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Politique linguistique: «La transition vers l'arabe dans les administrations doit être abordée avec prudence»

Politique linguistique: «La transition vers l'arabe dans les administrations doit être abordée avec prudence»

Divisé entre l’usage de plusieurs langues, le Maroc se dirige vers l’emploi exclusif de l’arabe dans les administrations et les établissements publics. Cette décision risque d’affecter l’accès à l’information et peut avoir des implications spécifiques vis-à-vis des MRE.

La mise en place de politiques linguistiques inclusives ainsi qu’une planification stratégique sont nécessaires pour assurer une transition réussie et harmonieuse qui favorise le développement global du pays.

Entretien avec Abdelkhalek Hassini, enseignant-formateur, conférencier, expert en migration et développement et président du Collectif des associations pour le développement de l’Oriental Europe (CADOriental Europe).

 

Propos recueillis par M. Ait Ouaanna

Finances News Hebdo : Le gouvernement est visiblement déterminé à imposer le tout arabe au sein des administrations marocaines. Récemment, la ministre de la Transition numérique et de la Réforme de l’Administration, Ghita Mezzour, a indiqué qu’un jugement rendu par le tribunal administratif de Rabat stipule que l’usage du français par les administrations publiques n’est plus valable. Qu’en pensez-vous ?

Abdelkhalek Hassini : La question linguistique au Maroc revêt une importance majeure et suscite de nombreux débats et controverses quant à l'usage des langues dans le pays. La diversité linguistique y est considérée comme un trésor, avec plusieurs langues coexistantes, telles que le français, la darija (arabe dialectal marocain), l'arabe classique et l'amazigh (berbère), reflétant ainsi la richesse culturelle et historique du Maroc. Cependant, cette diversité présente des défis en termes d'inclusion, de développement économique et de stabilité sociale. Récemment, le gouvernement marocain a annoncé sa décision d'imposer l'arabe comme langue officielle dans l'Administration marocaine, ce qui a engendré des réactions variées au sein de la société. Cette décision est motivée par la volonté de renforcer l'identité culturelle arabe du pays et de favoriser l'utilisation de la langue nationale. Elle cherche aussi à faciliter l'accès à l'éducation et à l'information pour les citoyens marocains qui ne maîtrisent pas bien le français.

La présence considérable de la langue française dans la vie économique, l'administration, les médias et l'éducation au Maroc constitue un défi majeur dans la transition linguistique. Le français, héritage du passé colonial, est souvent perçu comme une langue «d'élite», ce qui peut engendrer du ressentiment au sein d'une partie de la population. De plus, le français est largement utilisé dans les postes universitaires et les cursus d'études supérieures, ce qui rend son remplacement difficile. Il est important de prendre en compte cet aspect lors de la réorientation linguistique, afin de garantir une transition en douceur. En favorisant l'utilisation de l'arabe, la politique linguistique vise à assurer une plus grande accessibilité à l'éducation et à l'information, renforçant ainsi l'inclusion sociale et l'égalité des chances.

Cependant, cela risque d'affecter la présence encore marquée de la langue française dans divers secteurs de la société marocaine. Les tensions diplomatiques entre la France et le Maroc ont également contribué à des mesures linguistiques pouvant altérer les relations linguistiques et culturelles entre les deux pays. Il est essentiel de trouver des solutions qui préservent la richesse linguistique du pays tout en répondant aux défis pratiques de la communication et de l'administration. La promotion de l'arabe en tant que langue officielle doit s'accompagner de mesures visant à préserver et à valoriser les autres langues présentes au Maroc, notamment le français. La présence considérable du français dans divers domaines constitue un défi majeur. On sait que le français joue un rôle prépondérant au Maroc, notamment dans les domaines de l'économie, de l'administration, des médias et de l'éducation. Il est largement utilisé et reconnu comme une langue de communication internationale. Par conséquent, une transition réussie nécessitera la promotion de l'enseignement et de l'apprentissage des langues, la sensibilisation et l'engagement de la société, ainsi qu'une gestion progressive de cette évolution linguistique. Par ailleurs, il est important de prendre en compte les répercussions des tensions diplomatiques entre la France et le Maroc et de rechercher des solutions préservant les liens culturels et linguistiques entre les deux pays.

Les enjeux sociaux, culturels et identitaires liés à la politique linguistique au Maroc sont considérables. La politique linguistique doit viser à favoriser l'inclusion sociale, l'égalité des chances et la cohésion nationale. Encourager la sensibilisation et l'appréciation des différentes langues et cultures présentes au Maroc contribuera à une meilleure compréhension et à une plus grande solidarité. La promotion du dialogue interculturel et de la compréhension mutuelle est un autre aspect clé d'une politique linguistique équilibrée. Il est important de créer des espaces où les différentes communautés linguistiques peuvent se rencontrer, échanger et apprendre les unes des autres. Cela favoriserait la tolérance, le respect et la reconnaissance de la diversité culturelle du pays. Par ailleurs, l'imposition de la langue arabe dans l'administration publique marocaine peut avoir des implications spécifiques vis-à-vis de la diaspora marocaine vivant à l'étranger.

