«Qu’est devenue la France ? Autrefois le pays le plus beau, le plus brillant et le plus civilisé du monde, il est maintenant pris dans une spirale de déclin apparemment irréversible. Les Français le savent – une enquête de l’année dernière a révélé que 61% d’entre eux pensent que le pays est en déclin –, mais ils se sentent impuissants à l’empêcher».
C’est en substance l’amorce de l’analyse pertinente publiée dans The Telegraph sous la plume de Daniel Johnson. Un texte bien documenté qui rend compte avec des données fiables et étayées de la grave situation dans laquelle s’est empêtrée la France depuis déjà plusieurs années, bien avant l’arrivée d’Emmanuel Macron, au moins depuis la fin des années 90 du siècle dernier.
D’abord, les raisons de cette grave crise qui lamine les arcanes du pouvoir en France. Pour le journal britannique, les choses sont claires : «La crise a d’innombrables causes. Au fond, cependant, se trouve le désespoir d’un peuple trompé depuis si longtemps qu’il ne croit plus rien de ce que disent ses dirigeants, même s’ils disent la vérité. L’ambiance est crépusculaire, parfois presque apocalyptique, alors que ceux qui ont été maintenus dans le déni se réconcilient avec un présent qui se moque de leurs espoirs pour l’avenir. Il y a à peine un aperçu de la gloire à laquelle ils associent le passé qui s’éloigne rapidement ».
Voici le point nodal : la crise sociale, le ras-le-bol des populations, la frustration des masses travailleuses, la précarité, la pauvreté, l’instabilité sociale et les dissensions qui rongent le corps malade d’une France aux abois.
A tous les niveaux et à tous les étages, les choses vont très mal et cela crée un climat délétère et dangereux dans une France qui accuse le coup de partout : «La semaine dernière, dans une interview télévisée, Macron a défendu son bilan en matière d’ordre public après le meurtre sensationnel de Lola, une Parisienne de 12 ans, mais a concédé pour la première fois une vérité qui dérange : si on regarde la délinquance à Paris aujourd’hui, force est de constater qu’au moins la moitié de la délinquance est le fait de personnes étrangères, soit en situation irrégulière, soit en attente d’un titre de séjour.
Il y a encore un an, Macron aurait condamné avec véhémence de telles opinions de l’un de ses rivaux de droite. Qu’il le dise maintenant lui-même est un signe de son désespoir.
Car cela implique non seulement que l’Etat français a perdu le contrôle de ses frontières, mais qu’il n’intègre pas la part en croissance rapide de la population dont les origines se trouvent dans les anciennes colonies françaises ».
Déni, contradictions, stigmatisation, rejet de l’autre, xénophobie, racisme, islamophobie, tout y passe. L’exacerbation de ces fléaux plonge la France de Macron dans un déchirement irréversible. Une société clivée et divisée qui vit dans le doute et la peur devient une société en danger : « Le déclin de la France se manifeste de plusieurs manières. Le malaise politique sous-jacent est un malaise économique qui a été accéléré, mais pas causé par les chocs de la pandémie de Covid et de la guerre en Ukraine. La longue histoire des gouvernements dirigistes français de gauche et de droite, qui ont donné la priorité au contrôle de l’État sur la libre entreprise, a légué une économie centralisée qui semble incapable de s’adapter aux vents contraires mondiaux».
Dans le même esprit, le journal anglais creuse davantage son sujet pour nous donner des indicateurs clairs sur la faillite de la France aujourd’hui. Secteur après secteur, les choses sont graves, la situation est hors contrôle dans de nombreux domaines en chute libre : « Prenez l’industrie automobile : elle emploie toujours 800 000 salariés, mais elle est plongée dans ce que Le Monde a qualifié en avril dernier de “crise existentielle”, avec des ventes en baisse de 17% par rapport à 2021. Depuis, Renault, Peugeot et Citroën luttent pour survivre. Une nation de pionniers de la mécanique, traditionnellement obsédée par la route, est tombée amoureuse de l’automobile. Pourtant, les capitaines d’industrie se comportent comme des lapins pris dans les phares».
