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Tunisie : Kleptocratie

Tunisie : Kleptocratie

Pour décortiquer cette alliance contre-nature qui lie aujourd’hui Paris, Alger et Tunis contre le reste de l’Afrique, et surtout contre le Maroc, ennemi désigné qui a coiffé au poteau les trois rivaux, se positionnant comme le leader incontesté dans la région du Maghreb et en Afrique, il faut analyser la situation économique et politique de chacun des trois pays.

 

Par Abdelhak Najib 
Écrivain-journaliste 

D’abord, la Tunisie, le pays le plus pauvre des trois. Le pays le plus fragile aussi. Menacé de toutes parts, des crises à répétition, une récession économique sans précédent, un vide politique dangereux et une inclination assumée au non-sens et à l’aveuglement politique, dans toutes ses manifestations. Avec Kaïs Saïed, la Tunisie plonge dans le marasme et le chaos à tout-va. Pour le toucher de plus près, voici huit indicateurs cruciaux qui nous donnent le pouls des réalités de la Tunisie en 2023 et qui expliquent pourquoi ce pays est devenu un État vassal de son voisin, l’Algérie. 

Selon Fayçal Derbel, expert-comptable, universitaire et ancien conseiller de Youssef Chahed, ces huit points ont été déterminants dans la destruction du tissu économique national et le recul de ses fondamentaux. «Nous parlons du déficit budgétaire, du volume des dettes, du taux d’endettement, des effectifs dans la fonction publique, de la rémunération de la fonction publique, de l’inflation, du chômage et du RNDP (Revenu national disponible par habitant)», énumère l’expert. Et de faire le bilan de plus de deux décennies pour expliquer la profondeur de cette faillite qui n’en finit pas de balayer les dernières illusions d’un pays au bord de l’explosion.  

Sous perfusion
 
«En 2010, le déficit budgétaire était de 1%. Les dettes publiques s’élevaient à 25,512 milliards de dinars, le taux d’endettement était de 38,8%, le nombre de fonctionnaires de 435.487, les rémunérations publiques de 6,876 milliards de dinars et le taux de chômage de 13%. L’inflation était, pour sa part, de 4,4%, le RNDP de 4.210 dollars, soit près de 13.500 dinars par an, et pour finir, les notations souveraines de la Tunisie étaient un Baaa2 selon Moody’s, BBB PS (perspectives stables) par Fitch et A-PS par R&I», explique l’analyste. Celui-ci fait la comparaison avec ce qu’est la Tunisie aujourd’hui, presque 12 ans plus tard, en parlant d’une chute vertigineuse : «2022, la chute vertigineuse : un déficit budgétaire de plus de 7%, des dettes publiques de 114,142 milliards de dinars, un taux d’endettement de 82,6%, augmentation du nombre de fonctionnaires à 654.922, hausse des rémunérations publiques à 21,573 milliards de dinars, un taux de chômage de 15,3%, un taux d’inflation au mois de septembre de 9,1% et le RNDB/habitant établi à 3.300 dollars, soit près de 10.600 dinars. En 12 ans, quatre présidents de la République, plus de 11 gouvernements, des centaines de ministres et des milliers de cadres ont chacun une part de responsabilité dans la décennie noire économique de la Tunisie et une économie nationale qui a considérablement reculé». C’est on ne peut plus clair. Les données sont là, visibles, ne souffrant aucune ombre. Voici donc les réalités d’une Tunisie sous perfusion, qui, en plus d’une décennie, a presque tout perdu : sa stabilité, ses illusions économiques, ses fondements sociaux et les principes de sa politique, qui, aujourd’hui flirte avec le fascisme le plus basique, sous la coupe d’un président qui a décidé de centraliser tous les pouvoirs dans une course sur place pour fuir les graves problèmes qui rongent le corps d’un pays moribond, qui ne peut plus respirer tout seul et qui a besoin du peu d’oxygène que lui distille son voisin algérien.  
 
Au bord de l’explosion
 
Pour Fayçal Derbel, la situation est aujourd’hui chaotique : «Seulement 11% des employés tunisiens sont «engagés» dans leur travail d’après une enquête réalisée en 2021 par Gallup dans son «Rapport sur l’état de lieu du travail mondial» et dont les conclusions ont été publiées par Havas. La baisse des perceptions de la qualité de vie est un facteur qui nuit au niveau d’engagement au travail des employés. Pour Gallup, les sentiments négatifs peuvent créer une spirale descendante qui nuit à la productivité, à la rentabilité et à la qualité des relations avec les clients de l’entreprise. De ce point de vue, la Tunisie et les Français ont les plus mauvais résultats en matière d’engagement des employés : «seuls 11% des Tunisiens se sentent aujourd’hui enthousiasmés par leur travail et leur lieu de travail, contre 14% au Maroc, 33% en Amérique du Nord et 27% en Asie du Sud, mais seulement 6% des Français». Le lien est fait avec cette France qui veut chapeauter les deux pays maghrébins, à savoir l’Algérie et la Tunisie. Au moment où l’économie française, elle-même, n’a jamais été aussi en berne, accusant de graves défaillances dans de nombreux secteurs stratégiques, le tout aggravé par la guerre en Ukraine et la crise énergétique. Cette crise a fait que le président Emmanuel Macron a flirté pendant un temps avec son ami de circonstances, Abdelmajid Tebboune, avant que l’épisode barbouzard de la journaliste Amira Bouraoui, qui a fait voler en éclats la courte lune de miel entre un président français qui donne dans l’amateurisme le plus basique et un dirigeant algérien, qui, lui, fait montre d’une profonde instabilité psychique et humaine. Et au milieu de tout ce magma : «Pour la population tunisienne, l’aggravation de la crise économique que traverse le pays se traduit en premier lieu à la caisse. Malgré les subventions du gouvernement, l’inflation a dépassé les 10% en 2022. Cette hausse des prix, particulièrement forte dans le pays en ce qui concerne la viande, les œufs et les huiles, est liée à la guerre en Ukraine. Le conflit a fait exploser le prix des matières premières et notamment des céréales, utilisées pour nourrir le bétail. En parallèle, les pénuries se sont multipliées dans les rayons pour de nombreuses denrées alimentaires de base comme le sucre blanc, le café ou le riz», comme le souligne Fayçal Derbel. Résultat : entre 2019 et 2021, la dette publique du pays a ainsi crû de 7,5 milliards d’euros, dépassant 32 milliards de dinars, soit 85,5 % du PIB.
 