Cette décision peut entraîner des difficultés de communication pour les membres de la diaspora qui ne maîtrisent pas la langue arabe. Interagir avec les services administratifs du Maroc peut devenir plus complexe, créant ainsi des obstacles dans les relations avec leur pays d'origine. De plus, l'imposition de la langue arabe dans l'administration publique peut présenter des défis pour les investissements des entreprises étrangères au Maroc. Les entreprises dont les dirigeants et les employés ne parlent pas couramment l'arabe, peuvent rencontrer des difficultés dans leurs interactions avec les autorités marocaines. Cela pourrait réduire l'attrait du pays en tant que destination d'investissement et freiner le développement économique.

Pour atténuer ces conséquences, il est crucial d'adopter une approche équilibrée et progressive. Des mesures de soutien et d'incitation peuvent être mises en place pour promouvoir l'utilisation de l'arabe dans l'administration publique, tout en veillant à ne pas négliger les avantages de la maîtrise du français et d'autres langues étrangères. De plus, une attention particulière doit être accordée à la formation et à la sensibilisation des employés de l'administration publique afin de développer leurs compétences linguistiques et de favoriser une communication efficace avec la diaspora marocaine, marquée par une mosaïque multiculturelle et multilingue, visant à faciliter leur participation et leur engagement dans le développement du pays. En adoptant une approche équilibrée qui reconnaît les besoins et les défis spécifiques de la diaspora marocaine, il est possible de maximiser les avantages de la politique linguistique tout en minimisant les inconvénients pour les membres de la diaspora et pour les investissements étrangers au Maroc.

 

F.N.H. : L’usage de la langue arabe au détriment du français n’est certainement pas sans conséquences. Quel sera, selon vous, l’impact de cette éventuelle transition sur le développement du pays ainsi que sur ses relations avec le reste du monde ? 

A. H. : La transition de l'usage du français vers l'arabe dans les administrations marocaines peut avoir des implications sur le développement du pays. Il est crucial d'analyser les différents aspects de cette transition pour évaluer son impact global. Tout d'abord, la transition peut affecter l'accès à l'information. En passant à l'arabe comme langue officielle, ceux qui ne maîtrisent pas cette langue pourraient rencontrer des difficultés pour accéder à l'information. Cela pourrait créer des inégalités en termes d'accès aux ressources et aux opportunités, marginalisant ainsi certains groupes de la société. En ce qui concerne les relations internationales, le français est largement utilisé dans les domaines des affaires, du commerce et des relations internationales. Si l'usage du français diminue dans les administrations, cela pourrait poser des défis dans ces domaines et potentiellement affecter les relations extérieures du pays. Il serait nécessaire d'adapter les compétences linguistiques et de mettre en place des politiques de traduction efficaces pour maintenir des relations solides avec les partenaires internationaux.

Dans le domaine de l'éducation et de la formation, le français a longtemps été utilisé au Maroc. Une transition vers l'arabe nécessiterait des ajustements dans les programmes scolaires et universitaires, ainsi que des efforts supplémentaires pour développer les ressources pédagogiques et améliorer les compétences des enseignants. Il est essentiel de garantir la qualité de l'éducation tout en favorisant l'utilisation de l'arabe comme langue d'enseignement. Le bilinguisme a été considéré comme un atout pour les Marocains sur le marché du travail et dans les domaines académiques. Une transition exclusive vers l'arabe pourrait entraîner une diminution du bilinguisme, ce qui pourrait avoir un impact sur la compétitivité des individus. Des programmes de formation linguistique pourraient être nécessaires pour maintenir et développer les compétences linguistiques dans les deux langues. La transition vers l'usage exclusif de l'arabe dans les administrations pourrait également entraîner des coûts importants. Des investissements seraient nécessaires pour la formation linguistique, la traduction de documents, le développement de ressources pédagogiques, etc. Il serait crucial de planifier et de gérer ces coûts de manière efficace pour assurer une transition réussie.