Un bilan qui ne souffre d’aucune ombre. Les fleurons de l’industrie française tirent la langue, et depuis de nombreuses années. Une constante qui touche un autre fleuron du Made in France, le nucléaire : «C’est la même histoire avec le nucléaire, qui fournit 70% de l’électricité française. L’incapacité à remplacer les infrastructures vieillissantes a laissé plus de la moitié des 56 réacteurs hors service à l’approche du pire hiver de mémoire d’homme.
EDF, qui exploite les centrales, a été nationalisée et, pour la première fois depuis des décennies, la France importe plus d’énergie qu’elle n’en exporte, n’évitant pour l’instant que de justesse les pannes d’électricité. Dans un avenir prévisible, le pays a non seulement été dépassé par la Suède en tant que premier exportateur d’électricité d’Europe, mais a perdu sa réputation tant vantée en matière de sécurité énergétique ».
Pire, même un secteur comme l’agriculture tourne de l’œil depuis quelques années. Pourtant, c’est là un domaine que la France maîtrisait fort bien dans le passé. Aujourd’hui, c’est la même règle qui sévit partout : lenteur, approximation, trompe-l’œil et attentisme.
«L’agriculture française, elle aussi, perd du terrain face à la concurrence étrangère, notamment dans la production bovine. Au cours des 20 dernières années, la quantité de viande bovine produite en France a chuté de 9% à 1,4 million de tonnes, selon Eurostat.
Pendant ce temps, l’inflation alimentaire a atteint 11,8% le mois dernier, les produits frais augmentant de près de 17% en glissement annuel. Alors que les subventions de l’État ont maintenu l’inflation globale en dessous de la moyenne de l’UE, cette politique de corruption des consommateurs avec leur propre argent pour masquer la réalité est insoutenable à moyen terme».
Cette mauvaise gestion dont les causes sont à chercher du côté des compétences françaises qui n’arrivent plus à se recycler ni à suivre les grands changements qui s’opèrent dans le monde d’aujourd’hui, touche d’autres étages de l’économie française, avec une politique fiscale désastreuse : « La pression fiscale en France est parmi les plus élevées du monde développé. Le ratio impôts/PIB français, à 45,4%, est le deuxième plus élevé de l’OCDE. Le chiffre du Royaume-Uni est de 32,8%. Autrement dit, le gouvernement français dépense près de 53% du PIB; le gouvernement britannique environ 10% de moins. Ainsi, bien que les Britanniques paient les impôts les plus élevés depuis 70 ans, par rapport aux Français, nous sommes autorisés à conserver beaucoup plus de nos revenus ».
Au-delà, il y a aussi le chômage de plus en plus fort et qui menace plus de monde chaque année face à une situation économique sclérosée : «Le chômage des jeunes en France reste également obstinément élevé, à 15,6% contre 9% en Grande-Bretagne. Pendant ce temps, la croissance du PIB s’élèvera à 2,5% cette année, selon les prévisions du Fonds monétaire international, tandis que l’économie britannique devrait croître de 3,6%.
Pourtant, gonflé par ses politiques fiscales confiscatoires et malgré ses politiques commerciales protectionnistes, l’État français n’a pas réussi à empêcher la descente de ses régions industrielles vers un déclin terminal. L’équivalent du «Red Wall» en Angleterre se retrouve dans le Nord et l’Est de la France, tandis que l’arrière-pays rural est tout aussi déprimé. Les sondages d’opinion donnent maintenant au Rassemblement national de Le Pen près de 50%, la plupart de ces électeurs protestataires étant concentrés dans les régions de la ceinture de rouille et dans la France profonde».
Ce qui nous amène à la grande problématique des écoles en France où l’enseignement bat de l’aile depuis des décennies. Aujourd’hui, les choses ont tout bonnement empiré : « Le déclin des écoles françaises à tous les niveaux est particulièrement désolant pour ceux qui les ont connues à leur apogée. Les lycées et les grandes écoles étaient très compétitifs et résolument élitistes, mais ils ont atteint leur objectif d’équiper la direction de la France à un niveau superlatif. Après 1968, cependant, la pourriture s’est installée et a depuis touché toutes les parties du système.