Gestion catastrophique
 
Cela se passe de commentaire. Autrement dit, la Tunisie est sous oxygène via le peu de gaz algérien qu’elle reçoit en guise de récompense pour son hostilité déclarée à l’ennemi désigné d’Alger, le Maroc. Un jeu de dupes sur fond de grave crise qui risque de plonger et la Tunisie et l’Algérie dans le chaos absolu. Alors que la France, de son côté, moribonde et tirant la langue, peut toujours s’accrocher à la locomotive made in Germany.
On comprend mieux aujourd’hui les déclarations, ô combien réalistes, des observateurs tunisiens qui craignent le pire pour un pays souffrant de plusieurs maux et fragilisé en profondeur par des dissensions sociales et politiques, sur fond d’idéologies assassines et autres visions politiciennes rétrogrades. «Très difficile», «catastrophique», «historique», «terrible»… la tourmente économique que traverse la Tunisie n’a jamais atteint un tel niveau, depuis la chute du régime de Zine Al Abidine Ben Ali. «Tous les indicateurs économiques et sociaux, affectés, entre autres, par la crise sanitaire mondiale, flanchent et ne cessent de confirmer le marasme qui perdure d’une année à une autre», affirment plusieurs économistes tunisiens. Dans cette équation inextricable, le chômage pèse de plus en plus lourd et dépasse les 30%. D’après les chiffres de l’Institut national de la statistique (INS), le rang des sans-emplois diplômés de l’enseignement supérieur a atteint les 30,1% contre 28,6% à la même période en 2019. La baisse de l’investissement à 13% et de l’épargne à 6%, au cours de l’année 2020, entrave encore plus la création de richesses dans le pays. En 2022, ces chiffres ont littéralement explosé pour dépasser les prévisions les plus pessimistes. Sans oublier une accumulation de dettes, orientées vers le paiement des dettes antérieures et non l’investissement. Dans ce sens, la dette extérieure a atteint un niveau record de 92 milliards de dinars (environ 30 millions d’euros).

Une autre preuve pour montrer à quel point le pays n’arrive plus à fonctionner correctement même dans des secteurs où il avait une certaine maîtrise : les phosphates. Dans ce domaine, la Tunisie est passée, en quelques années, du cinquième au douzième rang mondial des pays producteurs.  

Kleptocratie

Les facteurs de crise sont si nombreux qu'on peut allonger les pages pour tous les citer et les commenter. C’est dire qu’une décennie après «la révolution», la Tunisie s’embourbe chaque année davantage dans la crise économique et financière. Pour résumer, les causes sont limpides : l'instabilité politique porte un coup fatal à la riposte économique. Ce qui plonge encore plus profondément la Tunisie dans une véritable kleptocratie, avec la corruption, pratiquée à très grande échelle, comme unique monnaie d’échange dans un pays où chacun tente de tirer la couverture sur lui-même. Une fragmentation économique qui répond à une fragmentation politique dans un paysage politique très polarisé, a fait ombrage à l’économie en plongeant le pays dans une crise multisectorielle et protéiforme avec la détresse sociale comme baromètre éruptif marqué par des grèves sans fin, des sit-in qui ont pris d’assaut les rues tunisiennes, malgré le blackout sur les images et sur l’information qui circule au compte-gouttes dans un pays de plus en plus fermé sur lui-même.  Dans ce paysage de désolation, de très nombreuses entreprises ont déclaré faillite. Ceci, sans compter la fuite des capitaux qui a porté un coup fatal à une Tunisie aux abois. Le tout sous-tendu par une politique dépensière à outrance pour se payer une hypothétique paix sociale, qui s’éloigne chaque jour encore plus : «Les majorations salariales et les nouveaux recrutements dans la fonction publique sont passés de 350.000 en 2011 à plus de 600.000 en 2018/2019, ce qui a entraîné une augmentation vertigineuse de la masse salariale, et éreinté le budget de l’Etat», comme le souligne Wajdi Ben Rajeb, l’économiste tunisien.

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