La mobilité internationale pourrait également être affectée par cette transition. Le français est largement utilisé comme langue de communication internationale dans des domaines tels que la diplomatie, le commerce et le tourisme. Une diminution de son utilisation dans les administrations pourrait poser des défis pour les fonctionnaires marocains lorsqu'ils interagissent avec des partenaires internationaux. Il serait nécessaire de développer des compétences linguistiques diversifiées pour maintenir une mobilité internationale efficace. En termes de compétitivité économique, le français est considéré comme une compétence professionnelle précieuse dans certains secteurs, tels que les services, le commerce international, le tourisme et l'industrie. La diminution de son utilisation pourrait potentiellement affecter la compétitivité économique du pays dans ces domaines. Des efforts seraient nécessaires pour développer d'autres compétences linguistiques et promouvoir l'usage de l'arabe pour maintenir la compétitivité. De plus, le français est utilisé dans les domaines de la culture, de la littérature et de la recherche scientifique. Une diminution de son utilisation dans les administrations pourrait limiter les échanges culturels et scientifiques avec des pays et des institutions francophones. Des mesures devraient être prises pour faciliter ces échanges tout en promouvant l'utilisation de l'arabe. Enfin, la transition vers l'arabe dans les administrations doit être abordée avec prudence, en tenant compte des implications économiques, sociales et culturelles. Une approche progressive et inclusive permettra de garantir une transition réussie et de favoriser un développement équilibré et harmonieux du pays.

 

F.N.H. : Avec l’annonce faite par la ministre, peut-on dire que le Royaume est enfin parvenu à adopter une politique linguistique stable ?

A. H. : Au cœur du Maroc, une mosaïque linguistique se déploie, suscitant des débats passionnés sur l'avenir de la politique linguistique du pays. Entre préservation de l'identité culturelle et garantie de l'inclusion, le Maroc cherche un équilibre délicat. Dans un pays où le français, la darija, l'arabe classique et l'amazigh coexistent, la question de la langue officielle dans les administrations marocaines soulève des questions cruciales sur l'accès à l'information, la mobilité internationale et la cohésion sociale. Alors que le Maroc annonce l'usage de l'arabe comme langue officielle, il est essentiel de trouver des solutions qui préservent la richesse linguistique du pays, tout en répondant aux défis pratiques de la communication et de l'administration. La diversité linguistique est un trésor au Maroc, mais aussi un défi. Comment trouver un équilibre harmonieux entre les langues pour assurer l'inclusion, le développement économique et la stabilité sociale ? En effet, la question linguistique au Maroc est bien plus qu'un simple débat académique. Elle touche à l'identité culturelle, à la compétitivité économique et à la garantie des droits linguistiques pour tous les citoyens.

L'annonce faite par la ministre concernant l'usage de l'arabe comme langue officielle dans les administrations marocaines peut être vue comme une tentative de clarifier la politique linguistique du pays. Cependant, il est important de noter que l'adoption d'une politique linguistique stable et définitive nécessite un consensus et une approche inclusive qui prennent en compte les différentes langues parlées au Maroc. Incontestablement, chacune de ces langues joue un rôle important dans la société marocaine, et leur statut et leur utilisation peuvent varier dans différents contextes. Pour parvenir à une politique linguistique stable, il est important d'engager un dialogue inclusif avec toutes les parties prenantes, y compris les représentants des langues minoritaires et des différentes régions du pays. Il est nécessaire de trouver un équilibre qui préserve la diversité linguistique, tout en garantissant l'accès à l'information et aux services pour tous les citoyens. Il est également important de noter que la stabilité d'une politique linguistique n'est pas seulement déterminée par les décisions gouvernementales, mais aussi par la manière dont ces décisions sont mises en œuvre et respectées dans la pratique.

Cette sa capacité à répondre aux besoins et aux aspirations des différentes communautés linguistiques du pays, à promouvoir la cohésion sociale, à faciliter l'accessibilité aux services publics, à garantir l'égalité des chances et à respecter les droits linguistiques des individus. Cela peut impliquer la reconnaissance et la valorisation de plusieurs langues, tout en établissant des mécanismes pour promouvoir l'usage et l'apprentissage de ces langues. La question de savoir si le Maroc a atteint une politique linguistique stable dépendra donc de la manière dont la décision d'imposer l'utilisation de l'arabe dans l'administration publique est mise en œuvre, respectant les droits linguistiques de toutes les communautés et cherchant à promouvoir la diversité linguistique de manière inclusive et équilibrée. Une politique linguistique stable nécessite une volonté politique durable et un engagement continu en faveur de l'inclusion et du respect des droits linguistiques de tous les citoyens marocains. Ainsi, la promotion de la langue arabe et l'amélioration de la performance administrative vont de pair pour le développement harmonieux de la société marocaine. Assurément, le changement n'est pas facile et prend du temps, mais avec un engagement et un effort continus, il est possible de réaliser des progrès réels dans le renforcement de la langue et l'amélioration de la performance administrative dans la société marocaine. 

 

 

 

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