L’immigration est une chance ! Une phrase qui devrait couler de source, mais qui, aujourd’hui, en France comme aux Etats-Unis, relève presque de la provocation.
Dans les sphères politiques, la migration n’est plus vue comme un vecteur d’échange, de croissance et de diversité, mais comme un problème à résoudre, un péril à contenir, voire une menace existentielle. Pourquoi ? Parce que le populisme et la démagogie ont fait de ce sujet un terrain fertile pour attiser les peurs, détourner l’attention des vrais problèmes et renforcer l’emprise des discours identitaires sur l’échiquier politique.
Le débat en France s’est récemment cristallisé autour de Mayotte, ce petit bout de territoire français dans l’océan Indien, où le gouvernement a décidé de restreindre le droit du sol. Une décision qualifiée de «premier pas» par la droite, qui souhaite désormais étendre ces restrictions au reste du pays. Elle est sous-tendue par une logique implacable : commencer par un territoire éloigné, où la réalité migratoire est indéniable (près de 50% des habitants y sont étrangers), pour habituer l’opinion publique à l’idée qu’un durcissement des lois migratoires serait nécessaire.
Derrière cette stratégie, se cache une vieille rengaine : le mythe de la «submersion migratoire». François Bayrou, le Premier ministre, l’a évoquée en ces termes, suscitant un tollé et se retrouvant à devoir nuancer ses propos.
Mais l’idée a été semée : si on ne fait rien, la France serait «submergée». Un mot aux allures d’invasion, comme si des armées de migrants s’apprêtaient à fondre sur la République. On ne parle plus de familles, de travailleurs et de jeunes en quête d’un avenir, mais d’un flot indistinct qui menacerait l’identité française.
Ce qui est inquiétant dans ces discours, c’est leur capacité à tordre la réalité. En 2024, la France a accordé 336.700 premiers titres de séjour, soit une augmentation de 1,8% par rapport à l’année précédente. Dans le même temps, les expulsions ont augmenté de 26,7%, atteignant 21.601 reconduites. Ainsi, le gouvernement a expulsé plus qu’avant et moins régularisé (-10 %).
Pourtant, l’extrême droite et la droite dure continuent de dénoncer un «laxisme» et un «appel d’air migratoire». Sauf que le constat est là : il n’y a aucune explosion des flux et aucun afflux incontrôlable. Mais les discours populistes excellent dans la manipulation des chiffres et des perceptions.
France – USA, kif-kif
Aux Etats-Unis, la mécanique est encore plus brutale. Donald Trump, de retour au pouvoir, a relancé son offensive anti-immigration avec des mesures aussi spectaculaires que controversées. Son objectif est clair et assumé : mener la «plus grande campagne d’expulsions de l’histoire».
Sa dernière trouvaille ? Envoyer des migrants illégaux à Guantanamo, un «endroit difficile à quitter», selon lui. Autrement dit, une prison. L’administration américaine a déjà prévu d’y envoyer 30.000 migrants, comme s’il s’agissait de criminels dangereux. En toile de fond, une logique tortueuse : si l’immigration est un crime, autant traiter les migrants comme des délinquants.
Et que dire de ses efforts pour démanteler le droit du sol ? Aux Etats-Unis, il est inscrit dans le 14ème amendement de la Constitution depuis plus de 150 ans. Mais Trump veut le remettre en cause par décret, une initiative déjà bloquée par plusieurs juges fédéraux.
Peu importe la faisabilité juridique, ce qui compte, c’est l’effet d’annonce : «Je vais protéger l’Amérique de l’invasion». Un discours identitaire qui a porté ses fruits en 2016 et qui semble toujours aussi efficace.
A ce titre, les parallèles entre la France et les Etats-Unis sont troublants. D’un côté, François Bayrou et la droite française préparent le terrain pour une remise en question du droit du sol et un durcissement des politiques migratoires.
De l’autre, Trump pousse ses mesures à l’extrême, quitte à enfermer des migrants dans une base militaire tristement célèbre.
Les deux pays partagent une obsession pour le «contrôle» de leurs frontières au détriment d’une approche pragmatique.
Dans les faits, les migrations ne sont ni incontrôlées, ni explosives. La France accueille proportionnellement moins d’immigrés que l’Allemagne ou le Royaume-Uni, et les Etats-Unis sont loin d’être «submergés». Mais la peur, elle, est un moteur électoral bien plus puissant que la rationalité.
La peur de l’autre
Le plus fascinant dans cette hystérie anti-immigration, c’est sa répétition à travers les époques. Dans les années 1920, les Italiens et les Polonais étaient accusés de «submerger» la France.
Dans les années 1960, on craignait l’arrivée massive d’Algériens. Aujourd’hui, ce sont les Africains et les musulmans qui cristallisent les fantasmes.
Aux Etats-Unis, l’histoire est la même : les Irlandais, puis les Italiens, puis les Mexicains ont tous été présentés comme des menaces successives.
Ce qui a changé, c’est l’ampleur de la récupération politique. Jadis, l’immigration était une question économique et sociale. Aujourd’hui, elle est avant tout un instrument électoral.
En attisant la peur, on mobilise un électorat inquiet et on détourne l’attention des vrais défis : l’économie, l’éducation et la précarité. Pendant qu’on parle de «submersion», on ne parle pas du pouvoir d’achat. Pendant qu’on s’alarme sur le droit du sol, on évite le débat sur les inégalités.
Et pourtant ! Et pourtant l’immigration est un pilier économique. Mais ça, les populistes préfèrent le taire. L’OCDE l’a encore rappelé récemment : en 2023, les pays développés ont vu leur croissance économique soutenue par l’immigration au travers de l’augmentation de la population active, notamment dans les secteurs en tension comme la construction, la santé, l’agriculture ou encore la restauration. L’Espagne, le Canada, la France, le Portugal… sont autant de pays qui en ont bénéficié.
Sans ces travailleurs étrangers, nombre d’hôpitaux, de chantiers et de restaurants tourneraient au ralenti. Mais ce n’est pas le genre de vérité qui fait recette électoralement.
F. Ouriaghli