Le parquet d'un tribunal près d'Alger a requis jeudi 10 ans de prison ferme à l'encontre de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, accusé d'atteinte à l'intégrité territoriale de l'Algérie, dont le cas a envenimé des tensions déjà fortes entre Alger et Paris.
Le tribunal correctionnel de Dar El Beida rendra le 27 mars son jugement dans le procès de ce romancier connu pour ses critiques du pouvoir algérien et des islamistes, emprisonné depuis le 16 novembre, jour de son arrivée à l'aéroport d'Alger, selon les médias Echorouk et TSA.
L'affaire Sansal, qui bénéficie d'un vaste élan de soutien en France, a aggravé les tensions entre Paris et Alger, dont les relations s'étaient brutalement dégradées après la reconnaissance, en juillet 2024, par le président français, Emmanuel Macron, d'un plan d'autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara.
Ce territoire non autonome, au statut à définir selon l'ONU, est le théâtre d'un conflit depuis 50 ans entre le Maroc, qui en contrôle de facto environ 80%, et les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par Alger.
Boualem Sansal, âgé de 80 ans selon son éditeur français Gallimard, fait l'objet de plusieurs chefs d'accusation, notamment "atteinte à l'unité nationale, outrage à corps constitué, pratiques de nature à nuire à l'économie nationale et détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité du pays".
Selon l'accusation, l'écrivain a tenu des propos portant atteinte à l'intégrité du territoire algérien. Il s'agit notamment de déclarations faites en octobre dernier au média français Frontières, réputé d'extrême droite, reprenant la position du Maroc selon laquelle le territoire de ce dernier pays aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l'Algérie.
Son procès a eu lieu, "ce jeudi 20 mars, dans des conditions ordinaires, sans dispositions particulières", selon le journal arabophone Echorouk, qui a noté que Sansal avait "préféré assurer lui-même sa défense" et n'était assisté d'aucun avocat.
L'avocat français de l'écrivain, Me François Zimeray, a annoncé le 11 mars vouloir saisir plusieurs organes de l'ONU pour dénoncer une "détention arbitraire" de Sansal, dont il a assuré qu'il n'avait pas un accès normal à des avocats ni à des soins médicaux.
Des affirmations rejetées par le bâtonnier d'Alger, Mohamed Baghdadi qui a indiqué que l'écrivain avait décidé de son propre chef de se défendre seul et qu'il poursuivait son traitement contre le cancer.
Paraissant "en bonne santé" , selon le journaliste d'Echorouk, Sansal a nié jeudi toute intention de porter atteinte à l'Algérie, assurant n'avoir fait qu'"exprimer une opinion comme tout citoyen algérien".
Selon Echorouk, il a admis n'avoir pas mesuré le fait que ses déclarations pouvaient être considérées comme portant atteinte aux institutions algériennes, et affirmé être "un Algérien aimant son pays", sans qu'il ne puisse y avoir "aucun doute sur son patriotisme".
Après le revirement français sur le Sahara, dossier sur lequel Paris avait une position plus neutre, l'Algérie a retiré depuis l'été dernier son ambassadeur à Paris et menacé la France d'autres représailles.
A partir de l'automne, l'affaire Sansal a eu un grand retentissement en France où il a reçu le soutien des cercles intellectuels et politiques.
L'arrestation à Paris début janvier d'influenceurs algériens pour apologie de la violence et l'expulsion d'Algériens renvoyés par Alger ces dernières semaines, ont encore dégradé les relations bilatérales.
La tension est montée d'un nouveau cran après l'attentat le 22 février à Mulhouse ayant fait un mort, dont l'auteur est un Algérien ayant fait l'objet d'obligations de quitter le territoire, rejetées à plusieurs reprises par l'Algérie.
Le ministre français de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les déclarations virulentes contre Alger, menaçant d'abroger divers accords bilatéraux dans le cadre d'une "riposte graduée".
Fin février, le président Macron a tenté de calmer le jeu, estimant que les relations bilatérales ne devaient pas "faire l'objet de jeux politiques", alors que la droite et l'extrême droite françaises se sont emparées du sujet porté par Retailleau, lui-même en campagne pour la présidence du parti Les Républicains (LR, droite).
Macron avait invité les deux capitales à "réengager un travail de fond" sur les accords d'immigration, appelant Alger à "régler" le cas Sansal dont "la santé nous préoccupe beaucoup", afin que "la confiance soit pleinement rétablie" entre les deux pays.