Le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit» .
Certains soutiennent que le fait de rendre l’avortement légitime serait contraire à ce principe constitutionnel.
Le code pénal prévoit une petite exception en présence de laquelle l’avortement n’est pas punissable. L’article 453 du code pénal prévoit que l’avortement n’est pas punissable lorsque la grossesse met en danger la santé de la mère, mais il est indispensable d’avoir le consentement du mari.
La problématique de l’avortement a fait couler beaucoup d’encre et il est difficile d’avoir un consensus à ce sujet. D’ailleurs, sa Majesté le Roi avait reçu le 15 mai 2015 en audition une commission composée des ministres de la Justice, des Affaires islamiques et du président du Conseil national des droits de l’homme, qui devaient trancher sur la question et présenter leurs conclusions sur la problématique de l’avortement.
Les conclusions de ces consultations étaient que : «l’écrasante majorité penche pour la criminalisation de l’avortement illégal, à l’exception de quelques cas de force majeure, en raison des souffrances qu’il engendre et de ses répercussions sanitaires, psychologiques et sociales négatives sur la femme, la famille et le fœtus et sur toute la société, notamment :
Premièrement : Lorsque la grossesse constitue un danger pour la vie et la santé de la mère;
Deuxièmement : Dans les cas où la grossesse résulte d'un viol ou de l'inceste;
Troisièmement : Dans les cas de graves malformations et de maladies incurables que le fœtus pourrait contracter.»
Dans ce cadre, le projet de loi de 2015 concernant l’élargissement des exceptions de la criminalisation de l’avortement pour couvrir les cas de force majeure comme le viol, l’inceste, le handicap et la mal formation du fœtus n’est jamais arrivé à son terme.