Macron a fermé l’École nationale d’administration, l’école de finition d’élite pour les dirigeants et les bureaucrates du pays qu’il a lui-même fréquentée, l’année dernière alors qu’elle était devenue une autre institution à être capturée par la pensée de groupe d’élite. Il a été créé à l’origine par Charles de Gaulle en 1945 pour briser l’emprise des classes supérieures sur les leviers du pouvoir français».
Une situation qui place la France parmi les derniers de la classe en Europe et en Occident. Manque de connaissance, savoir très limite, niveau très bas, une mauvaise connaissance des langues étrangères, une piètre consistance des autres cultures, le tout couplé à une paralysie du système éducatif français qui ne se renouvelle jamais : « Macron, produit typique du système, a malheureusement présidé à une accélération de son déclin. La France obtient de mauvais résultats au PISA (Programme for International Student Achievement), se classant bien en dessous du Royaume-Uni ou de l’Allemagne. La France a glissé du 19e au 23e rang du classement des compétences en lecture en 2018. Le Royaume-Uni s’est classé 14e. Une seule université française (PSL Paris) figure dans le top 50 mondial, selon le classement Times Higher Education.
L’une des conséquences en a été le déclin de la science française. Cela a été révélé par la pandémie, lorsque Macron a dû admettre que son pays était incapable de produire son propre vaccin Covid – contrairement aux États-Unis, au Royaume-Uni et à l’Allemagne-. Les autorités françaises ont également mis beaucoup plus de temps à vacciner leur population que leurs homologues britanniques».
Ce qui pousse le journal britannique à affirmer que le pire problème de la France aujourd’hui est qu’elle n’a jamais été une méritocratie, mais une république fondée sur des castes et des tremplins entre cercles fermes et cooptés : «La France n’a jamais été une pure méritocratie: ses rigueurs ont toujours été tempérées par les relations, la corruption et la classe. Mais l’appauvrissement éducatif et économique de la bourgeoisie a mis à mal des professions telles que la justice, la médecine, l’armée et les médias. La qualité des politiciens est également étonnamment faible. De même que Macron n’est pas de Gaulle, il n’y a pas non plus de journalistes du calibre du grand critique du général Raymond Aron. La vie publique française est un paysage lunaire de médiocrités».
Cette débâcle politique et économique touche aussi d’autres domaines comme la diplomatie et la géopolitique. La France a presque perdu tout pouvoir géostratégique depuis au moins vingt ans : « La décadence intérieure s’est accompagnée d’un déclin géopolitique. Sous Macron, la France n’a pas soutenu l’Ukraine contre l’agression russe et a perdu son influence dans son arrière-cour nord-africaine. Qui pourrait oublier le contraste entre l’admiration non feinte de Volodymyr Zelensky pour Boris Johnson et son exaspération lorsqu’il s’est retrouvé enlacé par Emmanuel Macron ? », lit-on dans The Telegraph.
Pire, ailleurs, les défaites sont cinglantes, comme c’est le cas en Afrique où la France cumule les déroutes et les camouflets : «Quelques mois plus tôt, le président français avait été contraint de défendre le retrait des troupes de son pays de l’ancienne colonie malienne après une décennie de lutte contre les groupes djihadistes. Sa décision, motivée par une brouille avec la junte militaire au pouvoir, a laissé les casques bleus britanniques alliés sans soutien aérien et a ouvert la porte à une plus grande influence de la Russie, qui a envoyé des entrepreneurs militaires privés dans la région».
Enfin, reste l’exception culturelle française, un domaine où le pays arrivait encore à faire illusion. Là aussi, la débâcle est notoire : «Le même sentiment d’une puissance mondiale en déclin s’applique, à plus forte raison, au domaine dans lequel la France excellait autrefois : la haute culture. Le prix Nobel de littérature a été décerné à Annie Ernaux, 84 ans. Comme le célèbre écrivain norvégien Karl Ove Knausgaard, Ernaux écrit de l’«autofiction », obligeant le lecteur à se soumettre aux anecdotes immersives de son quotidien. Une telle expérience indirecte de la mondanité fascine évidemment un lectorat croissant, mais ce n’est pas l’étoffe dont est faite la grande littérature d’une nation sûre d’elle-même. Au contraire, les œuvres d’Ernaux sont saturées du solipsisme et du nihilisme d’une nation en déclin».
Abdelhak Najib, Écrivain-journaliste